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— Je suis sûr que vous serez vraiment très intéressés, affirma Keneth pour la troisième fois. Et impressionnés, cela va sans dire. La première fois que j'ai vu ÇA, j'ai été sidéré. J'en ai eu le souffle coupé.

Juanee commençait à bouillir d'impatience. Elle avait une légère tendance à devenir très agitée en présence de reliques du passé, et c'était précisément ce genre de surprise que les sifis s’apprêtaient à découvrir. Ils marchaient depuis déjà plusieurs heures dans un tunnel particulièrement large et, à en croire les dires des habitants de Roge, très profondément enfoui et pour cause : ils se trouvaient déjà depuis un moment sous les montagnes.

— Tout ça nous rapproche dangereusement des har-lin, non ? demanda la doyenne.

— Oui, effectivement. Mais plus nous approchons de ce lieu dont je vous parle, moins ils risquent de nous détecter, indiqua Keneth. Cet endroit est protégé des dragons par les enchantements de ceux qui l'ont construit.

— Des gens de notre race ? devina Juanee.

— Nous en sommes rapidement venus à cette conclusion, oui, confirma Keneth.

Bientôt le petit groupe parvint dans une grande caverne aménagée. Il y avait là quantité d'enfants rassemblés autour d'une poignée d'adultes. Les plus grands aidaient à préparer à manger, à faire un peu de nettoyage ou encore à égaliser sols et murs à l’aide d’outils de maçon. Les plus jeunes écoutaient une histoire apparemment captivante comptée par un vieux bonhomme.

— Cet endroit est sûr, commenta Keneth. Nous y cachons les enfants ayant un don, cela leur évite le châtiment mortel du Seigneur...

Keneth eut l'air très sombre pendant un instant, puis son visage s'illumina soudain et une voix claire retenti dans la caverne :

— Père ! s'exclama un jeune garçon, se ruant vers lui. Celui-ci attrapa son fils et l'embrassa sur le front.

À cet instant, Gabriel cru encore apercevoir une ombre, il ressenti une présence comme lorsqu'ils avaient traversé la mer. Cela ne dura qu'un instant, mais l'impression devenait suffisamment familière pour qu'il se dise que, décidément, quelque chose ou quelqu’un parvenait à les suivre sans se montrer. La vaste caverne fut traversée rapidement et, au détour d'un passage un peu plus étroit, ils découvrirent une autre cavité dans la montagne. Celle-ci n'avait rien à voir en taille avec la précédente. Juanee poussa une exclamation, surprise cette démesure et la beauté tranquille de cet endroit improbable. Pourtant en la matière, elle et les autres sifis étaient des habitués.

— Voici Auhonghar, lança fièrement Keneth qui venait de les rejoindre.

— Un lieu caché des hommes ? questionna Gabriel, essayant d'exercer sa connaissance de la langue.

— Ce serait plutôt un lieu pour des hommes cachés, corrigea Juanee. La cité des... Non. Le refuge ?

Tandis que la doyenne se penchait sur la traduction exacte du mot, les autres avancèrent. Ils se trouvaient sur un plan rocheux incliné qui débouchait sur une vaste aire plane en contrebas. Une arche toute simple de pierre, noire et brillante, se tenait au bord d'un gouffre apparemment sans fond. Elle aurait permis le passage de deux hommes de front tout au plus, et pas trop grands. Au-delà du gouffre siégeait, sur un plateau rocheux gigantesque semblant suspendu dans les airs, une magnifique citadelle entourée d'une muraille taillée ou façonnée du même matériau obsidien que l’arche. Derrière l’enceinte, tours et flèches se dressaient vers le plafond de cette immense caverne. L’une d’elle, brisée en son milieu, continuait pourtant de flotter dans les airs, comme si les tours maintenait le plateau en place plutôt que l’inverse. Des rais de lumière filtraient au travers de la roche depuis la surface, perçant les ténèbres générales et peignant de teintes chaleureuses ce tableau surréaliste.

— Le refuge des cachés ? Ou des oubliés ?

Juanee, les yeux rivés sur la cité continuait de réfléchir aux différentes traductions possibles, marmonnant plus pour elle-même qu’autre chose.

— Y avez-vous déjà accédé ? demanda Arpe.

— Hélas non, répondit Keneth. Il est impossible de l'atteindre, pour nous en tout cas. Il ne semble y avoir aucun pont d'aucune sorte. Construire un édifice pour franchir le gouffre est un défi irréaliste, avec nos moyens actuels. Quand à escalader le pilier central qui soutient la structure, rien que descendre au fond du gouffre nous a pris plusieurs heures pour nous retrouver au-dessus d'un lac aux eaux glacées. Nous l'avons traversé bien sûr, mais nous ne sommes pas parvenus à accrocher quoi que ce soit sur le pilier. En bas, la roche est lisse comme du verre et plus solide que notre acier.

Arpe acquiesça gravement. Il était évident que seuls des sifis parviendraient à entrer. Marli et Urfis discutaient en arrière, l'air préoccupé.

— Qu'est-ce qu'il y a ? leur demanda soudain Juanee.

— Il est bientôt midi, répondit Urfis. Nous devrions contacter Nihyr mais j'ai peur que nous n'y parvenions pas d'ici. Ces roches ont subi quelque chose pour rendre cet endroit introuvable ; rien n'entre ni ne sort.

— Très bien. Arpe, tu veux bien aller avec Urfis plus loin dans les galeries et essayer d'envoyer un message à Nihyr ? Précisez bien que nous ne pourrons peut-être plus le contacter avant un moment. Les autres, venez examiner cette arche d'un peu plus près avec moi.

Gabriel, Ellohira et Marli suivirent donc Juanee et se plantèrent devant l'arche noire et scintillante.

— Ça ressemble un peu à cette porte du refuge de l'est, observa Gabriel en demandant d'un regard vers Ellohira une confirmation.

Celle-ci hocha doucement la tête, songeuse. Cette arche de pierre, bien que semblable d’apparence, ne portait aucune inscription. Elle était seulement là, belle et impénétrable, gardienne d’un passage sûrement détruit par le temps.

— C'est trop large pour qu'on puisse sauter par-dessus le gouffre, observa Juanee en sondant le précipice à ses pieds.

— Je pourrais le faire, lança Gabriel. Enfin je pense, nuança-t-il en voyant le regard réprobateur que lui lança Ellohira.

— Que tu puisses ou non importe peu, répondit la doyenne. À mon avis, on ne peut pas l'atteindre autrement qu'en passant par ici. C’est curieux, je ne vois aucune trace d’un ouvrage qui se serait écroulé.

Machinalement, Gabriel attrapa une pierre et la lança de toutes ses forces afin de voir s'il pouvait atteindre l'autre côté. La pierre décrivit un arc de cercle dans les airs et, arrivé au milieu de sa course, il y eut un éclair aveuglant et un bruit mat retentit presque aussitôt derrière les sifis. La petite pierre, renvoyée dans l'autre sens à grande vitesse, venait d'éclater contre le mur, lançant des éclats et des étincelles.

— Un sceau. Comme je le pensais, observa Juanee d’un ton neutre.

— Tu veux toujours tenter le coup ? chuchota Ellohira, goguenarde, à Gabriel qui se contenta de hocher vigoureusement la tête en signe de dénégation.

Juanee toucha l'arche, l'effleura d'un bout à l'autre.

— Il faut peut-être l'alimenter ? pensa Gabriel tout haut.

Il s'approcha de l'arche, posa une main sur la surface lisse et brillante, puisa dans ses forces, s'apprêtant une fois de plus à faire une grande dépense d'énergie. Il retira sa main presque aussitôt en poussant une exclamation de surprise.

— Qu'y a-t-il ? demanda Juanee, toute excitée.

Pour toute réponse, Gabriel traversa l'arche et posa prudemment un pied dans le vide. Puis le second et resta là, comme suspendu dans les airs devant les autres, tous sidérés.

— C'est un péage, si on peux dire, s'amusa Gabriel en se retournant.

— Tu as encore beaucoup de choses à nous expliquer sur ton monde je crois, soupira Ellohira. Qu'est-ce qu'un “péage” ?

— Euh... C'est un un endroit sur une route où on paie pour avoir le droit d'aller plus loin.

Juanee arqua un sourcil. Point de route à Ernùn qui nécessitait une telle taxe. Cependant, il existait un impôt spécial pour l’entretien des voies à Torgar, le concept lui en était donc familier.

— Comment as-tu su que tu pouvais avancer ? voulut savoir Ellohira, tandis qu'elle s'approchait de l'arche à son tour.

— J'ai donné un peu d'énergie et j'ai su. Essaie ! Tu vas voir.

Ellohira et Juanee se concertèrent d'un regard, puis effleurèrent l'arche, donnant à leur tour un peu d'énergie. Ellohira laissa échapper une exclamation surprise tandis que Juanee s'avançait déjà. À peine avaient-elles payé le passage qu'une fine passerelle translucide se dessinait devant elles. Arpe et Urfis revenaient tout juste, ayant transmis rapidement un message à Nihyr. Juanee, voyant approcher son époux, eut une idée.

— Tu veux bien essayer de passer, comment dire ? Hum... Sans payer, s'il te plaît ?

Arpe approuva d'un signe de tête. Il passa sous l'arche et avança prudemment son pied dans le vide sans rien rencontrer de solide. Du point de vue de Juanee, Ellohira et Gabriel, son pied traversait la passerelle. Pourtant, eux se tenaient dessus et ils avaient la sensation de se trouver sur la roche la plus solide qui soit.

— Fascinant, commenta Juanee, émerveillée.

Arpe reprit pied sur la terre ferme, effleura l'arche du bout des doigts puis s'avança sur le pont fantomatique, le plus normalement du monde. Il décrivit un tour sur lui-même avant de laisser échapper un gloussement amusé. Derrière les sifis, Keneth et ses quelques hommes les regardaient bouche-bée. Urfis et Marli suivirent leurs quatre compagnons, puis ils restèrent là un moment, s'émerveillant du phénomène.

— Nos prédécesseurs savaient faire des choses extraordinaires ! s'enthousiasma Marli, fascinée par le gouffre qui s’étendait sous leurs pieds. Une idée de comment ça fonctionne, Juenaa ?

— Pas la moindre ! répondit l’intéressée, ravie de découvrir un nouveau tour dont elle percerait sans attendre le secret.

— Excusez-moi, intervint Keneth, mais serait-il possible de vous suivre ? Je vous avoue que je serais extrêmement heureux de pouvoir découvrir cette citadelle avec vous.

— C'est vous qui l'avez redécouverte, approuva Juanee. Voyons voir cela.

Elle se rendit près de l'arche, prit la main de Keneth dans la sienne et lui demanda de poser sa main sur l'arche. Elle paya la faible quantité d'énergie requise puis demanda à Keneth s'il voyait quelque chose. Celui-ci fit non de la tête, l'air déçu.

— On peut toujours vous porter, suggéra Gabriel en s'approchant.

— Je ne sais pas s'il serait prudent de tenter ce genre de chose. Peut-être que seuls les sifis peuvent passer, supposa Arpe.

— Oui. Qui sait comment réagirait le sceau qui a renvoyé ta pierre ? rappela Juanee.

Gabriel se remémora le funeste destin de sa pierre ambassadrice.

— Oui, ce serait regrettable que ce genre d'incident se reproduise, approuva-t-il en frissonnant.

— Tant pis, soupira Keneth. J'aurais beaucoup aimé vous accompagner, mais je m'en passerai. Ne prenons pas de risque.

Les sifis laissèrent donc là Keneth, ses hommes et leur air désolé, puis avancèrent vers la citadelle. Ils ne ressentirent pas leur passage au travers du sceau de protection. Les six compagnons prirent pied devant les portes de la citadelle. Les murs noirs n'étaient pas bien hauts et les sifis auraient facilement pu sauter par dessus, mais ils avaient tous le pressentiment que ce n'était pas une bonne idée. Ils se massèrent donc devant la porte et attendirent tandis que Juanee étudiait la question. L'entrée mesurait environ quatre mètres de large et six mètres de haut. Une unique porte finement ouvragée se dressait dans l'ouverture, tout aussi noire et brillante que la muraille, mais d’une matière différente, plus proche du métal. Un sceau en ornait le centre et Juanee le sonda avec précaution.

— C'est un verrou, annonça-t-elle finalement, après quelques longues minutes. Il faut l'activer si nous voulons entrer.

— Qu'attends-tu dans ce cas ? demanda Urfis. Vas-y !

— Ne sois pas si impatient, gros malin ! le rabroua gentiment Juanee. Je ne suis pas encore tout à fait sûre de la manière de procéder.

Arpe et Ellohira furent donc également mis à contribution, car ils possédaient tous deux de grandes connaissances théoriques sur le sujet.

— C'est complexe, admit Arpe après quelques minutes.

— On ne va quand même pas passer une heure là-dessus ! s'exclama Gabriel.

— Il faut se méfier. Il y a peut-être un piège dissimulé dans le sceau. Nous devons agir avec circonspection, tempéra Ellohira.

— Pourquoi y aurait-il un piège ? Cet endroit est caché, inaccessible et protégé par un sceau peut-être aussi puissant que celui d'Azulimar. En plus pour arriver ici, il faut prouver que l'on est sifis ! À mon avis, c'est juste une porte verrouillée, voilà tout.

— Il n'a pas tort, appuya Urfis. Tout cela ferait beaucoup de précaution pour des gens réputés pour leur assurance dans le passé.

— Ils ont sans doute appris l'humilité quand ils se sont retrouvés au bord de l'extinction, assena Arpe durement.

— Très juste, admirent alors Gabriel et Urfis d'une même voix, un peu gênés.

Après quelques concertations de plus, Juanee décida de tenter une incursion dans le sceau. Elle apposa ses mains sur le cercle puis ferma les yeux et se concentra. À sa grande surprise, elle se senti comme aspirée à l'intérieur et, avant qu'elle n'ait eu le temps d'esquisser le moindre geste, elle se retrouva debout, apparemment seule, dans une immense salle au plafond si haut qu'il demeurait invisible.

Qui êtes-vous ? demanda une voix grave.

Juanee tourna la tête de part et d'autre mais ne vit personne.

— Nous sommes des sifis, répondit-elle.

Prouvez votre puissance, et vous pourrez entrer, continua la voix. Nous ne pouvons nous réveiller avant que le Flux ne soit redevenu puissant.

Laissez-nous passer, s'il vous plaît ! implora Juanee.

Mais elle n'entendit plus rien. Comment devait-elle prouver sa puissance ? Lorsqu'elle posa la question à voix haute, seul le silence lui répondit. Rien ne se passa durant un moment qui lui parut interminable. Puis, sans prévenir, la salle bascula et Juanee se retrouva allongée sur le sol, devant la porte de la citadelle et entourée de ses amis.

— Que s'est-il passé ? demandèrent-ils tous, avec une curiosité avide, l'aidant à se relever.

Juanee leur relata ce qu'elle venait de vivre et ils en furent étonnés, car de leur point de vue, Juanee était presque aussitôt tombée en arrière après avoir touché le sceau et s'était réveillée une seconde plus tard à peine.

— Cela m'a semblé incroyablement plus long, dit-elle en se relevant sous le regard inquiet de son mari.

Gabriel posa ses mains sur le sceau et une violente douleur lui traversa immédiatement l'épaule.

— Aïe ! Mais j’ai encore rien fait ! protesta le garçon.

— Dis-nous ce que tu as en tête avant de te risquer à quoi que ce soit ! lui reprocha Ellohira, le poing encore levé.

Gabriel fronça les sourcils, bras croisés sur la poitrine, son regard vissé dans celui de la belle, sa bien-aimée.

— Que les choses soient claires à présent, commença t-il, l’air très sérieux. Je suis un maître, comme toi. Il va falloir que tu commences à me faire confiance.

Ellohira lui lança un regard étonné, puis inclina légèrement la tête, affichant un sourire moqueur.

— En plus tu m'as fait super mal, grogna Gabriel en se retournant vers les portes. Bon, je vais essayer. Que personne ne me frappe !

Il posa ses mains contre le sceau et senti aussitôt son esprit vaciller, comme s'il était aspiré à l'intérieur. Une voix grave retentit.

— Prouvez votre puissance et vous pourrez entrer.

Gabriel se concentra, mais le Flux lui parvenait difficilement, comme si il existait désormais un barrage, un filtre, entre lui et la source de cet incroyable pouvoir.

Dans le monde physique en revanche, il arracha une exclamation de surprise aux autres sifis. Ellohira soupira, exaspérée. Une fois encore, son stupide compagnon se laissait dépasser par les événements.

— C'est pour ça que je ne veux pas qu'il s'occupe de ce genre de choses : il essaie toujours d'en faire trop ! soupira-t-elle en levant les yeux au ciel.

— Ellohira, regarde et attend, coupa Urfis.

— Mais !

— Mais quoi ? Il faut bien que quelqu'un parvienne à ouvrir le passage non ? Et Gabriel semble obtenir des résultats.

Ellohira fit une moue dubitative. Il obtiendrait des résultats, mais à quel prix ? Devant elle, Gabriel irradiait de puissance. Le Flux circulait dans son organisme à un tel niveau que ses veines scintillaient sous sa peau.

Dans l'univers immatériel créé par le sceau, Gabriel luttait toujours. Le Flux ne lui parvenait que très peu. Il se concentra de plus belle. Il se savait capable d'aller plus loin. Il l'avait déjà fait à maintes reprises. Pourquoi cette puissance lui faisait-elle défaut justement maintenant ?

Du point de vue des autres sifis, il devint soudain dangereux de rester sans rien faire. Gabriel rayonnait comme un phare. Des vagues de puissance s’échappaient de son corps et venaient les frapper. C'était comme si un gigantesque tambour résonnait tout contre leurs entrailles. Sans parler des risques pour lui, il devenait dangereux de le laisser émettre autant d’énergie, au risque que les dragons ou l'Émissaire les repère. Ellohira se précipitait déjà pour arracher Gabriel du sceau lorsque tout s'arrêta. Le jeune homme se détacha du sceau et fut surpris de se sentir si fatigué. Il vacilla, recula d'un pas, manquant au passage de basculer en arrière et, les mains appuyées sur les genoux, le souffle court, il accueillit les remontrances et les signes d'affection d'Ellohira avec le sourire. En réalité, il n'entendait presque plus rien. Il la regardait lui crier dessus dans une béatitude cotonneuse, souriant comme un benet.

— Ce que t’es belle, dit-il, la voix étrangement rêveuse.

— Je le savais ! s’écria Ellohira. Il est atteint de l’ivresse !

Soutenu par la jeune femme, Gabriel se redressa et fit signe aux autres d'approcher. La porte commença alors à s'ouvrir, se séparant en trois parties qui se fondirent bientôt dans la muraille. Ils entrèrent prudemment, débouchant dans une rue relativement étroite. Elle se terminait un peu plus loin au pied d'une construction plus imposante que la moyenne. Une sorte de vaste manoir surplombé de deux hautes tours. De part et d'autre de la chaussée s'alignaient des maisons vides et silencieuses. Les sifis parcoururent tout le chemin jusqu’au manoir sans rencontrer âme qui vive, ce qui ne les surprenait pas.

— Quel intérêt de bâtir un tel endroit si c'est pour l'abandonner ? se demanda Marli tout haut.

— Peut-être pour y cacher des secrets, ou permettre aux générations futures d'y trouver refuge, qui sait ? répondit Juanee, fascinée par ce qui l'entourait. nous ne savons rien de ce qui a pu se passer ici. Continuons d’avancer, nous trouverons forcément des réponses.

Tous se rendirent dans le grand bâtiment au bout de la rue. Ils y entrèrent et commencèrent à l'explorer. Ils n'y trouvèrent personne, mais les pièces regorgeaient de petits trésors. L'une contenait des armes et des uniformes, légèrement différents de ceux que portaient les nouveaux venus. Une autre regorgeait d'instruments étranges, dont les fonctions restaient mystérieuses. Une autre encore renfermait une quantité impressionnante de rouleaux, de cartes et de livres en parfait état. Il y avait aussi une grande salle, sans doute une pièce réservée à quelques réunions ou conseils. Tout respirait la magie, cette citadelle n'aurait pu voir le jour sans la puissance des courants, du Flux et de vastes connaissances.

Gabriel trouva un large escalier, au bout du premier hall, qu’il commença à gravir sans attendre. Il fut rapidement rattrapé par les autres, attirés par la curiosité, et ils continuèrent leur exploration.

— Quelle sobriété ! s'exclama Marli. Regardez ; pas une fresque, pas un tapis, pas une peinture, rien.

— Ils n'avaient sans doute ni les moyens ni l'envie d'en mettre, répondit Juanee. Les sifis se sont réfugiés ici, ils s'y sont cachés. Inutile d'attirer l'attention en relançant l'économie locale.

— L'endroit reste très impressionnant, fit Urfis, admiratif. Regardez ces murs : c'est comme s'ils étaient faits d'un seul bloc.

— C'est peut-être le cas, supposa Arpe en connaisseur, lui et Urfis ayant assuré la quasi-totalité de la reconstruction du sanctuaire et de quelques autres avant-postes et refuges. Cela ressemble à de la sceau-maçonnerie.

En haut de l'escalier, deux couloirs s'ouvraient ; l'un à droite, l'autre à gauche.

— Restons ensemble, préconisa Juanee. Commençons par aller à droite, nous reviendrons sur nos pas plus tard.

Ils se dirigèrent donc dans le couloir de droite et arrivèrent bientôt au pied d'un escalier en colimaçon. Ils s'empressèrent bien sûr de monter, mais l'escalier semblait sans fin. Après de longues minutes, ils parvinrent enfin devant une porte de bois colossale et richement décorée.

— Quel changement de style ! s’exclama Urfis.

Juanee ne releva pas et se dirigea droit devant elle. Elle ouvrit la porte sans cérémonie et avança dans une pièce vaste et sombre. Le plafond échappait à sa vue, pourtant perçante. De faibles lueurs émanaient de petites niches ménagées à intervalles réguliers dans les murs.

— Un peu plus de lumière serait bienvenue, non ? demanda Gabriel à Juanee en enflammant les paumes de ses mains.

Les autres l’imitèrent et allumèrent les quelques lampes qui ornaient les murs.

— Nous devons être dans l'une de ces grandes tours que nous avons vu depuis l'extérieur, commenta Arpe. C'est plus haut que je ne pensais.

En levant les yeux, il aperçut le plafond en ogive, loin au-dessus. Gabriel émit un sifflement admiratif qui se répercuta en écho pendant de longues secondes. Juanee et Arpe restèrent paralysés.

— Qu'y a-t-il ? demanda Urfis après avoir remarqué l'attitude étrange de ses amis.

Juanee lança un regard en coin à son époux. Devant eux, dans les alcôves, se trouvaient de gros cristaux translucides d'où émanait la pâle lumière. Au cœur de ces cristaux reposaient, ils le savaient, des sifis. Près du sol, il y en avait dix-neuf, mais au-dessus, il y en avait plus. Bien plus.

— Qu'est-ce ? insista Urfis.

— Ce sont des sifis, répondit Arpe en regardant son épouse s'approcher des cristaux. Des sifis cristallisés dans leurs propres âmes, comme Alanë.

— Ils sont des centaines ! s'exclama Ellohira. Avec un tel soutien, nous aurions terrassé les dragons depuis longtemps !

Il y eut à cet instant un flash de lumière provenant d'un des cristaux et Gabriel entendit alors la même voix que lorsqu'il avait brisé le sceau protégeant l'entrée de la citadelle.

Qui êtes-vous ? demanda la voix dans sa tête, faisant pression pour qu’on lui réponde.

Je suis un sifis et je me nomme Gabriel. Ne vous l'ais-je pas déjà dit tout à l'heure ?

La voix se mit à rire :

C’est donc toi qui a brisé le sceau. Tu as reconnu ma voix, mais celle que tu as entendue n'est qu'une copie. À présent répond-moi : êtes-vous nombreux ?

— Gabriel ? Qu'est-ce qui t'arrive ? demanda alors la voix lointaine d'Ellohira.

— Hum ? Oh, je parlais à l'un d'entre eux. Il demande si nous sommes nombreux.

— Tu leur parles ? s'étonna la jeune femme.

— Répond-lui que oui, Gabriel, ordonna Juanee.

— Ce serait mentir. Et je ne suis pas sûr de pouvoir faire passer un mensonge dans une conversation de ce genre.

— Essaie, tu verras bien.

Alors ? s'impatienta la voix.

Veuillez m’excuser, les autres m'ont interrompu. Nous sommes six ici, trois des nôtres se trouvent actuellement ailleurs et de grandes armées se préparent au nord de la mer.

La voix ne répondit pas. Gabriel n’avait pas menti et espérait que la façon dont il présentait les choses suffirait pour convaincre son interlocuteur mystérieux. Une lumière vive provenant du cristal se trouvant au centre, le plus grand de tous, inonda l'espace pendant un instant. En quelques secondes, la silhouette contenue dans le cristal se précisa au fur et à mesure que celui-ci semblait s'évaporer, ou plutôt se rétracter à l’intérieur du corps.

— Je suis heureux que ce jour soit enfin arrivé ! s'exclama l'homme en sortant de son long sommeil. Il est temps de faire payer au seigneur du Clan tout ce qu'il a commis !

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