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Bouche-bée, Juanee, Arpe, Urfis, Gabriel, Ellohira et Marli observèrent l'homme sortir de son cocon scintillant. Il s'étira, faisant craquer ses os et jouer ses muscles depuis trop longtemps inactifs. Il avait l'air vieux, comme un homme normal d'une soixantaine d'années, à ceci près qu'il se tenait droit comme un I et que ses mouvements trahissaient, malgré son réveil récent, une puissance et une science du combat que Gabriel n'avait remarqué que chez un certain général de Torgar auparavant.

— Vous avez un chef ? demanda-t-il soudain.

Juanee s'avança et inclina brièvement la tête devant lui.

— Je suis la doyenne et chef de notre groupe.

L'homme arqua un sourcil.

— Cela ne vous plaît pas que notre dirigeant soit une femme ? demanda Arpe d'un ton un peu sec.

— Oh, non. Ce n'est pas ça du tout. Je vous trouve un peu jeune pour être la doyenne. Enfin, il est vrai que je vois derrière vous deux enfants, alors...

Gabriel se sentit un peu vexé, mais il sentit Ellohira bouillir à côté de lui et pensa qu'il valait mieux ne rien dire.

— Ces enfants, comme vous dites, ont le rang de maître, répondit Juanee. Ils sont extrêmement doués.

— Je n'en doute pas une seconde ! s'exclama alors l'homme. Ne le prenez surtout pas mal, je vous en conjure. Oh, veuillez m'excuser, j'ai omis de me présenter ; je suis le doyen et chef du conseil de l'Ordre de Tigar. Henry Linial.

Gabriel s’amusa d’entendre ce prénom. Il ressemblait à un prénom de chez lui et cela lui procura un sentiment nostalgique. Tandis qu’il rêvassait, Henry demandait des détails sur les armées venant du Nord aux autres.

— J'imagine que les machines d'aujourd'hui sont également bien plus perfectionnées qu'à mon époque. Pensez-vous que nous ayons des chances de vaincre, Juanee ?

— Toutes les chances seront de notre côté si vous vous joignez tous à nous. Nous avons vaincu les dragons d'Ernùn avec moins de moyens.

— Juanee, avant de continuer, je dois vous dire une chose : les dragons d'ici sont terrifiants. Ils veillent sur ce territoire depuis des siècles. Les plus puissants de chez vous seront parmi les plus faibles d'ici. Il en a toujours été ainsi : le seigneur garde les forts près de lui et envoie ses esclaves les moins puissants au loin pour semer la terreur.

— Gabriel ici-présent (Gabriel sursauta en entendant son nom et revint à la réalité), a tué trois dragons pas plus tard qu'hier et survécu à une rencontre avec celui qui se fait appeler l’Émissaire. Nous ne manquons pas non plus de force.

Henry jeta un regard intéressé à Gabriel puis, faisant volte-face, annonça d’une voix forte :

— Il est temps de nous réveiller !

Alors de toutes les alcôves jaillit une lumière dense, éclairant l'intérieur de la tour jusqu'à son sommet. Écarquillant les yeux, Juanee et ses compagnons observèrent la scène. Après quelques secondes aveuglantes, des dizaines de silhouettes apparurent et semblèrent tomber depuis leurs perchoirs. Cependant, les sifis atterrissaient souplement sur les épaisses lattes du plancher. Des dizaines, des centaines de sifis furent bientôt réunies dans la salle devenue exiguë.

— Combien êtes-vous donc ? demanda Juanee, estomaquée.

— Un peu moins de sept cent, élèves exclus, répondit Henry.

— Sept cent... répéta Juanee, incrédule. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? À vous seuls vous auriez réduit à rien les forces ennemies en quelques années !

Ayant décelé l'accusation, Henry s'expliqua :

— Nous étions bien plus nombreux que cela, dans ma jeunesse. Plus d'un millier et demi. Ça n'a pas empêché les armées du seigneur de vaincre. Vous devez bien savoir ce qui est arrivé aux sifis d'Ernùn : ils se sont cru capables de vaincre ces légions, à une époque où nos pouvoirs se trouvaient inexplicablement bridés et fluctuants. Certains d'entre eux ont d'ailleurs trouvé refuge ici.

— Des gens d'Ernùn ? s'étonna Arpe. Nous ignorions à cette époque l'existence de Tigar.

— Ils sont cinq, si ma mémoire est bonne. Après la débâcle de l'attaque qu'ils ont mené, ils furent traqués sans relâche par les dragons. Ils ont pris des risques en traversant le désert, à la recherche de cette île, Nordhe, découverte tout récemment à l'époque. Mais ils ont dévié de leur route à cause d'une tempête et, après avoir perdu plusieurs des leurs, ils sont arrivés sur ces terres. Nous n'étions plus qu'une poignée ici aussi. Quand ils nous ont trouvés, nous avons partagé nos connaissances. Cet endroit est né de cette alliance. Nos pouvoirs faiblissaient encore et, après avoir terminé ce refuge nous l'avons scellé.

— Excusez-moi, intervint Gabriel. J'aurais une question à vous poser, Henry : pourquoi vous êtes-vous adressé à moi en particulier ?

— Tu sembles le plus puissant de votre groupe, malgré ton jeune âge. Ta présence s'est naturellement imposée à moi, en quelque sorte. D'ailleurs, je dirais que tu éprouves quelques difficultés à te contrôler, je me trompe ? ajouta-t-il, une étincelle d'espièglerie dans le regard. Nous pourrions t'aider sur ce point. Mais trêve de bavardages, nous avons beaucoup à faire !

Henry ordonna alors à tout le monde de se disperser et de remettre les choses en ordre dans la citadelle. Tous obéirent, sans question ni hésitation, trahissant une discipline surprenante. La masse des sifis eut quitté la pièce par les deux issues en deux ou trois minutes. Ils baillaient, s’étiraient et discutaient joyeusement comme après une courte sieste. Henry échangea avec quelques-uns de ses subalternes directs, puis il invita Juanee et les siens à le suivre. Ils se rendirent dans une salle adjacente qui occupait une bonne partie de l’étage et Henry invita ses hôtes à prendre place à ses côtés. Tout autour d'eux, ils ressentaient une grande agitation. Ils n'avaient jamais été aussi proches d'autant des leurs et ils en ressentaient une sensation étrange, un picotement à la fois dérangeant et rassurant.

— Nous allons tout remettre en état et, d'ici à quelque jours, nous passerons à l'action, annonça Henry. Vous aviez raison sur un point, tout à l'heure : nous avons suffisamment attendu.

— Comment comptez-vous procéder ? s'enquit Juanee.

— D'abord nous devons apprendre ce qui se passe à l'extérieur. Je compte sur vous pour me donner toutes les informations dont vous disposez.

— Je pense que les hommes de Roge auront bien plus à vous apprendre que nous, avoua Juanee.

Henry fronça aussitôt les sourcils.

— Des hommes ? De simples humains sans pouvoir ? Vous leur avez fait confiance ?

— Est-ce un problème ? Ce sont eux qui nous ont guidé jusqu'ici, répondit Juanee.

— Je désire voir leur chef immédiatement ! ordonna sèchement Henry.

— Envoyez donc quelqu'un les chercher, ils attendent sans doute juste devant le portail de la citadelle, répliqua Juanee sèchement.

Henry décela un reproche sous-jacent.

— Veuillez m'excuser, Juanee. Mais vous devez savoir que nous avons été trahis par ces hommes, dans le passé. Nous avons perdu beaucoup des nôtres à cause de cette trahison.

— Ces gens sont morts depuis très longtemps. Ils ont depuis eu le temps de souffrir pendant des générations, assez pour haïr le seigneur et ses hordes autant que vous et moi, exposa calmement Juanee. Je ne pense pas que Keneth Kinsmor ait la moindre intention de traîtrise.

— Kinsmor ? Vous êtes sûr ? s'étonna Henry.

— C'est ainsi qu'il s'est présenté, répondit Juanee.

— Les Kinsmor sont une des branches de la famille royale. Je ne pensais pas trouver de survivants lors de notre réveil. À vrai dire, nous les pensions déjà tous anéantis à mon époque. Quoi qu'il en soit, je désire tout de même le rencontrer. Guery, mon frère, et Sofia que voici sont deux membres de notre Conseil. Ils vous guideront dans la cité. Nous allons vous trouver un endroit où vous installer.

Henry s'inclina et se retira, laissant ses hôtes à ses conseillers. Guery et Sofia s'inclinèrent devant leurs invités.

— En attendant la suite des événements, nous allons vous trouver un endroit à vous. Ensuite vous pourrez aller et venir comme bon vous semble. Cela vous convient-il ? s’enquit la femme qui s’appelait Sofia.

Juanee et Arpe s'inclinèrent à leur tour, signifiant qu'ils acceptaient cette proposition. Ils suivirent donc leurs guides dans la citadelle jusqu’à ce qu'ils trouvent un endroit à leur convenance, une vaste demeure à l'extérieur du bâtiment principal. Dès que leurs guides furent partis, Juanee tint absolument à organiser un petit conseil au cours duquel elle exposa ce qu'elle espérait pour la suite et son opinion au sujet de Henry :

— Je le trouve assez peu sympathique, commenta-t-elle. Il agit avec nous comme si nous étions à sa botte.

— Si tu permets, Juanee, je voudrais dire qu'il ne faut pas oublier deux ou trois choses, commença Gabriel.

Après un signe d'approbation de la doyenne, il poursuivit :

— Nous sommes ici chez lui. Il est le chef de cette cité, chef de l'Ordre de Tigar, ce qui représente plusieurs centaines de sifis. Ne serait-il pas normal qu'il prenne les choses en main ? Sans parler de son expérience, il est clairement plus vieux que vous tous et issus d’une époque et d’une culture différente de la vôtre.

— Tu as raison sur ces points, Gabriel, répondit Arpe. Mais nous, de notre côté, ne devons pas oublier que par le passé justement, ils ont échoué. C'est nous qui les avons sortis de leur léthargie, nous encore qui sommes les ambassadeurs d'une armée susceptible de libérer ce pays. Linial va devoir se le rappeler.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire ; je pense que nous devrions nous montrer prudents. Ils ont été trahis par le passé, selon lui. Nous savons aussi que celui qui se fait appeler le Seigneur fut jadis un sifis, comme nous. Ce que je veux dire, pour cesser de tourner autour du pot : nous devrions nous méfier. Il est étrange que tant de sifis ne soient pas parvenus à vaincre l'ennemi. Encore plus qu'ils ne soient pas sortis plus tôt de leur... Enfin de cet état.

— Je ne pense pas que Linial soit un traître, objecta Urfis. Il m'a paru sincère.

— Dommage que Nihyr ne soit pas là, commenta alors Marli. C'est lui le plus doué d'entre nous pour ce qui est de trancher entre vérité, demi-vérité et mensonges.

— Très juste, Marli, reprit Juanee. D'ailleurs il faudrait le contacter au plus vite, à présent que nous sommes fixés sur ce qu'il y a ici.

Sur ces paroles de sa femme, Arpe se leva :

— Je vais de ce pas demander à sortir d'Auhongar dans ce but.

Il se mit immédiatement en route.

— Et maintenant, que faisons-nous ? demanda Ellohira.

— Nous attendons, répondit Juanee. Nous ne sommes plus les maîtres du navire à présent. Même si je n'aime pas trop Henry, son frère et cette Sofia m'ont paru un peu plus respectueux. Espérons que le conseil soit plus à leur image qu'à celle de son doyen.

En attendant l'heure du coucher, Gabriel accompagna Urfis dans une visite de la citadelle. Ils croisèrent beaucoup de monde affairé ça et là, nettoyant les habitations, puisant l'eau ou cherchant du ravitaillement. Mais ce qui intéressa le plus Gabriel, ce fut lorsqu'ils arrivèrent sur une place hérissée de poteaux de différentes tailles et plantés au premier abord un peu au hasard. De jeunes membres de L'Ordre de Tigar se tenaient sur les poteaux et s'invectivaient amicalement, se lançaient quelques quolibets tout en définissant un certain nombre de règles.

— Eh ! lança l'un d'eux à Urfis et Gabriel. Vous voulez vous joindre à nous ?

Urfis déclina poliment l'invitation, mais Gabriel se laissa guider par sa curiosité.

— Quelles sont les règles ? demanda-t-il au garçon.

— Tâche de rester en vie ! lança une fille d'une quinzaine d'années.

— Elle plaisante ! assura le garçon. Sylla a toujours le mot pour rire. Moi c'est Opra et toi, tu es le gars qui a rouvert la porte. Gabriel c'est ça ?

Gabriel opina du chef. Les nouvelles allaient vite, ici.

— Ça devrait pas te poser de problème, assura Opra. Tout ce que tu as à faire, c'est de rester sur les poteaux. Si tu tombes, tu as perdu.

Il y avait une quarantaine de poteaux et une douzaine de joueurs.

— J'imagine qu'il y a une complication, souffla Gabriel avec un sourire en coin.

— Tu vas vite comprendre ! lui assura Opra. Si tu tombes la première fois, on t'en voudra pas. Pas vrai les gars ? On lui accorde deux chances ?

Les autres acquiescèrent en affichant un sourire carnassier. Gabriel s'attendait à quelque chose d'impressionnant. Après tout, ces jeunes avaient sans doute reçu une formation ardue dès leur plus jeune âge, venant de sifis ayant connu la pleine puissance du Flux.

L'un des garçons s'empara d'une grosse pelote blanche d'aspect caoutchouteux. D'un geste, il l'embrasa et la lança de toutes ses forces vers la dénommée Sylla qui la renvoya avec tout autant de force vers un autre garçon, effectuant au passage une pirouette impressionnante. Chaque fois qu'un joueur renvoyait la balle, il changeait de poteau. Opra fit soudain un grand bond, interceptant la balle qu'il projeta vers Gabriel d'un coup de poing dévastateur. Ce dernier parvint à renvoyer la balle et à atterrir sur un poteau adjacent en conservant son équilibre. Il avait l'impression que la balle accélérait de plus en plus. Bientôt il se retrouva à batailler parmi les autres tentant de mettre à terre le premier qui osait le viser. Il fut finalement déstabilisé et tomba. Il ne restait plus sur les poteaux qu'Opra, Sylla et un autre garçon d'une quinzaine d'années.

— Deuxième chance, Gabriel. Tu te débrouilles pas mal pour une première partie, lança Opra.

Gabriel s'empressa de remonter sur le terrain et se lança à nouveau dans la mêlée mais fut de nouveau éliminé presque aussitôt. Finalement Opra fut éliminé à son tour.

— Comment il s'appelle, le gars ? demanda Gabriel à Opra.

— C'est Janshu, le fils de Henry. Tu sais, notre doyen. Lui et Sylla ont toujours été les plus forts à ce jeu.

Gabriel observa la finale avec un grand intérêt. Finalement, ce fut Sylla qui l'emporta, mais Janshu réclama aussitôt une revanche et une nouvelle partie débuta.

— Juste une petite précision, siouplaît ! On a le droit d'utiliser un peu nos pouvoirs ? demanda Gabriel.

— Bien sûr ! répondit Opra. C'est même fait pour. Pourquoi ? Tu ne l'as pas fait tout à l'heure ?

Gabriel se contenta d'afficher à son tour un sourire carnassier. Dès que la balle fut lancée, il se laissa doucement envahir par le Flux. Il se contenta de maintenir la pression jusqu’à ce que, comme la partie précédente, il ne reste plus qu'Opra, Sylla et Janshu en plus de lui-même.

— On va pas te faire de cadeau ! cria Sylla en envoyant la balle vers Gabriel qui la renvoya sans problème.

Depuis qu'il se laissait aller à utiliser ses pouvoirs, le jeu lui semblait bien plus facile. La balle semblait plus lente, plus prévisible et plus légère. Lorsqu'Opra fut tombé lui aussi, Gabriel tenta de s'en tenir à son niveau de pouvoir, mais Sylla et Janshu déployaient toute leurs technique pour le faire tomber. Alors il se laissa aller à un peu plus de fantaisie et durant un court instant il laissa libre court à cette énergie qui semblait ne jamais vouloir tarir. Il ne lui fallut pas dix secondes pour éliminer Sylla. À peine dix de plus pour faire tomber Janshu.

— Et bien les amis, commenta Opra, impressionné, je crois que nous avons trouvé notre maître à tous !

Gabriel accepta les compliments avec humilité.

— Pourquoi ai-je l'impression que tu t'es retenu ? lui demanda Sylla.

— J'avais peur de vous tuer, répliqua Gabriel, tentant d'avoir l'air terrifiant, ce qui fit bien rire tous les gamins.

— Ça te tenterais une dernière partie, sans retenue ? demanda Janshu.

— Eh bien pourquoi pas...

— Gabriel, laisse ces pauvres gosses vivre une journée de plus ! plaisanta Urfis. Nous devons rentrer, Juanee veut nous voir.

— Ah ? Zut... Une autre fois alors, Janshu.

Gabriel s'en alla sous des quolibets et des suppliques destinées à le faire rester, mais le regard qu'Urfis avait eu en lui parlant de Juanee l’intriguait.

— Que se passe-t-il ?

— Arpe est revenu, il doit avoir des nouvelles de Nihyr et de ce qui se passe dans le Nord. Ça faisait longtemps que nous n'avions pas eu l'occasion de vraiment avoir une discussion un peu plus longue. Et Ellohira t'as réclamé aussi, ajouta Urfis, une lueur dans le regard.

— Pourquoi vous prenez tous cet air là quand vous me parlez d'Ello ? Nihyr fait pareil...

— Quel air ? s'indigna Urfis, affichant une expression de parfaite innocence.

— Celui-là n'est pas mieux, soupira Gabriel.

Urfis partit d'un grand rire, puis le félicita pour ses performances sportives en lui assénant une grande tape dans le dos.

— Tu parles, je n'ai fait aucun effort, avoua Gabriel. Je m'attendais à ce que ces gamins soient bien plus forts que moi. Je me suis contenté de laisser mes, euh... "Fuites" tout faire toutes seules.

Urfis rit de plus belle.

— Ne t'attend pas à trouver plus puissant que toi partout où tu vas. Tu pourrais avoir plus confiance en notre jugement, quand nous te disons que tu es un sifis exceptionnel.

— Je pensais juste qu'il y aurait plus de sifis exceptionnels ici qu'ailleurs, répliqua Gabriel, boudeur.

— Eh ! Si je ne te connaissais pas aussi bien, je penserais que tu es déçu !

— Un peu, admit Gabriel. Nous voilà arrivés, allons écouter les nouvelles.

À l’intérieur, tous les autres attendaient le retour de leurs deux compagnons avant de commencer. Dès qu'ils furent installés autour d'une table, un verre à la main, Arpe prit la parole :

— Les nouvelles sont plutôt bonnes. Les forces de Nordhe se sont révélées plus importantes que nous ne le pensions. Leurs engins de guerres sont aussi bien plus perfectionnés que les nôtres d'après Nihyr.

— Et il s'y connaît, commenta Urfis. Ce doit être impressionnant.

— Oui, il m'en a montré quelques images. Il était d'ailleurs assez excité en me les montrant pour que je ressente son enthousiasme. Du côté d'Ernùn, la reconstruction d'Azulimar suit son cours et celle de Terdrasill devrait bientôt débuter, avec quelques modifications, bien entendu.

— Et en ce qui concerne les troupes ? demanda Juanee. Je veux avoir le plus de détails possibles à transmettre au doyen.

— Nous n'avons pas pris le risque de nous éterniser. Mais j'ai compris que Torgar engageait au moins le Nebu, un autre vaisseau de même classe et leurs escortes. Ce qui représente déjà dix aéronefs, dont deux véritables forteresses volantes. Il doit y en avoir d'autres, mais Torgar engage principalement des vaisseaux. Ils n'enverront pas de troupes en nombre.

— Et Ernùn ?

— Galdrill devrait venir en personne à bord d'un nouvel aéronef baptisé Le Renaissance. Il est plus ou moins de même classe que le Nebu, mais de fabrication Erniane. En dehors de ça, il va engager le peu de croiseurs qu’il nous restent, sept, d'après ce que je sais. Mais environ vingt mille hommes suivront ; la Garde, le corps des Colosses, les lanceurs de feu de Wort, des mages etc... La crème, en somme.

— Et pour Nordhe, nous n'avons rien d'autre que "Waouh, c'est impressionnant" ? demanda Juanee sur le ton du reproche.

— Ne condamne pas Nihyr pour ça. C'est moi qui n'ai pas voulu éterniser le contact. Nous ne devons pas risquer d'être repérés. Tout ce que je sais, c'est que Nihyr n'est pas impressionnable et qu'il l’est. J’essaierai d'en savoir plus la prochaine fois que nous aurons un contact.

— Quand le prochain rendez-vous est-il convenu ?

— Demain à l'aube, comme nous l’avions initialement prévu, indiqua Arpe. Et tâche de te détendre un peu, on dirait un arc.

Juanee tiqua. Recevoir une remarque sans rien dire ne lui ressemblait pas, surtout en plein conseil. Pourtant, après un instant d'hésitation, elle laissa échapper un long soupir et sourit à son époux. Celui-ci lui prit la main.

— Nous avons mis fin à sept siècles de guerre et d'occupation à Ernùn. Et nous allons bientôt mettre un terme ici même, à Tigar, à un millénaire de la même situation, commenta Arpe. Nous devrions nous réjouir.

— Nous ne devrions pas partir du principe que nous avons déjà gagné, lui reprocha gentiment Juanee. Et tu comprendras que la responsabilité qui pèse sur nos épaules, et les miennes en particulier, sera très lourde en cas d’échec.

— Nous mettrons toutes les chances de notre côté, intervint Ellohira d'un ton rassurant.

— Et n'oublions surtout pas que cette fois, la tornade humaine Gabriel sera dans les rangs ! ajouta Urfis en levant son verre à la santé de Gabriel, après quoi, il siffla le liquide d'un trait, ce qui parvint à arracher un rire à la doyenne.

— Au nouveau maître dans nos rangs, dit-elle en levant à son tour son verre en direction du garçon.

Tous les autres l'imitèrent, y compris l’intéressé, qui s'empressa de vider le sien afin de faire passer son rougissement sur le compte de l'alcool.

***

Dans la citadelle, Henry Linial, accompagné de plusieurs membres de son conseil, recevait Keneth Kinsmor et quelques suivants.

— Vous comprendrez ma réticence à vous faire confiance, disait le doyen à l'héritier de la couronne. Je pense que vous avez eu connaissance de cette désastreuse trahison qui nous a poussé jusque dans cette situation.

— Je connais l'histoire du dernier des Mernore. C'était un lâche, avide et stupide en plus d'être un traître devant son peuple. Mais bien des années se sont écoulées depuis. Notre peuple a enduré un millénaire de souffrances. Croyez-moi si je vous dit qu'il sera ravi de se voir débarrassé de ce "Seigneur", de l'émissaire et de toute la vermine qui les servent.

Henry jeta un regard furtif vers Sofia, qui lui rendit son regard, accompagné d'un signe de tête imperceptible. Elle n'avait pas son pareil pour démasquer les menteurs.

— Si nous décidons de vous faire confiance, qu'y gagnerons-nous ?

— Une gratitude éternelle et sans borne, en plus des milliers d'hommes prêts à se battre et de nombreux jeunes mages, que nous sommes parvenus à soustraire au massacre en les cachant dans les grottes autour de cette cité, répondit Keneth sans détour. Peut-être y a-t-il même quelques sifis dans le lot.

Henry sourit largement.

— Monseigneur, dit-il, ne me parlez pas comme à un supérieur, ou un égal. Je suis un sifis, simple membre de l'Ordre Hovack de Tigar. À ce titre, je suis au service du peuple que vous gouvernez. Que nos prochaines relations soient bâties autour de ce principe.

Henry tendit son bras vers Keneth, qui s'empressa de le serrer, selon une coutume désuète depuis plusieurs siècles.

— À présent, je n'ai plus qu'à vous conseiller de vous tenir prêt, Keneth, conseilla Henry. J'ai encore des choses à régler avec nos visiteurs d'Ernùn. Je vous invite à rester dans les parages. Les choses pourraient avancer plus vite que vous ne vous y attendez.

Keneth s'inclina devant le doyen, qui lui rendit son salut, puis se retira, guidé par un des membres du conseil.

— Guery, fais mander leur doyenne. Je souhaite qu’elle vienne me faire part des dernières nouvelles.

— Bien sûr. Tout de suite, Henry.

Linial s’approcha d’une fenêtre. Par delà le verre irrégulier, la citadelle s’étendait, floue. L’avenue et quelques passages étaient de nouveau éclairés de cette lumière bleutée, caractéristique des lampes à cristaux. Il soupira. S’il se trompait, ce serait la fin d’Auhongar, des Sifis et, sûrement, de tout espoir.

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