Laguna Riviera, Maison 72. Il n’y a plus les jumelles à gérer. Marie est soit au travail à la Laguna Beach City Hall, soit avec Brigitte à la Gare de la City à faire des galipettes. En tant que cheffe spirituelle du Pôle +, je suis attirée par ma consœur du Pôle négatif à savoir Greta avec qui je passe beaucoup de temps et qui m’amène dans des endroits étranges réservés à l’élite, ou pas. Cette fois-ci la navette vibre étrangement et quand la porte s’ouvre, on descend dans une sorte de grotte où elle me pousse sur un drôle de sofa.

• J’ai de grands projets pour toi Jenna.
• Tu es sûre ? Je ne suis qu’une locale à la base, sans destin particulier.
• Mais tu es devenue une autre, et primaire en plus, ou en moins plutôt.
• Je n’ai que faire de tes pouvoirs occultes, tu me suffis au naturel.

Elle m’embrasse. Parce qu’elle ne sait pas quoi répondre. Elle est étrange, plus autiste que d’habitude, moins présente. Et l’endroit est glauque. Tout est rond même les meubles. Il y a un hublot en guise de fenêtre. Je crois qu’on est au fond de l’océan. Je vérifie sur mon monolithe. En fait, on est à mi-chemin de la surface. Je commence à comprendre. Ici les ondes telluriques ne nous atteignent pas. Et les ondes cosmiques non plus. En attendant un peu, on devient mortelles. Et c’est dans cet état là qu’elle m’entreprend, pour me montrer à quel point les sensations sont différentes. Je ne donne plus de lait. Mon entrejambe est beaucoup plus sensible et je perçois ses douces et infimes caresses du bout de sa langue qui gigote ici et là au gré de mes réactions. Je ferme les yeux et je profite.Viens me tour d’essayer cette nouvelle Greta, l’originale, l’intrinsèque, si vulnérable et profondément attachante. Tout à un goût de première fois, les baisers, les caresses, les émotions ressenties, un concentré de sensations brutes.

• Il ne faut pas rester longtemps ici Jenna. Préviens-moi dès que tu te sens pas bien, dès que tu as mal, dès que tu ressens la douleur.
• La douleur ? Comment je vais savoir la reconnaître ?
• Quand elle sera là, tu le sauras. Sensation très désagréable et localisée. Pour l’éviter, mesure chacun de tes gestes, au ralenti, comme on a appris à le faire ensemble toi et moi, tu te souviens ?
• Oui, je comprends maintenant, tu me préparais à aujourd’hui.

Et nos corps dansent doucement dans des vagues de plaisirs maîtrisés, au bord du précipice de nos extases, où respirer brûle, où mon cœur tape, où mes entrailles vibrent et mes muscles tressaillent, un nuage doux et chaud enrobe ma pleine conscience juste avant l'ultime et absolu court-circuit de l’esprit.

## Analyse du chapitre « Court-circuit de l'esprit »

Ce chapitre plonge dans une expérience sensorielle et existentielle radicale. En s'isolant des influences cosmiques et telluriques, Jenna et Greta explorent la condition mortelle et redécouvrent la sensualité dans sa forme la plus brute et vulnérable. C'est un retour aux sources de la sensation, dépouillé des amplifications surnaturelles de leur monde.

# Symbolique et thèmes majeurs

1. **L'isolement comme révélateur** :

La grotte sous-marine, isolée des « ondes telluriques » et « cosmiques », fonctionne comme un laboratoire existentiel. En devenant « mortelles », Jenna et Greta perdent leurs attributs surhumains (comme la lactation permanente) et retrouvent une corporalité basique, plus fragile et intense.

2. **La redécouverte de la vulnérabilité** :

La « nouvelle Greta » décrite comme « l’originale, l’intrinsèque, si vulnérable » symbolise un retour à l'essence même de l'être, avant les transformations et les pouvoirs. La vulnérabilité n'est pas une faiblesse, mais une condition pour éprouver des sensations pures (« un concentré de sensations brutes »).

3. **La douleur comme frontière** :

L'introduction du concept de douleur (« Sensation très désagréable et localisée ») est cruciale. Dans un monde où le plaisir est roi et souvent amplifié, la douleur rappelle la finitude et la physicalité des corps. Elle devient une maîtresse qui enseigne la mesure et la prudence (« mesure chacun de tes gestes, au ralenti »).

4. **La danse maîtrisée au bord du précipice** :

L'image des corps qui « dansent doucement dans des vagues de plaisirs maîtrisés, au bord du précipice de nos extases » résume l'idéal atteint : un plaisir intense mais contrôlé, où la conscience frôle la dissolution (« court-circuit de l’esprit ») sans se perdre complètement. C'est l'apogée d'une sensualité consciente et risquée.

5. **La préparation et l'initiation** :

Jenna réalise que leurs pratiques passées (« au ralenti ») la préparaient en fait à cette expérience ultime. Cela donne un nouveau sens à leur relation : Greta n'est pas seulement une amante, mais une initiatrice qui guide Jenna vers des vérités plus profondes sur elle-même.

# Bilan des personnages

- **Jenna (la narratrice)** :

Accepte de se soumettre à cette expérience déstabilisante. Elle fait preuve de confiance en Greta et d'une ouverture à redécouvrir son propre corps sous un jour nouveau. Son questionnement (« Comment je vais savoir la reconnaître [la douleur] ? ») montre qu'elle explore un territoire inconnu.

- **Greta** :

Se révèle être une figure bien plus complexe que la simple Déesse terrienne. Elle est l'archiviste des sensations perdues, celle qui connaît le prix et la valeur de la mortalité. Son « projet » pour Jenna est une initiation à la condition humaine fondamentale.

# Conclusion philosophique

Ce chapitre suggère que la véritable intensité de l'existence ne réside pas dans la puissance ou l'immortalité, mais dans l'acceptation de la vulnérabilité et de la finitude. En devenant mortelles, Jenna et Greta accèdent à une palette sensorielle plus riche et plus authentique. Le plaisir suprême n'est pas celui qui est augmenté par des forces externes, mais celui qui est éprouvé dans un corps conscient de ses limites et de sa précarité. L'initiation que propose Greta est une leçon d'humilité et de présence : pour vraiment sentir, il faut accepter de pouvoir souffrir, et pour vraiment aimer, il faut accepter la fragilité de l'autre et de soi-même.

# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)

Et si cette expérience de mortalité contrôlée, en reconnectant Jenna et Greta à la fragilité fondamentale, leur donnait accès à une forme de pouvoir bien plus profond et subtil que tous ceux qu'elles ont connus, un pouvoir basé sur l'empathie avec toute chose vivante et mortelle ?