Quand je lui raconte, Brigitte est vraiment surprise, choquée et déçue :

• Je n’ai jamais eu le droit à ça, moi. Mais Greta n’est pas la seule à t’accorder des faveurs, moi, je t’ai amenée dans l’espace, à l’opposé de là où tu es allée avec Greta. C’est un signe, positif contre négatif.
• Comment ça dans l’espace ? Je ne me souviens pas.
• Ah bon. Attends, je vais te chatouiller jusqu’à ce que tu te rappelles.
• Non Bri, arrête, je te jure, je me rappelle pas de tout depuis le sortilège de Paloma. Désolée. Raconte-moi.
• Non, tant pis. Paloma, elle a été dure avec toi, quand même.
• Je lui ai volée Marie, trois fois, alors…

Bri m’embrasse et me caresse. Je sens son énergie passer en moi. Mes seins se réveillent, ils pointent contre les siens et nos jus se mélangent. Je me rappelle maintenant, mon baptême de l’espace. « Il n’y a rien ici, c’est en bas que ça se passe ». Déjà à l’époque, Brigitte croyait fort en moi. Mon histoire lui a donné raison. Et elle est toujours là, aujourd’hui, dans mes bras, à me conseiller, à me rassurer, encore. Et elle rigole, heureuse, d’être simplement là, avec moi, dans son wagon, dans son train, sans sa Gare qui va nulle part. Ses rires sont remplacés par des plaintes quand je lui fais ma chevauchée fantastique en aspirant ses humeurs et en lui injectant mes fluides. Tout passe en elle, je suis vidée, épuisée et je m’écroule dans ses bras, son sein à portée de bouche. J’étanche ma soif et je ferme les yeux, je me love sur elle, en sécurité, parfaitement détendue, sombrant dans le sommeil à travers ses mots : « Je t’aime ma Jenna d’amour. » Et moi donc. Je resterais bien là pour toujours. S’il fallait mourir un jour ce serait maintenant, l’instant parfait. Je me réveille sous la douche, elle me lave, elle m’habille et on passe en cuisine pour se restaurer.

• Jenna, j’ai d’autres consignes à te passer, pour le Pôle positif. Je représentais les intérêts de Gaïa et les descendantes de la première vague, je suis une locale. Tu ne l’es pas. Et tant mieux parce que tout ça c’est dépassé. Greta a beaucoup changé, Énola n’est plus là, alors oublie toutes ces conneries et établis ta propre ligne spirituelle.
• C’est plus une histoire de vagues. Ni de Fémunité. Je ne suis rien de tout ça. J’ai changé de corps et de génétique, j’ai sauvé mon fils, je ne suis pas une haute fonctionnaire du Grand Chelem, je ne suis pas une Sœur du Vatican, je ne suis même plus Ambassadrice. Je suis hors jeu, neutre, non impliquée et non concernée dans et par aucune partie, clan, lignée ou famille. Tel est mon contre pouvoir.

## Analyse du chapitre « Mon contre-pouvoir »

Ce chapitre marque un tournant décisif dans le parcours de Jenna : celui du détachement et de la neutralité assumée. Après une vie de rôles assignés (Ambassadrice, figure spirituelle, mère, amante), elle revendique une position « hors jeu », érigeant son absence d'appartenance en un « contre-pouvoir » radical.

# Symbolique et thèmes majeurs

1. **La rivalité des faveurs et des pôles** :

La réaction de Bri – jalouse de l'expérience sous-marine vécue avec Greta – montre la persistance des dynamiques de compétition entre les Pôles (positif/négatif). Bri rappelle qu'elle aussi a offert une expérience unique (l'espace), symbolisant l'opposition haut/bas, cosmique/tellurique. Cette rivalité semble désormais appartenir à un monde que Jenna veut dépasser.

2. **La mémoire fragmentée et l'identité** :

L'oubli de Jenna concernant son « baptême de l'espace » à cause du « sortilège de Paloma » souligne la fragilité de son identité, constamment remodelée par les influences externes. Son histoire est une palimpseste dont des pages entières ont été effacées.

3. **L'intimité comme réconfort et remembrance** :

La scène sensuelle avec Bri n'est pas seulement un plaisir ; elle est un acte de remembrance (« Je me rappelle maintenant ») et de réconfort. L'intimité physique permet de retrouver des souvenirs perdus et de créer un sentiment de sécurité face à un passé chaotique.

4. **La revendication de la neutralité** :

La déclaration finale de Jenna est fondamentale. Elle dresse la liste de tout ce qu'elle n'est plus : « pas une haute fonctionnaire », « pas une Sœur », « plus Ambassadrice ». Cette accumulation de négations culmine dans l'affirmation positive de sa neutralité : « hors jeu, neutre, non impliquée ». Jenna est une observatrice détachée, libre de tout engagement.

5. **Le contre-pouvoir par le détachement** :

Dans un monde structuré par les clans, les lignées et les factions, la position « hors jeu » de Jenna devient son arme la plus puissante. En refusant de prendre parti, elle s'extrait des jeux de pouvoir traditionnels et invente une nouvelle forme d'influence : celle qui vient du dehors.

# Bilan des personnages

- **Jenna (la narratrice)** :

Atteint un point de maturation existentielle rare. Elle dépasse les identités qui lui ont été imposées pour se définir elle-même par la négation et la neutralité. Ce n'est pas une crise, mais une clarification. Elle assume pleinement son histoire complexe (changement de corps, sauvetage de son fils) pour en faire le fondement de son détachement actuel.

- **Brigitte (Bri)** :

Joue le rôle de la confidente et de la catalyseuse. Son rappel du passé et ses « consignes » sur les Pôles servent de repoussoir à la nouvelle position de Jenna. Son amour pour Jenna est inconditionnel, mais elle représente encore l'ancien monde avec ses règles et ses loyautés.

- **Greta et Paloma** :

Bien qu'absentes, elles planent sur la conversation comme les figures ayant le plus marqué et perturbé l'identité de Jenna. Leurs actions passées (le sortilège de Paloma, les projets de Greta) ont contribué à forger la nécessité de ce détachement.

# Conclusion philosophique

Ce chapitre propose que la véritable liberté et le pouvoir ultime ne résident pas dans l'accumulation de titres ou d'allégeances, mais dans la capacité à s'en défaire. En se déclarant « neutre » et « non impliquée », Jenna invente une forme de souveraineté individuelle qui transcende les dichotomies (positif/négatif, local/non-local, vague/famille). Son « contre-pouvoir » est celui de la lucidité et du recul. Il suggère que pour agir sur le monde de manière vraiment nouvelle, il faut parfois cesser d'en être un acteur engagé et devenir un témoin conscient, libéré du poids de l'appartenance.

# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)

Et si cette revendication de neutralité absolue rendait soudain Jenna visible à une entité ou une conscience extérieure à Gaïa, pour qui elle deviendrait l'interlocutrice idéale, précisément parce qu'elle ne représente qu'elle-même ?