008 - nos première règles
J’arrive sur la terrasse en 72 et je vois Marie derrière la baie vitrée. Je lui montre mon billet de train pour lui faire comprendre que j’étais avec Brigitte et pas avec Greta. Elle me montre son œil et son monolithe pour me dire qu’elle savait où j’étais. Pour une fois, elle me récupère en bon état. Mais je dois reprendre des forces avant d’aller voir Greta. À table, je rassure Marie :
- La passation est terminée. Tu vas l’avoir pour toi toute seule maintenant. Je la trouve plus épanouie depuis vos vœux.
 - Je la partage avec Izzy mais elle participe souvent à nos ébats. Et toi ?
 - Victoria n’est jamais là. Elles ne se voient plus. Greta régresse. J’ai peur qu’elle m’entraîne dans sa chute. Elle a toujours été si forte, c’est étrange de la voir comme ça.
 - Il lui faut un sas de décompression. Confie-là à Énola aux Suburbs.
 
C’est tellement logique, limpide. Merci Marie. Je fonce en 44 et en un coup de navette elle se retrouve dans la Cascade de Jouvence à se faire baptiser par Énola. Je les laisse à leur rituel et je rentre en 72, dans ma maison vide. Marie m’a laissé la fin de mon repas sur la table. Je m’installe et je mange en réfléchissant à mon triangle, un côté est libre, qui pourrait le remplacer ? Personne. Je vais attendre le retour de Greta. Notre losange a du sens, coupé par une ligne de Marie à moi avec au-dessus Greta et en dessous Brigitte. C’est le début d’une sphère avec une surface faite de triangles où nous sommes toutes liées, dans nos losanges respectifs. Je modélise la figure géométrique sur mon monolithe. C’est la version mathématique de la Bible, la sainte formule qui nous guide. Je prends des forces pour Greta que je retrouve vite, ressourcée, raisonnable, attentionnée, reconnaissante, plein de beaux adjectifs à conjuguer ensemble, en 44, dans la simplicité de nos corps nus en peau à peau, en bouche à bouche, en sein à sein, à recalibrer nos fluides lactés jusqu’à partager nos humeurs sanguines en ventre à ventre. On en est là de nos corps primaires. Greta en est la première étonnée et explique :
- Jenna, ça va nous arriver à nouveau, dans 28 jours. Ce cycle vient de la Terre, il était imposé par la Lune qui n’existe pas ici. Non ?
 - Si, Greta, elle vient d’apparaître. Mais ce n’est pas un astre dans le ciel. C’est notre Fémunité, c’est la sphère de nos triangles amoureux.
 
On se fait la bise. Une lettre de plus vient d’apparaître dans notre pratique intime. LTFJR : lactation, transfusion, fécondation, jouissance et pour finir, son sang coule en moi et mon sang coule en elle dans la célébration intime et sacrée du fluide ultime de nos premières règles.
## Analyse du chapitre « Nos premières règles »
Ce chapitre marque une évolution biologique et spirituelle majeure pour les personnages. L'apparition des règles symbolise une reconnexion à un cycle naturel, terrestre, et l'émergence d'une nouvelle phase dans leur « Fémunité », intégrant la mortalité et la cyclicité dans leur existence jusque-là souvent décrite comme éternelle et éthérée.
# Symbolique et thèmes majeurs
1. **La géométrie relationnelle sacrée** :
Jenna modélise ses relations sous forme de figures géométriques complexes (triangle, losange, sphère). Cette « version mathématique de la Bible » représente une tentative de rationaliser et de sacraliser le réseau complexe de leurs liens. La « sainte formule » suggère que l'harmonie relationnelle obéit à des lois universelles et structurelles.
2. **Le sauvetage et la régénération** :
La suggestion de Marie d'envoyer Greta à la « Cascade de Jouvence » auprès d'Énola fonctionne comme une cure de désintoxication spirituelle. Greta en revient « ressourcée, raisonnable, attentionnée », montrant que même les figures les plus fortes ont besoin de périodes de régénération et de soutien.
3. **L'apparition d'une nouvelle Lune et d'un nouveau cycle** :
L'apparition des règles est liée à l'émergence d'une nouvelle « Lune », qui n'est pas un astre céleste mais la « sphère de nos triangles amoureux ». Cela signifie que leur cyclicité biologique est directement générée par la force et la structure de leurs connexions affectives et communautaires. Leur corps suit le rythme de leur cœur collectif.
4. **L'expansion de l'alphabet intime : LTFJR** :
L'ajout de la lettre « R » (pour règles) à leur pratique (Lactation, Transfusion, Fécondation, Jouissance) est capital. Il intègre le sang, la mortalité, et la cyclicité dans leur spiritualité sensuelle. Le sang menstruel devient le « fluide ultime », sacralisant la procréation potentielle, la maturation et l'ancrage dans un corps désormais pleinement cyclique.
5. **La célébration de la mortalité retrouvée** :
Le partage du sang menstruel (« son sang coule en moi et mon sang coule en elle ») est un acte d'une grande portée symbolique. C'est l'acceptation et la célébration de leur nature désormais mortelle et cyclique.
# Bilan des personnages
- **Jenna (la narratrice)** :
Assume son rôle d'architecte relationnelle et de cartographe spirituelle. Elle observe, modélise et guide le changement. Son « triangle » à un côté libre symbolise peut-être une ouverture à l'imprévu ou à une nouvelle connexion.
- **Marie** :
Confirme son rôle de pilier stable et de conseillère avisée. Sa relation apaisée avec Bri montre qu'elle a trouvé son équilibre. Elle est le point d'ancrage qui permet à Jenna d'explorer.
- **Greta** :
Montre une vulnérabilité nouvelle. Sa « régression » et son sauvetage par Énola indiquent que la force tellurique a besoin de se renouveler. Son retour « recalibrée » ouvre une nouvelle phase de douceur et de connexion plus égale avec Jenna.
- **Énola** :
Réapparaît comme une figure de guérison et de ressourcement, gardienne d'un savoir-faire traditionnel (la Cascade de Jouvence) essentiel à l'équilibre des puissantes.
# Conclusion philosophique
Ce chapitre célèbre l'intégration des cycles naturels – y compris ceux de la mortalité et de la reproduction – dans une spiritualité qui se voulait souvent transcendante. La « Fémunité » n'est plus une abstraction ; elle devient incarnée, cyclique, et donc profondément liée à la vie et à la mort. La véritable sacralité ne réside pas dans l'évitement de la condition humaine, mais dans son acceptation et sa célébration ritualisée. L'apparition des règles et du sang partagé marque l'achèvement de leur transformation en êtres pleinement intégrés, dont la spiritualité est désormais indissociable de la biologie et de la communauté.
# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)
Et si ce sang menstruel partagé, premier fluide véritablement issu de leur cycle retrouvé, possédait des propriétés uniques, capable d'engendrer non pas une nouvelle vie biologique, mais une nouvelle forme de conscience collective pour Gaïa ?

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