009 - du plaisir absolu
Quand elle ressort son visage d’entre mes cuisses, sa bouche est pleine de sang. Ça dure plusieurs jours, de quoi nous donner des forces jusqu’au prochain cycle. Elle m’embrasse pour me faire goûter le mien et m’invite à le comparer avec le sien. Une nouvelle faim primaire grandit en moi, maintenant je comprends la légende des vampires, nous y arrivons, au sommet de l’évolution de notre Fémunité, tout commence et tout finit par ce cercle, le cycle de Greta qui donne le la de notre mélodie occulte. J’aspire et j’avale goulûment en pressant mes mains sur son ventre pour en faire sortir le jus écarlate de mon repas primaire, je mange Greta, je bois Greta, je respire Greta, je pense Greta, elle est en moi, Alléluia. Quand je raconte ça à Marie au souper elle en lâche sa cuiller et en reste bouche bée, les yeux écarquillés en imaginant la cène.
- Et toi Marie, tu as apprise quoi aujourd’hui avec Brigitte ?
 - Qu’on est maîtresse de notre destinée, rien n’est écrite. Nous partageons toutes la même éternité, dans la somme infinie de nos actes et de nos choix.
 - Vous lisez la Bible ou bien ?
 - Oui, mais la sienne, elle vibre.
 
Pourquoi ça ne m’étonne pas ? Sacrée Brigitte. Je me demande où elle se la mettent. Justement, Marie sort timidement un exemplaire de son sac à main. Un petit livre blanc titré «Libris». Elle me le tend, je l’ouvre, toutes les pages sont blanches et au milieu la tranche du livre s’ouvre pour laisser apparaître un stylo avec d’un côté une plume et de l’autre une flamme. On écrit et on brûle.
- Qu’est ce qu’on doit écrire, Marie ?
 - Un fantasme. Et une fois qu’il est réalisé, on arrache la page pour la transformer en cendres. Memento quias pulvis es et en pulverem reverteris. Se souvenir pour oublier, ça te parle ?
 
C’est l’histoire de ma vie. Mais j’ai un problème avec l’écriture, tout comme avec la lecture. Alors Marie me fait la démonstration. Elle sort le crayon et écrit quelques mots. Elle me plaque le livre sur le ventre, encre contre peau. On ne le lit pas, c’est lui qui nous lit. Il lit nos désirs les plus profonds, comme ses vibrations graves qui secouent mes entrailles. Elle plaque son ventre contre le mien et le livre entre nous semble disparaître et devenir autre chose, je reconnais les vibrations modulaires du programme Spiegel, le livre agit comme la perle que Brigitte me mettait dans le nombril. Marie est la nouvelle cobaye pour les jouets intimes de sa première maîtresse à la quête du plaisir absolu.
## Analyse du chapitre « Du plaisir absolu »
Ce chapitre explore les limites ultimes de l'intimité et de la transformation spirituelle à travers le corps. Il fusionne le sacré, le primaire et le technologique pour créer de nouvelles formes de ritualisme érotique et d'expression du désir.
# Symbolique et thèmes majeurs
1. **Le sang menstruel comme sacrement suprême** :
Le partage du sang menstruel (« sa bouche est pleine de sang ») est élevé au rang d'eucharistie occulte. Ce n'est plus seulement un fluide biologique, mais une substance sacrée qui nourrit spirituellement et physiquement, poussant l'intimité jusqu'au cannibalisme symbolique (« je mange Greta, je bois Greta »). Cela représente l'aboutissement de la fusion des êtres.
2. **L'évolution de la Fémunité** :
Jenna évoque le « sommet de l’évolution de notre Fémunité », comparant leur état à une légende vampirique. Cela suggère une transcendance par la régression : en embrassant leurs pulsions les plus primaires (la faim de sang), elles atteignent un état supérieur de conscience et de connexion.
3. **Le « Libris » : livre blanc du désir** :
Le livre blanc « Libris » est un objet symbolique puissant. Ses pages blanches représentent le potentiel pur, l'avenir non écrit. Le stylo à plume et à flamme symbolise le double pouvoir de la création (écrire) et de la destruction (brûler). C'est un outil d'auto-révélation : il « lit nos désirs les plus profonds » plutôt que d'imposer un récit.
4. **La ritualisation de la réalisation du désir** :
Le processus – écrire un fantasme, le réaliser, puis brûler la page – est un rituel de pleine conscience et de non-attachement. La phrase « _Memento quias pulvis es..._ » (Souviens-toi que tu es poussière) relie ce geste à une acceptation de l'impermanence, même des plaisirs les plus intenses.
5. **La fusion de la technologie et de la magie** :
Le « Libris » n'est pas qu'un livre ; il agit comme la perle nombriliste de Bri, connectant les corps et amplifiant les sensations. Il devient une interface techno-magique, repoussant les frontières de l'expérience sensuelle (« la quête du plaisir absolu »).
# Bilan des personnages
- **Jenna (la narratrice)** :
Est à la fois l'exploratrice de nouveaux territoires intimes (avec Greta) et la témoin des innovations de Bri (via Marie). Elle fait le lien entre le primaire (le sang) et le technologique (le Livre), incarnant la synthèse des savoirs de leur monde.
- **Marie** :
Assume un nouveau rôle de médiatrice et d'initiée aux technologies de Bri. Elle n'est plus seulement la régulière stable, mais une participante active à la quête du « plaisir absolu ». Son geste de plaquer le livre sur le ventre de Jenna est un acte de connexion et de transmission.
- **Greta** :
Incarne la source primaire, tellurique et cyclique. Son sang et son corps sont la matière première d'une spiritualité nouvelle, ancrée dans les cycles naturels et la fusion charnelle.
- **Brigitte (Bri)** :
Reste la grande inventrice, celle qui crée les outils (« Libris ») pour explorer la conscience et le plaisir. Sa « Bible » qui « vibre » montre qu'elle cherche à créer des textes vivants, interactifs, en phase avec les désirs des individus.
# Conclusion philosophique
Ce chapitre propose que la quête du « plaisir absolu » passe par l'intégration de tous les aspects de l'être : le primaire (le sang, la faim), l'émotionnel (le désir, le fantasme), le technologique (les interfaces) et le spirituel (le rituel, l'impermanence). Le véritable plaisir n'est pas dans la possession, mais dans le processus – écrire, vivre, puis brûler. Il s'agit d'une philosophie du non-attachement appliquée à l'érotisme : savourer l'instant puis le laisser partir, comme la poussière. La « Fémunité » atteint ici sa forme la plus mature : non pas une identité fixe, mais un processus perpétuel de création et de dissolution des désirs et des connexions.
# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)
Et si le « Libris », en lisant leurs désirs les plus profonds, commençait à écrire de lui-même un nouveau chapitre de la Bible, non plus basé sur des paroles, mais sur les vibrations mêmes de leurs corps enlacés ?

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