010 - le calendrier des Pôles
Je me regarde nue devant le grand miroir. Une belle brune, fine, aux longs cheveux volumineux. Mes seins sont presque trop gros, Marie et Greta n’en ont pas assez bu. Je souris et je m’approche pour inspecter mes dents. Je n’ai rien d’une vampire, pour l’instant. Mais j’ai plus de tâches de rousseur. Mes yeux sont si noirs… Je recule et je me mets de côté pour inspecter mes fesses que je bombe, je suis une bomb ass. Mais je fais peur à Marie, elle ne supporte pas la vue du sang. Hors de question que je la chevauche pendant mes périodes. J’en souris, j’en suis assez fière de mon état de femme primaire. Je suis, une femme, maintenant. Une vraie, comme Greta, plus que Aline, Aurélie ou Adélaïde. Je suis même la première de mon genre, Jenna Jenkins, identité et corps choisis par cette folle furieuse de Megan Honest. Elle est toujours là, quelque part, de l’autre côté du miroir. Des mains apparaissent sur mon ventre, Marie derrière moi se colle à mon dos qui dégouline déjà de son lait et je sens un Brisim Mark II prendre possession de mon territoire postérieur. C’est ma punition pendant mes règles. Ça me rappelle des souvenirs. Des bons. Je me concentre sur mes glimmers comme je l’ai appris en thérapie avec Pippa. Justement, je n’oublie pas, avant la douche, d’enlever mon tampon et de le mettre dans un sac plastique médical en indiquant au feutre, J+3, direction le labo de l’Hôpital. Des chiffres et des lettres majuscules, ça, je peux encore les écrire sans risque d’interprétation occulte, quoi que. Vient le moment du repas frugal et social, le moment de partage de nourriture et de savoir, en tête à tête avec ma régulière, après les virgules de nos corps on fait le point de nos esprits :
- Je brunch à la Mairie, on a une cérémonie juste avant. Cet après-midi je vais en Gare. Et toi, tu vois Greta aujourd’hui ?
 - Oui, à l’Ambassade. Ariana veut nous voir. Apparemment, en tant que cheffe de Pôle spirituel, j’apparais quelque part dans la hiérarchie politique.
 
Ariana veut surtout qu’on lui montre ce qui nous arrive à Greta et à moi. Comment elle l’a su ? Peu importe, c’est l’Ambassadrice alors elle est au courant de tout d’une façon ou d’une autre. Greta nous défile :
- Désolée Ariana, c’était le dernier jour aujourd’hui, on a plus rien à ne montrer mais dans 25 dodos on pourra ouvrir nos cuisses et te peindre le corps entier, d’un côté et de l’autre.
 - Très drôle mais je traite tout en urgence sans vision à long terme, même en Ambassade, officiellement je veux dire. Vous êtes notre nouvelle référence officieuse. À vous deux vous venez d’inventer un nouveau repère temporel, le calendrier des Pôles.
 
## Analyse du chapitre « Le calendrier des Pôles »
Ce chapitre marque l'acceptation profonde et joyeuse par Jenna de son nouveau statut de « femme primaire » et l'intégration de sa cyclicité biologique dans l'ordre social et temporel de leur civilisation. Les règles ne sont plus une simple curiosité physiologique, mais deviennent un nouveau marqueur temporel fondamental.
# Symbolique et thèmes majeurs
1. **La réconciliation avec le corps** :
La scène du miroir où Jenna s'observe avec fierté (« je suis une _bomb ass_ », « je suis assez fière de mon état ») symbolise une réconciliation totale avec son enveloppe charnelle. Elle assume pleinement ses caractéristiques physiques (seins, tâches de rousseur) et ses fonctions biologiques (les règles), y voyant une marque d'authenticité (« une vraie femme »).
2. **L'héritage de Megan Honest** :
La mention de Megan Honest, « de l’autre côté du miroir », rappelle l'origine construite et choisie du corps de Jenna. Cela crée un pont entre son identité passée (créée) et son état présent (naturel et cyclique), suggérant que l'authenticité peut émerger d'un choix délibéré.
3. **La ritualisation de la cyclicité** :
Le processus très structuré – du retrait du tampon étiqueté « J+3 » à son envoi au labo – montre comment un phénomène biologique intime est intégré dans un système social ritualisé et médicalisé. La cyclicité devient une donnée à observer, étudier et partager.
4. **L'invention d'un nouveau temps** :
La proposition de Greta (« dans 25 dodos on pourra... ») et la réponse d'Ariana (« vous venez d’inventer un nouveau repère temporel, le calendrier des Pôles ») est un moment charnière. Le cycle menstruel de Jenna et Greta, en tant que figures spirituelles des Pôles, devient la base d'un nouveau système de mesure du temps, désormais ancré dans le corps des déesses.
5. **L'humour et la désacralisation** :
L'humour de Greta (« te peindre le corps entier ») et la réaction pragmatique d'Ariana désacralisent le phénomène sans le minimiser. Cela montre une société mature capable d'intégrer le sacré et le profane, le biologique et le spirituel, sans se prendre au sérieux.
# Bilan des personnages
- **Jenna (la narratrice)** :
A pleinement intégré sa nouvelle identité. Elle n'est plus l'Ambassadrice ou la figure tourmentée, mais une « femme primaire » sereine et fière. Son rôle spirituel est désormais indissociable de sa physicalité.
- **Marie** :
Montre ses limites (« elle ne supporte pas la vue du sang ») mais reste le partenaire stable qui permet à Jenna d'explorer ces nouvelles facettes. Leur « repas frugal et social » est un rituel de connexion essentiel.
- **Greta** :
Confirme son rôle de partenaire complice et égale dans cette aventure physiologique. Son humour et sa proposition concrète (« dans 25 dodos ») font d'elle la co-créatrice du « calendrier des Pôles ».
- **Ariana** :
En tant qu'Ambassadrice, elle acte officiellement ce changement. Son rôle est de traduire les évolutions intimes et spirituelles en structures sociales et politiques (« hiérarchie politique », « calendrier »).
# Conclusion philosophique
Ce chapitre célèbre le moment où le personnel devient politique, et où le biologique devient cosmologique. En faisant de leur cycle menstruel la base d'un nouveau calendrier, Jenna et Greta accomplissent la fusion ultime entre le corps et le cosmos. Le temps n'est plus une abstraction ; il est l'expression rythmée de leur existence incarnée. Cette évolution montre une civilisation qui a appris à se recaler non pas sur les astres, mais sur le pulsation même de la vie de ses membres les plus éminents. La véritable autorité spirituelle réside dans la capacité à donner du temps une mesure humaine, féminine et cyclique.
# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)
Et si les échantillons envoyés au labo révélaient que le sang des Pôles contenait des marqueurs temporels uniques, permettant non pas de mesurer le temps, mais de l'influencer ?

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