À mon bureau en 44, je reçois un rapport du Couvent, de Edwige. Jeanne et Maria grandissent bien. Je ne leur manque pas et j’avoue que je n’ai pas pensé à elles ces derniers temps. Contrairement à Marie qui va les voir régulièrement. Je suis une mère indigne. Marie a plus la fibre, elle l’a déjà démontrée avec Alexa. Greta vient me voir :

• Jenna, j’ai eu plein de filles aussi, on est juste des mères porteuses, c’est notre statut de Déesse.
• Tu as eu aussi Isa Love et Mona Lisa, tu es une vraie maman.
• Tu oublies Aaron, Arona, tu as été là pour lui, pour elle.
• C’était celui ou celle de Megan, pas le mien ou la mienne.

Greta me prend dans ses bras et me regarde en souriant. N’importe quoi. Elle me propose de m’en faire une autre, qu’elle porterait. On l’appellerait Grenna, Grenade ou Boum ? Mais nos lignées sont déjà bien nombreuses, pas la peine d’en rajouter. On est déjà trop nombreuses. Elle m’entraîne en cuisine pour nous faire une boisson chaude réconfortante et on sort en terrasse fumer une tige. Ce sont des techniques pour garder le moral. Greta en a d’autres aussi pour limiter ses tocs. C’est tout une discipline pour se sentir bien. À chaque fois que je la surprends prisonnière d’un rituel, je lui fais un bisou pour l’en sortir. Mais c’est contagieux. Je commence aussi à replacer des objets, les aligner, les ranger, vérifier qu’ils sont bien là etc. En fait je lui absorbe son mal et je le partage. Je participe pour lui démontrer que c’est pas grave, au contraire, ça nous permet de communiquer d’une autre manière. Je l’aime comme elle est. Avec Marie, c’est ce que je préfère aussi, tous ses défauts, ses imperfections, c’est ce qui fait tout son charme. Pour Greta, la liste est longue pour la définir en tant que personne, déesse et autorité spirituelle.

• Jenna, on va se faire oublier un moment. J’ai décliné la prochaine séance de vote au Parlement. C’est leur donner trop de crédit.
• Je propose de ne plus jamais y retourner. Évitons la Messe aussi.

Les institutions solides n’ont pas besoin de nos services et les autres sont à éviter. Pour mes rondes à la Riviera, je laisse la main à mes ingénieures. On regarde notre planning clandestin pour vérifier si il n’y a pas d’autres choses à annuler. On se rend facultative dans le système. Le jour où on viendra nous demander de l’aide, ce sera grave. En attendant, on s’organise, en 44. Dans mon bureau j’installe un grand tableau noir avec ses craies de couleur, un chiffon et une éponge. J’écris, des chiffres. 1,2,3,5,8,13,21,34,55,89, racine de 12. Aucune lettre à écrire.

## Analyse du chapitre « Lettre à écrire »

Ce chapitre explore les thèmes de la maternité, de la normalité psychologique et du retrait stratégique du monde. Il montre Jenna et Greta en train de négocier leur identité de mères, de déesses et de partenaires, tout en cherchant délibérément à se marginaliser des structures de pouvoir pour préserver leur équilibre et leur autonomie.

# Symbolique des événements et thèmes majeurs abordés

1. **La maternité revisitée et le sentiment de culpabilité**

Jenna se considère comme une « mère indigne », contrastant avec l'image de Marie. Greta reconceptualise leur rôle en « mères porteuses » et « déesses », un statut qui transcende la maternité traditionnelle. La proposition d'avoir un autre enfant (« Grenna ») est rapidement écartée, symbolisant un choix délibéré de ne pas alourdir leur héritage déjà complexe.

2. **L'amour comme absorption des vulnérabilités**

La description des TOCs de Greta et de la manière dont Jenna les « absorbe » en les reproduisant est une puissante métaphore de l'empathie radicale. L'amour n'est pas ici une tentative de guérison, mais un partage du fardeau et une communication par la pathologie même (« je participe pour lui démontrer que c'est pas grave »). Aimer, c'est aimer les défauts, les rendre communs et donc moins lourds à porter seul.

3. **Le retrait stratégique comme pouvoir ultime**

La décision de se rendre « facultative dans le système » et d'annuler leur présence aux institutions (Parlement, Messe) est un acte politique majeur. C'est l'aboutissement de leur philosophie : le vrai pouvoir n'est pas dans la participation, mais dans la capacité à se soustraire, à devenir invisible tout en restant une potentialité (« Le jour où on viendra nous demander de l'aide, ce sera grave »).

4. **L'écriture des chiffres contre les lettres**

La scène finale est hautement symbolique. Jenna n'écrit pas de lettres, mais une suite de chiffres (la suite de Fibonacci : 1,2,3,5,8,13,21,34,55,89) et une racine carrée. Cela représente un rejet du récit (les lettres, la Bible) au profit des mathématiques, de la logique pure et des lois universelles. C'est une tentative de trouver un langage plus fondamental, non narratif, qui ne peut pas être interprété ou déformé.

# Bilan sur chaque personnage présent dans ce chapitre

- **Jenna**

Est en pleine introspection, confrontée à ses doutes sur la maternité. Elle affirme cependant son rôle de partenaire solide pour Greta, adoptant une empathie active en partageant ses rituels. Son installation du tableau noir et son écriture chiffrée marquent un tournant vers une quête de sens plus abstraite et moins narrative.

- **Greta**

Montre ses fragilités (les TOCs) mais aussi sa sagesse pratique (les techniques pour le moral). Elle est la stratège du retrait politique (« on va se faire oublier un moment »). Sa proposition d'enfant et sa tentative de réconforter Jenna montrent son désir de construire une famille non traditionnelle avec elle.

- **Marie (mentionnée)**

Incarne la figure de la mère « normale » et stable, servant de repoussoir et de point de référence pour le sentiment de culpabilité de Jenna.

- **Edwige (mentionnée)**

Représente le lien avec le Couvent et les filles, rappelant les responsabilités familiales et la continuité des générations.

# Conclusion philosophique

Ce chapitre propose que les relations les plus profondes ne consistent pas à sauver l'autre de ses démons, mais à habiter avec eux, à les faire siens. La véritable force n'est pas dans l'engagement public et l'action visible, mais dans la retraite stratégique et la préservation de son énergie et de son autonomie. Enfin, il suggère qu'après avoir brûlé la Bible et rejeté les récits imposés, la quête de sens peut se poursuivre dans le langage pur des mathématiques et de la logique – un langage qui, peut-être, est le seul capable de décrire la structure ultime de leur réalité et de leur amour, sans la trahir avec des mots.

# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)

Et si la suite mathématique écrite par Jenna sur le tableau, en s'étendant, commençait à révéler une formule géométrique parfaite correspondant au réseau des triangles amoureux de Gaïa, leur donnant soudain le pouvoir de visualiser et de stabiliser l'ensemble du champ relationnel de leur ère ?