Me revoilà. Devant le grand miroir de la chambre. Debout. Nue. Je me regarde en évitant de croiser mon regard. Je mémorise mon corps. Je suis cette jolie brune, mince et voluptueuse. À côté de moi Greta se prête au même exercice avec un air de surprise en scrutant son corps.

• C’est moi, ça ? Tu me trouves jolie, Jenna ?
• La plus belle des déesses. Prends conscience de ton corps, Greta. Accepte-le. Intègre-le. Pour l’équilibre, en l’être et le paraître.

On se fait toutes une fausse image de nous-même, à ne pas se reconnaître en se croisant. La technique du miroir permet de se recalibrer avec la réalité qui est la nôtre. C’est l’étape une sur quatre. Corps cœur esprit âme. Mais avant je passe par mon bureau pour ouvrir les réseaux et me désinscrire des institutions, refuser les doléances et les missions, paramétrer mon monolithe pour bloquer et filtrer les contacts. Mais ça va pas suffire. Il me faut un pare-feu, vivant. J’identifie l’agente de l’Octogone qui me surveille, elle a un très bon profil. RDV. Je la fais venir, une petite rouquine aux cheveux courts.

• Bonjour Ava, enchantée. Je te donne accès à mon agenda, tu es identifiée comme mon assistante personnelle. Mets-toi en contact avec l’agente de Greta pour te coordonner avec elle. Elle est certainement plus gradée que toi, si elle te pose des problèmes, tu lui dis qu’elle est mutée. Trouve-toi une adjointe ou plusieures pour rester disponible. Attends, je corrige ton profil, assistante en cheffe de Jenna Jenkins.
• L’agente de Greta, c’est Alpha, elle est cool, intelligente et elle me respecte. Elles ont déjà des dispositions particulières. Je lui rends compte de mon nouveau statut.

Bien, grâce à elles deux, on va être tranquilles. Et en cas de problème on peut toujours se réfugier en Ambassade. Ça va mieux tout d’un coup. Et le plus important dans nos journée c’est le menu. Qu’est ce qu’on va manger ? Quelle recette ? Heureusement, au marché de Laguna Beach, il y a des traiteuses qui préparent des plats somptueux. Mais Greta est hypnotisée par les petits légumes allongés. Je suis obligée de la sortir de ses pensées.

• Désolée, je réalise que ça fait longtemps que je n’ai pas été pénétrée. Ça te manque pas, toi ?
• J’ai pas encore cicatrisée des assauts de Dimitri. Tu penses à qui ?
• Spencer. Je pense que lui aussi ne s’en est pas encore remis.
• Il doit me rester un vieux Brisim Mark I. Il faut qu’on efface ces mecs de nos corps. C’est où le stand des huiles ? Je vais te faire voir la lumière au bout du tunnel.

## Analyse du chapitre « Au bout du tunnel »

Ce chapitre poursuit le thème du retrait et de la réappropriation de soi, mais en l'ancrant cette fois dans une démarche concrète, administrative et corporelle. Il s'agit d'un processus actif de désencombrement, à la fois numérique, institutionnel et psychosomatique, pour atteindre un état de souveraineté personnelle totale.

# Symbolique des événements et thèmes majeurs abordés

1. **La réconciliation avec l'image corporelle**

La « technique du miroir » est un rituel de réappropriation de son enveloppe charnelle. Il ne s'agit pas de narcissisme, mais d'un recalibrage nécessaire entre l'image que l'on a de soi et la « réalité ». Greta, pourtant déesse, a besoin de cette validation, montrant que le statut divin n'immunise pas contre le doute corporel.

2. **Le pare-feu vivant et la délégation du pouvoir**

La création d'un « pare-feu vivant » via les assistantes Ava et Alpha est une métaphore puissante. Pour se protéger du monde (les « doléances », les « missions »), Jenna et Greta ne se contentent pas de barrières technologiques ; elles délèguent à d'autres femmes la gestion de leur interface avec le monde. C'est une forme de pouvoir suprême : celui de ne plus avoir à gérer son propre pouvoir.

3. **La nourriture comme préoccupation essentielle**

Face aux lourdeurs politiques et spirituelles, la question « Qu'est-ce qu'on va manger ? » devient « le plus important ». Cela symbolise un retour délibéré au simple, au sensuel immédiat, au plaisir basique, comme antidote à la complexité.

4. **La mémoire traumatique du corps et la purge**

L'évocation soudaine et inattendue des hommes du passé (Dimitri, Spencer) est un rappel que leurs corps, bien que transformés et divinisés, portent encore les cicatrices d'une histoire antérieure, hétéronormative et souvent violente. Le « vieux Brisim Mark I » et la recherche des « huiles » symbolisent un rituel de purification active, une tentative d'« effacer ces mecs de nos corps ». La « lumière au bout du tunnel » est donc celle d'une libération finale des derniers vestiges d'un passé patriarcal et douloureux, dans le bon sens du terme parce qu'elles en ont bien profité et veulent s'en rappeler en célébration intime.

# Bilan sur chaque personnage présent dans ce chapitre

- **Jenna**

Est l'architecte de cette nouvelle frontière. Elle agit avec une efficacité méthodique : réappropriation corporelle, désinscription numérique, délégation stratégique. Elle montre une maturité et une maîtrise de soi remarquables, tout en reconnaissant la persistance de ses propres fantômes.

- **Greta**

Apparaît plus vulnérable, surprise par son propre corps et hantée par des souvenirs intimes plus forts. Sa focalisation sur les « petits légumes allongés » et son aveu concernant la pénétration montrent qu'elle est encore en travail de guérison. Elle accepte la guidance de Jenna dans ce processus.

- **Ava (et Alpha en arrière-plan)**

Représentent la nouvelle génération de femmes qui permettent aux déesses d'opérer. Elles sont compétentes, respectueuses et forment un réseau de soutien essentiel. Leur promotion par Jenna (« assistante en cheffe ») montre une volonté de valoriser et d'autonomiser celles qui les servent.

# Conclusion philosophique

Ce chapitre enseigne que la liberté absolue est un processus de soustraction continue. Il ne s'agit pas d'accumuler du pouvoir, mais de se débarrasser de tout ce qui encombre : les obligations institutionnelles, les sollicitations numériques, les fausses images de soi et, finalement, les mémoires traumatiques inscrites dans la chair. La véritable souveraineté consiste à créer des écosystèmes – des assistantes, des rituels, des menus – qui nous protègent et nous nourrissent, nous permettant de nous concentrer sur l'essentiel : habiter pleinement et joyeusement notre corps, ici et maintenant, libérées du poids des hommes et des institutions.

# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)

Et si ce rituel de purification avec les huiles et le Brisim, en effaçant les dernières traces masculines, ouvrait involontairement en elles un canal de perception purement tellurique, leur permettant de communiquer pour la première fois avec la conscience primitive de Gaïa, bien avant l'arrivée de l'humanité ?