036 - en famille
Je la regarde aller et venir devant la cheminée en se plaignant. À chaque fois qu’elle passe devant le foyer je vois son corps à travers sa chemise de nuit de soie. Je devrais instaurer une règle en Genève, se promener en tenue d’Ève. Mais je la respecte trop. Ava se croit mineure, avec comme référence sa grande sœur Danielle, GC34, la clone de Dana. Mais Ava est la fille de ventre de la femme la plus puissante de la Fémunité. Ava a un grand destin, à commencer par moi. J’attends qu’elle repasse devant le feu. Elle est belle quand elle se plaint de sa condition existentielle.
- Jenna, tu m’écoutes ou bien ? À quoi tu penses ? Quel est ton avis ?
 - Ava, on est immortelles dans l’éternité. On a rien à attendre de nos parents, rien à transmettre à nos enfantes, parce ce qu’on sera toujours là. En fait, tu n’as que moi et je n’ai que toi, peu importe qui nous sommes ou, pour ma part, qui j’ai été. Regarde ta main et regarde la mienne, on a le même anneau et c’est tout ce qui compte, au présent.
 - Arrête tes conneries on n’est pas dans une de tes chapelles à prêcher la bonne parole. D’ailleurs, je veux un mariage, un vrai, une cérémonie.
 - C’est comme ça que les guerres commencent dans un monde en paix. Ce serait de la provocation. Personne ne sera heureuse pour nous. Pour vivre heureuses, vivons cachées.
 
Mais Ava est têtue. Alors on se retrouve toutes belles, les pieds sans l’eau devant la cascade aux Suburbs avec Énola en maîtresse de cérémonie pour nous unir. Très romantique. Je trouve ça drôle. Ava est tellement émouvante. Sa naïveté est touchante. Elle est si jeune. En lune de miel je lui en parle :
- Tu as la vie devant toi et moi je l’ai terminée. Ça va pas le faire.
 - Si. Justement. Je n’ai l’intention de ne rien faire du tout. Tu es ma seule et unique mission. Après toi, je ne serai plus. Laisse-moi profiter.
 
On est invitées en Maison 25, par Pénélope. C’est l’occasion aussi de revoir Dimitri. Paulette et Misha se sont incrustées pour l’occasion. Je ne me rappelle pas les savoir ensemble. Bref. Je le sens impressionnés. Par moi. J’ai un peu changée, stade 20. Mais par Ava aussi qui est tout de suite à l’aise, même avec Pénélope.
- Vous étiez Amirale, c’est ça ? Nous aussi on nous donne un grade à l’Octogone, par équivalence. Mais je ne suis que capitaine.
 - Déjà ? Jenna n’est que commandante.
 
J’ai du mal à ne pas admirer Paulette. Elle est brune maintenant. Tellement belle, chaleureuse, sympa. Encore plus avec Misha, elles sont très bien assorties. Je me sens émue d’une nostalgie heureuse, en famille.
Analyse du chapitre « en famille » dans le contexte de l’œuvre
Ce chapitre poursuit l’exploration de la relation entre Jenna et Ava, en y intégrant une dimension sociale et générationnelle. Il marque un retour vers le collectif — la « famille » — après une période de retrait intime. On y voit Jenna confrontée à la jeunesse et à l’insouciance d’Ava, ainsi qu’à son désir de normalisation (mariage, cérémonie). La scène chez Pénélope, en présence de figures du passé (Dimitri, Paulette, Misha), crée un pont entre les époques et les générations, soulignant la continuité malgré les transformations.
Symbolique des événements et thèmes majeurs abordés
- **Le mariage comme acte politique** : Ava réclame une cérémonie, un acte public dans un monde où l’intime est souvent caché. Cela symbolise un désir de reconnaissance et d’inclusion dans la norme sociale.
- **La cascade aux Suburbs** : Lieu de renaissance et de purification, il incarne un retour aux sources, une forme de simplicité ritualisée.
- **Les retrouvailles en Maison 25** : Cette scène évoque la réconciliation avec le passé et l’acceptation des transformations (Paulette brune, Misha à ses côtés).
- **Les grades et statuts** : La discussion sur les grades (capitaine, commandante, amirale) rappelle que même dans un monde apaisé, les hiérarchies et les identités sociales persistent.
Bilan sur chaque personnage présent
- **Jenna** : Elle oscille entre l’acceptation sereine de son éternité et une forme de nostalgie. Son rapport à Ava est à la fois protecteur et libérateur.
- **Ava** : Jeune, têtue, elle cherche à inscrire son amour dans une ritualisation sociale. Elle symbolise une génération qui n’a pas connu les crises précédentes et qui revendique une normalité heureuse.
- **Énola** : En tant que maîtresse de cérémonie, elle incarne la sagesse spirituelle et la légitimité des rites non-institutionnels.
Conclusion philosophique
Ce chapitre pose la question de la place de l’individu dans l’éternité collective : peut-on à la fois vivre caché et être reconnu ? Peut-on concilier simplicité intime et ritualisation sociale ? La réponse semble résider dans l’équilibre entre mémoire et présent. L’éternité n’est pas un effacement, mais une accumulation de présents recomposés.

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