Prologue

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En -371, l’ère des dragonniers prit fin, leur civilisation tomba et une grande part de leurs croyances furent perdues. Mille ans plus tard, au VIIe siècle, les dracologues tentèrent de reconstituer le récit de la création du monde tel que les dragonniers le transmettaient. Connu sous le nom de Vulgate, ce texte constitua une synthèse de tous les mythes issus de ce lointain passé. Sa brièveté apparaît en témoignage du délitement de la civilisation dont ils sont issus.

La Vulgate :

I

À l’aube du monde, il y avait six peuples.

Le premier d’entre eux était les Driags, nobles et loyaux.

Ils régnaient sur les mers, où leur corps de serpent et leurs courtes pattes étaient à leur avantage. Les tempêtes obéissaient à leur pouvoir comme les pluies fertiles. Ils étaient d’une grande sagesse ; aussi, bien souvent, les autres peuples firent-ils appel à leur arbitrage, pour résoudre une querelle.

Le deuxième d’entre eux était les Humains, preux à la bataille.

Nombreux étaient leurs peuples et ils régnaient sur de vastes étendues de pâturages, où paissaient leurs immenses troupeaux. Ils parlèrent le latin premièrement, puis le Serken, la langue des dragons.

Le troisième d’entre eux était les Wivèrnes, princes des cieux.

Ils avaient l’apparence du reptile, et le corps fin qui leur donnait un vol agile. Au sol ils avançaient sans grâce, courbés ainsi que des vieillards, ayant leurs ailes comme appuis, pour marcher.

Le quatrième d’entre eux était les Anges, aux blanches plumes.

Tous les peuples tremblaient devant la puissance de leur armée. Et leurs ennemis se soumettaient promptement, lorsque retentissait dans leurs rangs « Adahey », leur cri de bataille.

Le cinquième d’entre eux était les Dragons, prompts à la colère.

Quand la fureur s’emparait d’eux, elle faisait jaillir de leur gueule une langue de feu,

comme il en jaillit des volcans, telle que nul ne pouvait l’éteindre.

Ils étaient plus beaux dans les cieux, lorsque resplendissaient leurs écailles,

que perles et diamants assemblés, et jamais nature ne fit,

pour si grandes merveilles, plus haute magie.

Le sixième des peuples était les Démons, aux origines obscures. Ils n’avaient ni volonté ni ambition, mais grande était leur emprise sur le cœur des Hommes. Ainsi on prétend qu’autrefois, contre des jours de vie, leur Sombre Maître offrait des choses sans valeur à ceux qui avec lui passaient un accord.

Un jour vint la guerre entre les peuples.

Bientôt ils s’entretuèrent et durant des siècles, les conflits sanglants les poussèrent à se détruire.

De cette magie qui soutenait le monde, qui faisait passer les saisons,

tenait le soleil au-dessus de la terre, les six rois anciens se firent les maîtres,

et devinrent les gardiens de cette puissance colossale, qu’ils avaient héritée de leurs ancêtres.

Et dans le feu et la magie ils érigèrent les Six Piliers du Monde.

Azorkin, roi des Dragons, devint maître du Feu, ce pilier fut à lui.

Neskan, roi des Démons, devint maître des Ténèbres, ce pilier fut à lui.

Niar, roi des Humains, devint maître de la Terre, ce pilier fut à lui.

Naïnor, roi des Anges, devint maître de la Lumière, ce pilier fut à lui.

Tadéir, roi des Driags, devint maître de l’Eau, ce pilier fut à lui.

Et Vaèr, roi des Wivèrnes, devint maître du Vent, et ce pilier fut à lui.

II

Mais leurs forces étaient égales et nul vainqueur ne se faisait connaître.

Les Six Piliers du Monde et leur puissance firent s’intensifier les guerres entre les peuples,

si bien que le monde lui-même fut en danger.

Les morts se comptaient par milliers dans chaque camp, et les fleuves étaient si pleins du sang des morts qu’ils devenaient pourpres avant d’atteindre la mer.

Les peuples semblaient pris de folie, se détruisaient sans paix possible.

Les Dragons incendièrent les forêts, jusqu’à ce que plus un arbre ne fût debout,

et la Terre en dessous ne fut plus que cendres infertiles.

Les Anges allumèrent le soleil, et la nuit même il brillait

pour repousser les Démons au fond de leur caverne.

Mais ainsi mourut le Soleil d’avoir trop brillé et les créatures de l’ombre

se répandirent sur toute la surface de la Terre.

Les Driags firent se déverser sur les vallées tant et tant d’eau

que bientôt seules les montagnes les plus hautes parvinrent à former de petites îles.

Et quand l’hiver survint, toute cette étendue liquide gela,

et la Terre ne fut plus qu’un immense orbe de glace.

Les Humains ouvrirent la terre, et les Dragons en firent jaillir un énorme flot de feu,

qui sécha l’eau, créant des tempêtes et des orages,

qui précipitèrent leurs ennemis hors des cieux.

Vaèr, banni du ciel par le feu des Dragons,

rampa alors au pied de Tadéir pour le conjurer de s’allier à lui.

Tadéir accepta, et Naïnor qui trouvait les deux rois honorables mit son épée à leur service.

Ainsi naquit l’Alliance Blanche, qui devait défaire

les Démons, alliés aux Hommes et aux Dragons.

Rien ne semblait pouvoir les arrêter dans leur rage infinie et leur soif de sang.

Les guerres durèrent encore longtemps,

plus que la Terre ne semblait pouvoir le supporter.

Mais la victoire revint finalement à l’Alliance Blanche.

Les Démons furent bannis et envoyés dans un autre monde, créé pour eux seuls,

interdit aux cinq autres, et où ils furent enfermés.

Leur rage, enfin maîtrisée, ne pouvait plus nuire à quiconque.

III

La Paix put enfin s’installer.

Les Humains fuirent les Terres du Nord, trop dévastées pour les abriter encore.

Les Dragons portèrent les Hommes jusqu’aux limites de l’océan,

et là se dressaient de hautes montagnes couronnées de neige.

Ils accostèrent sur les rives d’un pays inconnu et cette terre ils l’appelèrent Darka-Guèn,

ce qui voulait dire à la fois « Nouvelle Terre » et « Terre des Grands Dragons »

et ils y vécurent dans la paix.

Pour honorer les dragons,

rendre hommage à leur courage et au soutien qu’ils leur avaient apporté durant la guerre,

Niar façonna le Darka-Guèn pour qu’il ressemblât à un dragon endormi,

bercé dans son sommeil par les flots marins.

Et les Dragons en furent profondément honorés.

Avec le temps les haines et les conflits s’estompèrent jusqu’à disparaître.

Un jour, Hommes et Dragons virent venir par la mer

des nefs aux larges voiles, que menaient les Anges.

Les Wivèrnes les devançaient en vol agile, et les Driags encadraient leur compagnie.

Ils avaient quitté leur pays pour fuir une terre

où les souvenirs de la terrible guerre s’étaient accrochés.

Et Niar et Azorkin les accueillirent comme leurs frères.

Les Dragons et les Humains étaient alors aussi proches

que pouvaient l’être des amis de longue date, mais les Dragons craignaient

leur propre nature, orageuse et indomptable.

Ils allèrent trouver Vaèr pour requérir son aide

et faire que la paix entre Hommes et Dragons dure jusqu’à la nuit des temps.

Alors Vaèr, grâce au vent,

fit passer ce qui faisait la force des Dragons dans le cœur des Hommes,

et ce qui faisait la force des Hommes dans le cœur des Dragons,

ainsi furent-ils ensemble liés et l’attache, scellée par les vents contraires, ne pouvait se défaire.

Ainsi naquirent les Dragonniers, plus grands héros de tous les temps.

Grande fut leur gloire et long fut leur règne.

Azorkin mit son feu au service des hommes.

Ceux-ci apprirent à forger des épées et des lances, des bijoux et des joyaux.

Il leur fit part de son savoir et de sa science.

Mais Azorkin ne s’arrêta pas là et pour remercier Vaèr,

il mêla son peuple aux Wivèrnes et de ce métissage apparurent les dragons-mirages,

de petites créatures incapables de voler, mais dont le savoir en ferronnerie était sans égal.

Niar signa un traité de paix avec les Anges.

En se mêlant, les deux peuples donnèrent naissance aux elfes.

Ce furent également les Humains qui enseignèrent l’alchimie aux elfes,

cette science de la magie qui permettait de modifier les éléments issus de la terre.

C’était en un temps où les Humains avaient plus de magie

qu’ils n’en ont conservé par la suite.

Comme Vaèr avait scellé par un pacte l’amitié entre Hommes et Dragons,

de même il scella celle des Hommes et des Anges.

Aux elfes, liés au ciel par les Anges, il donna un double sur terre,

un totem animal, tous deux liés l’un à l’autre pour la vie,

et l’un dans les yeux de l’autre pouvaient voir l’autre moitié de son âme.

On n’entendit plus parler de Neskan le banni, et sa magie fut perdue à jamais.

Néanmoins les Démons ne furent pas complètement détruits,

beaucoup avaient investi le corps d’innocents

lors des premiers temps du monde, et s’étaient multipliés depuis.

Ces humains, que rien d’extérieur ne différenciait des autres,

avaient acquis autrefois de Neskan le don de se changer en bête,

et l’avait conservé après sa chute.

On les appela des change-formes

on les accepta comme sixième parmi les peuples.

Le temps fila.

Les anciens gardiens des Piliers du Monde, craignant d’être eux-mêmes le danger

de la paix des peuples,

et ne voulant donner une cible à l’avidité des êtres,

se retirèrent du Darka-Guèn, pour ne jamais y revenir.

On oublia les gardiens et leurs mystérieux pouvoirs.

Les peuples négligèrent leur gloire passée

et les Piliers du Monde s’effacèrent des mémoires.

IV

Des six peuples de jadis subsistent peu de choses.

Les Dragons ont quitté le Darka-Guèn pour des terres lointaines, plus libres et plus sauvages. L’île de Téfanour en abritait encore, lorsque commença l’Ère des Hommes.

Ils l’ont désertée depuis.

Les dragons-mirages s’établirent dans les vastes plaines du Magcam,

région autrefois luxuriante, aujourd’hui désertique.

Là, ils ont bâti une grande civilisation.

Loin de leurs voisins, ils s’y entre-déchirèrent dans des guerres de clans,

sanguinaires et sans issue.

Les Wivèrnes se sont rapprochés des oiseaux.

Ils portent aujourd’hui le nom de Vaérims, en l’honneur de leur roi de jadis.

Ils se sont réfugiés dans les montagnes qui portent leur nom

et sont rarement aperçus des Humains,

bien qu’un lien étroit d’amitié unisse toujours les deux peuples.

Les Anges ont presque disparu et les elfes ont pris leur place,

vivant aujourd’hui au large du Darka-Guèn, dans les îles de Waniri, avec leurs fidèles totems.

Des dragonniers ne subsistent que des légendes,

bien que leur règne fût long et immense leur gloire.

Durant près de trois mille ans ils régnèrent en maîtres sur terre comme dans les cieux.

Ils battirent des cités plus grandes et plus belles qu’aucun autre après eux,

et en Sven-Ild la Grande, joyau des joyaux,

ils placèrent tout leur art.

Mais les Darkénéïdes se sont éteints, les arches sont brisées, les hautes salles désertées.

Les dracologues connaissent encore les runes qui font naître les dragons,

mais leurs créations ont de commun avec les Darkénéïdes

moins que le chat sauvage avec le tigre.

L’heure de leur gloire est perdue dans un temps lointain, recouvert d’usure et de poussière.

Les change-formes de jadis ont perdu leur candeur et sont devenus les sombres lycans.

La lune déchaîne leur fureur, eux les fléaux des elfes et des hommes.

Sombres sont les nuits et dangereux les chemins,

depuis que le vent porte leurs chants.

Les Driags seuls surent demeurer pareils qu’aux temps anciens,

mais ils apparaissent peu, et beaucoup les ont oubliés.

Quant aux six gardiens, leur puissance est perdue.

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