Chapitre 3.1/4

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Karfanaël avait donné son congé à Roawir et se dirigeait à présent vers le château en compagnie d’Altred, le glouton Blifen à ses côtés. Il avait comme accaparé toute l’attention du maître d’hôtel et Roawir était resté en arrière, visiblement incertain quant à l’attitude à adopter.

Bientôt, une foule de domestiques se pressèrent autour de la monture qu’il tenait toujours par la longe, déchargeant les affaires qu’elle portait pour les installer dans les chambres prévues pour les elfes, sans accorder ni à la créature ni à l’elfe plus d’attention que s’ils n’avaient pas existé. Devant leurs gestes mécaniques, la chimère commença à montrer des signes de nervosité, son regard allait en tous sens et ses oreilles s’inclinaient en arrière.

Un écuyer vint droit sur elle dans l’intention de la conduire aux écuries. Mais la créature renâcla soudain, retroussant les babines et dévoilant ses crocs aiguisés. De surprise l’écuyer tomba à la renverse tandis que Roawir tenta d’apaiser sa monture par des paroles elfiques.

Arvak se porta rapidement à hauteur de l’écuyer pour l’aider à se relever.

— Je suis désolé, s’excusa Roawir, c’est l’agitation et le voyage.

À sa voix, Arvak fut certain que l’elfe était aussi nerveux que la créature – voire davantage. Il devinait le malaise qu’il pouvait ressentir à ne savoir quelle attitude adopter dans cette ville inconnue, au milieu de tous ces gens qui s’affairaient à leurs propres tâches sans le voir.

— Rien de grave, dit-il d’une voix apaisante, personne n’a été blessé, n’est-ce pas ?

L’écuyer acquiesça, visiblement secoué mais effectivement indemne.

— Va me chercher Morgalt.

L’écuyer s’empressa de s’exécuter tandis qu’Arvak reportait son attention sur Roawir.

— Je n’ai jamais vu de créature semblable, remarqua-t-il pour engager la conversation.

Il se tenait à bonne distance, l’animal était sur la défensive et Arvak ne savait comment s’y prendre avec cette bête qu’il ne connaissait pas. Mais Roawir lui semblait plus nerveux encore et il eut l’intuition qu’en apaisant l’elfe, la créature se montrerait également plus calme.

— C’est une créature de Waniri ?

— Elle s’appelle Kaléogrim, c’est une chimère, expliqua Roawir. Elle a été créée par mon maître à partir d’un cheval et d’un loup. Je sais que les loups ont mauvaise réputation par chez vous, mais Kaléogrim n’est pas comme eux, elle est très douce en temps normal. Tout est très différent ici de ce qu’elle connaît, il faut lui pardonner.

Arvak sourit devant ce flot de paroles :

— C’est normal, ne t’en fais pas. La personne que j’ai appelée, Morgalt, c’est mon maître d’écurie. Tu lui expliqueras comment s’occuper de Kaléogrim, elle en prendra soin.

— D’habitude elle est d’un tempérament calme et docile, s’excusait encore Roawir, elle tient plutôt du cheval. Il ne faut pas en avoir peur.

— D’accord. Est-ce que je peux l’approcher ?

Roawir hocha la tête, il semblait plus détendu mais toujours incertain et Arvak s’avança sans peur mais prudemment. La chimère fit un geste en sa direction, le sentit. De plus près, il voyait d’autant mieux la similitude entre les deux animaux dont elle était issue. Kaléogrim avait globalement la même anatomie qu’un cheval, les mêmes gestes, une taille assez haute, des pattes longues et fines, un poitrail large, une encolure arquée. Sa tête était également très similaire à celle d’un cheval, longue, avec des oreilles mobiles qui en cet instant pointaient dans la direction d’Arvak. Mais, par de nombreux points, la créature tenait aussi du loup. Ses yeux n’étaient pas sur le côté de la tête comme chez les chevaux, mais portaient droit devant elle, réduisant son champ de vision périphérique en améliorant son champ de vision central, ce qui était typique des prédateurs. Son mufle était celui d’un loup et elle avait une truffe et des babines aux moustaches fines, sa dentition était elle aussi typique des prédateurs. Elle tenait aussi du loup sa fourrure, sa queue aux poils gris et hirsutes, ses pieds avec quatre doigts griffus.

Kaléogrim continuait de renifler prudemment Arvak. La curiosité et l’intelligence qu’il lisait dans ses yeux lui plurent, elle lui rappela le regard de son cheval Crépuscule, qui n’aimait pas non plus être approché n’importe comment et par n’importe qui. Il lui caressa le front et la chimère le laissa faire. Arvak nota qu’elle aimait les grattouilles.

Roawir jetait à la chimère des regards inquiets et attentionnés. Arvak devinait, à la façon dont la nervosité de l’elfe se communiquait à Kaléogrim, et à la façon dont il tapotait son encolure, que tous deux avaient un lien particulier, cela aussi lui rappela Crépuscule.

Morgalt arriva sur ces entrefaites et salua le prince puis Roawir. Elle jeta un regard circonspect à la créature mais sans manifester ni appréhension ni surprise.

— La monture de notre invité Roawir demande des soins particuliers, expliqua Arvak.

— Bin alors ? s’exclama Morgalt d’un ton amical en s’adressant directement à la chimère. Ça fait peur d’être bringuebalée par des inconnus ?

La chimère renâcla comme pour marquer son assentiment et cela fit rire la maître d’écurie.

— C’est un mâle ou une femelle ? demanda Morgalt sans ambages à l’elfe.

— C’est une femelle.

— Elle s’appelle ?

— Kaléogrim.

— Elle mord ?

— Non.

Arvak sentit que le caractère direct et sans cérémonie de Morgalt commençait à mettre à l’aise Roawir. Les questions étaient simples, claires, sans faux-semblants, et Arvak ne comprenait que trop bien Roawir en cet instant. Lui aussi détestait ce qu’il ressentait toujours à la cour, ce sentiment de devoir adopter une attitude précise, sans jamais saisir avec certitude laquelle était attendue. Par son attitude, Morgalt ne laissait aucune place à ces incertitudes, elle aplanissait toutes les difficultés et balayait la nervosité de l’elfe par la même occasion.

Il s’écarta pour laisser opérer son maître d’écurie qui s’approcha et posa d’autorité la main sur le front de la chimère. Après un léger tressaillement de surprise, Kaléogrim accepta le contact. Morgalt commença à lui gratter le front et à lui flatter l’encolure, et la chimère s’abandonna avec bonheur.

— J’ai un box à chevaux libre dans l’écurie juste derrière – Morgalt désigna le bâtiment de la main – ça lui conviendrait ?

— Oui très bien, acquiesça Roawir.

— Je peux ?

Roawir acquiesça à nouveau et Morgalt prit Kaléogrim en main. Celle-ci eut un bref instant d’hésitation puis elle se laissa faire, marchant à la suite de Roawir et Morgalt. Arvak leur emboîta le pas.

— Par ici, indiqua Morgalt en désignant le box dont elle avait parlé

Roawir, serviable, la devança pour lui ouvrir et, dès que Kaléogrim fut installée, elle se détendit complètement. Le cadre devait à nouveau lui être familier. Morgalt commença à lui retirer son harnachement et à la bichonner, tandis que Roawir, appuyé au battant du box, paraissait serein, comme s’il était là depuis longtemps.

— Vous avez l’habitude des chimères ? demanda-t-il à Morgalt.

— Pas du tout, confessa-t-elle sans honte, mais ça va, elle est mignonne comme tout.

Effectivement la chimère se laissait faire plus facilement que la plupart des chevaux qu’Arvak connaissait.

— Elle ne donne pas sa confiance à tout le monde, mais elle sait reconnaître quand elle est entre de bonnes mains.

Morgalt jeta à l’elfe un regard amical.

La voix de Roawir laissait deviner la complicité qu’il partageait avec la créature et c’était le genre de choses qui touchait toujours Morgalt. Arvak resta en retrait. Il sentait que son statut social intimidait l’elfe et il ne souhaitait pas le voir perdre la confiance qu’il gagnait petit à petit en compagnie de son maître d’écurie.

— Quel est son régime alimentaire ? demanda Morgalt pragmatique.

— Elle est omnivore, le foin ira très bien. Elle préfère l’herbe fraîche ou la viande, mais bon, je sais que c’est compliqué, ici.

— Je peux la sortir au pré.

— Les chevaux en ont peur, comme avec les lycans.

— Pas les miens, assura Morgalt.

Voyant qu’elle ne développait pas davantage sa réponse, Arvak se sentit obligé d’intervenir :

— Morgalt est la meilleure dresseuse de chevaux du pays. Elle est capable de former les poulains pour qu’une fois adultes ils ne bougent pas une oreille face aux lycans.

— Un prodige ! reconnut Roawir un peu circonspect.

— Je crée une relation de confiance avec eux, je leur montre quelque chose qui leur fait un peu peur et je les valorise quand ils lui témoignent de l’intérêt. Progressivement je les confronte à des choses plus difficiles, à leur rythme. C’est tout un processus, mais ça n’a rien de prodigieux. Et si les nobles s’intéressaient aux comportements animaux, ils seraient tous capables de faire ce que je fais.

Roawir hocha la tête comme si cette réponse l’avait rassuré.

— Elle est aussi éleveuse, poursuivit Arvak, son travail est très reconnu et a été de nombreuses fois récompensé.

Il savait que Morgalt était trop modeste pour faire l’étalage de ses succès pourtant mérités, aussi Arvak ne se priva par pour citer quelques-unes des réussites prestigieuses qu’elle avait obtenues. Roawir regardait maintenant Morgalt avec admiration.

— À ce propos, c’est encore un des miens qui a gagné la course du Grand Veneur cette année, dit-elle à Arvak.

— Oh c’est vrai ? Toutes mes félicitations !

Arvak avait déjà gagné cette course difficile lorsqu’il était plus jeune, avec Crépuscule, cela lui faisait plaisir de savoir que Morgalt continuait d’entraîner de grands champions.

— Tu peux les lui adresser, il est juste là.

Et elle désigna d’un signe de tête les box d’à côté. Ils étaient occupés par plusieurs jeunes chevaux dont l’un, un jeune entier de petite taille, avait la couleur particulière appelée alezan brûlé.

— Ce sont les chevaux que tu veux montrer à Eliwyl ? comprit Arvak.

— Tout à fait.

Arvak émit un sifflement admiratif, ils étaient tous exceptionnels.

Roawir avait les yeux pétillants ce que Morgalt remarqua alors qu’elle quittait le box de Kaléogrim.

— Tu devrais l’emmener au pré voir les autres, proposa-t-elle à Arvak, moi je ne vais pas avoir le temps.

L’elfe tourna la tête tour à tour vers Morgalt et Arvak avec le regard plein d’espérance et d’une muette supplication

— Oui, avec plaisir, accepta Arvak, je n’ai rien de prévu aujourd’hui. Je peux te montrer une partie du domaine.

— J’aimerais beaucoup.

— Vous pouvez prendre ces deux loulous si vous voulez faire une balade, dit Morgalt en leur désignant les deux chevaux qui avaient conduit les elfes jusqu’à Mralèm. Ne mets pas le bazar.

— Oui maître.

Et sur ces mots, elle quitta les écuries pour retourner à ses occupations.

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