Chapitre 3.2/4

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Roawir la suivit du regard et, lorsque son attention revint sur Arvak, il semblait hésiter sur l’attitude à adopter, reprendre la déférence due à un prince pour s’adresser à Arvak, ou poursuivre sur le ton de leur échange avec Morgalt. Son regard était calme et franc, comme s’il guettait pour comprendre la marche à suivre.

— Est-ce que tu préfères boire ou manger quelque chose avant que je ne te fasse visiter ? proposa Arvak.

Il espérait conserver le naturel de leur échange mais regrettait déjà le départ de Morgalt.

— Je n’ai pas très faim, indiqua Roawir en s’inclinant respectueusement.

— Ça me va, répondit Arvak qui n’avait pas faim non plus.

Il lui montra le matériel de harnachement et de pansage afin qu’ils préparent leur monture. Il ne vint même pas à l’esprit d’Arvak de demander à un domestique de le faire à leur place. Roawir semblait connaître tout ce matériel et ils s’installèrent bientôt dans les box de leurs chevaux respectifs.

Ceux-ci se trouvaient côte à côte et séparés à mi-hauteur par un muret au-dessus duquel tous deux discutaient.

Après avoir posé quelques questions pratiques, Roawir demanda à Arvak :

— Le dracologue Games Gandar vous a présenté comme Prince de l’Odrin, est-ce que vous êtes le fils héritier du roi Tintal ?

— Oui et non, répondit Arvak en continuant de brosser son cheval. J’ai été adopté par le roi Tintal lorsque j’avais cinq ans, j’étais orphelin. Je n’ai aucun souvenir d’avant ma vie ici, au château. Quant à l’héritage, dans notre pays le roi est élu par les grands seigneurs régionaux…

— Les Löds, compléta Roawir en jetant un regard à Arvak par-dessus le muret.

— … C’est cela. Si mon père venait à abdiquer ou à mourir, le cercle des Löds se réunirait pour élire le prochain roi qui deviendrait le sixième Roinkelt. Je pourrais être sur la liste des candidats, et je sais que mon père croit beaucoup en mes capacités. Pour ma part je pense que les Löds préféreront choisir quelqu’un parmi eux, qui serait bien accoutumé aux manières de la cour. Je pense qu’à choisir, Norgar aurait leur préférence.

— L’homme qui était à vos côtés, avec Games Gandar, comprit Roawir. C’est un Löd ?

— Oui, il est Löd de la région d’Entriver, comme son père l’était avant lui. Aujourd’hui c’est sa mère qui administre le domaine.

— Combien y a-t-il de régions en tout ?

— Sept. Celle où nous sommes s’appelle l’Odrin. Au nord d’ici se trouve l’Entriver, au nord encore, le Rwil. À l’est d’ici s’étend Ilmar, plus loin à l’est il y a le domaine des dracologues avec le Temple, encore plus loin à l’est Téyo. Au nord d’Ilmar se trouve la Nosrie.

Il sentait Roawir perdu avec tous ces noms.

— Il faudrait que je te montre sur une carte, ce serait plus simple, ajouta Arvak avec entrain.

— Probablement, avoua Roawir. Ces notions me sont un peu familières, car j’ai étudié le fonctionnement de votre pays. Mais c’était il y a longtemps et je ne suis pas une spécialiste de votre organisation féodale.

— Y’a pas de mal. Est-ce que je peux poser une question à mon tour ? demanda Arvak.

— Bien sûr, l’encouragea Roawir.

— Karfanaël Blifen s’est présenté tout à l’heure comme capitaine mais quelle place a-t-il par rapport à votre reine Guildra ?

Roawir réfléchit un instant sur la meilleure façon de formuler sa réponse :

— Mon maître Karfanaël est Tunandiël. J’ignore comment traduire cela dans votre langue. L’armée elfique se compose de plusieurs factions, un Tunandiël est le chef d’une faction. La seule personne qui soit au-dessus de lui dans la hiérarchie militaire est notre reine. C’est un grand combattant et un alchimiste de vent.

Arvak prit bonne note de ces informations, Norgar avait raison, l’affaire qui amenait les elfes était d’importance. Il réajusta aussi dans son esprit l’égard qu’il avait pour Roawir. Tout humble et curieux qu’il puisse paraître, il devait être une sommité dans son domaine.

— Et toi, où est-ce que tu te situes dans cette hiérarchie ?

— Je suis Soram de Karfanaël. Je suis son élève, je ne commande pas de troupe mais je l’accompagne et il me forme à la fonction qu’il occupe aujourd’hui.

— Tu es son élève depuis longtemps ?

— Il m’a pris sous son aile à la mort de mon premier maître, j’ai affronté les lycans avec lui durant les Guerres Morgaliènes. Puis j’ai pris mes distances. Je suis revenu à son service l’année dernière.

Arvak interrompit son geste. Au vu du conflit évoqué, il pouvait déduire que son interlocuteur avait plus de quarante ans et cela le laissa abasourdi. Certes il savait que les elfes ne vieillissaient pas. Mais, spontanément, le sachant apprenti et en voyant son regard émerveillé et sa timidité, il lui avait supposé une certaine candeur. Apprendre qu’il avait au moins le double de son âge lui fit comprendre qu’il avait eu tort de prendre l’émerveillement de Roawir pour de la naïveté.

— C’est un bon professeur ? demanda-t-il pour poursuivre la discussion.

— Il est très compétent.

Arvak leva un sourcil interrogateur.

— En Waniri, chaque maître alchimiste possède un blason personnel qu’il tatoue sur sa peau. Lorsque l’un de ses élèves devient accompli dans le domaine enseigné par son maître, l’élève obtient le droit de porter le blason du maître en tatouage sur son corps.

À cette explication, Arvak repensa aux bras entièrement tatoués de Karfanaël et eut soudainement une idée bien plus haute de ses capacités.

— Je peux te demander ce qui amène des émissaires d’une telle importance jusqu’ici ?

— Non, tu ne peux pas.

La franchise de l’elfe fit sourire Arvak.

— D’accord.

— J’ai l’interdiction de divulguer ces informations à quiconque à part le roi, précisa Roawir comme pour s’excuser.

Arvak hocha la tête :

— Y a pas de mal.

En d’autres circonstances, il aurait peut-être rusé pour tenter d’obtenir ces informations. Toute cette affaire l’intriguait beaucoup, autant la venue de ces curieux messagers que l’émoi du château tout entier.

Mais cet elfe lui était sympathique. Arvak craignait – à ce qu’il décelait du tempérament de Karfanaël – que Roawir n’ait des ennuis s’il divulguait cette information. Arvak s’en serait voulu si cela arrivait à cause de lui, et bien que l’envie d’en savoir davantage le démangeait fortement, il abandonna complètement l’idée d’interroger l’elfe. Il ne doutait pas un instant de parvenir à obtenir ces informations par d’autres moyens. Du fait de sa proximité avec le roi, Games Gandar serait bientôt dans la confidence. Arvak pensait parvenir à convaincre son vieux mentor de l’informer à son tour. Si lui-même pensait à cela, Norgar aurait certainement la même idée. Ce dernier devait déjà être en train de manœuvrer pour connaître tous les éléments de l’affaire.

Pendant qu’ils discutaient ainsi, ils avaient terminé de préparer leurs montures. Ils les sortirent de l’écurie et se mirent en selle. Riron, l’oiseau totem de Roawir, s’envola et vint se percher sur l’épaule de l’elfe tandis qu’ils traversaient la cour du château.

Sur leur gauche se trouvait la grande entrée, celle par laquelle la compagnie était arrivée peu de temps auparavant, le palais du roi était à leur droite. Arvak conduisit Roawir vers une autre porte située face à eux.

Bien plus modeste et moins gardée que l’entrée principale, celle-ci tranchait avec la première par ses dimensions plus réduites et sa rusticité. Ses deux battants de bois, épais et sombre, que recouvrait un peu de lierre, s’ouvraient sur un chemin de terre qu’Arvak connaissait bien et qui serpentait en pente douce entre des arbres. De larges ornières en avaient marqué le tracé cahoteux qui s’étirait en s’enfonçant toujours plus profondément dans une forêt d’arbres dense. Cette porte était comme la frontière entre deux univers, derrière eux, le monde riche et exubérant de la cour odriène, et devant, une nature verdoyante.

Arvak se délectait de cette fracture. Il avait traversé au matin la capitale, animée et bruyante, remplie d’une foule curieuse, et, par ce passage à peine gardé qu’il retrouvait après cinq ans d’absence, il entrait dans un lieu complètement différent, où se mêlaient au chant des oiseaux le bruissement du vent dans les feuilles, la moiteur du sous-bois, et l’odeur de la terre.

De son côté, Roawir ne semblait pas préparé à un tel contraste, il tournait la tête de droite et de gauche avec des yeux incrédules, sans comprendre quelle pouvait être la configuration de la ville pour qu’une telle chose fût possible.

Arvak sourit et lança son cheval au petit trot sur une route de campagne à peine entretenue, suivi de Roawir.

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