Chapitre 5 (2/7)

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Roawir sembla s’intéresser à leur conversation lorsqu’ils commencèrent à parler de chevaux, quoiqu’il le fît discrètement et sans oser y prendre part. Le voyant Games Gandar chercha à engager la conversation avec lui sur un sujet similaire :

— J’ai cru comprendre que mon prince vous avait montré nos plus belles montures ?

— Oui, ils…

— Roawir a dû en être ravi, le coupa Karfanaël, il a la passion de ces bêtes.

Roawir hocha la tête en assentiment.

— Aviez-vous eu d’autres occasions d’en voir ?

Roawir ouvrit la bouche mais Karfanaël le devança :

— Trop rarement je le crains, les chevaux sont rares dans nos régions. J’aurais aimé le présenter à notre bien-aimée reine Guildra Naïnor, que j’ai moi-même eu le plaisir de rencontrer régulièrement de par le poste que j’occupe. Son totem est une jument blanche d’une beauté tout à fait exceptionnelle. Malheureusement l’occasion ne s’est jamais présentée. En ces temps difficiles, elle n’a que peu de temps pour les discussions courtoises. La raison d’État prévaut toujours pour les grands que nous sommes. D’ailleurs, les montures que vous nous avez fournies étaient d’une qualité remarquable, d’aucuns en ont été admiratifs.

Tintal apprécia le compliment et commença à parler avec Karfanaël des chimères que les elfes utilisaient plus couramment comme montures. L’elfe semblait intarissable sur le sujet et en vantait la docilité :

— Il faut les dresser avec fermeté et leur montrer que vous êtes le chef, que vous prenez les décisions, assurait-il. Les jeunes années sont déterminantes, mais si vous parvenez à les soumettre, les chimères s’abandonneront sans retenue à vos ordres et n’écouteront ni la fatigue ni la faim. Aucune des chimères que j’ai pu dresser n’a jamais témoigné la moindre dissidence, conformément à leur nature.

Arvak ne doutait pas, au vu de la façon dont Roawir avait parlé de sa chimère avec Morgalt la veille, que ce dernier ne partageait pas l’opinion de son maître, et pourtant il ne chercha pas à le contredire.

Tintal revint bientôt sur le sujet des chevaux et demanda à Roawir :

— Je crois que mon fils vous a fait visiter le domaine, y a-t-il des chevaux qui auraient attiré votre attention particulière ?

Le regard de Karfanaël se porta sur son apprenti avec insistance, comme s’il attendait de lui qu’il se montre à la hauteur de la question du souverain, et Roawir hésita quelques instants.

Rocaille lui revenait en mémoire car l’histoire qu’Arvak lui avait racontée à son sujet l’avait beaucoup touché. Mais cette réponse ne lui semblait pas celle que le roi attendait. Par ailleurs il avait le sentiment qu’Arvak s’était épanché à ce moment-là, d’une façon dont il ne se serait pas confié à son père, aussi Roawir n’osa évoquer Rocaille. Pour le reste Arvak et lui avaient essentiellement discuté de politique, il n’avait retenu à peu près aucun autre nom. À l’idée de ne pas citer les noms adéquats et de formuler une réponse inappropriée, sa nervosité grandit. Il connaissait finalement très peu de choses à ces animaux et ne croyait pas avoir les compétences pour juger de la qualité des chevaux qu’il avait vus la veille.

— Pardonnez mon élève, Votre Altesse, intervint Karfanaël alors que le silence de Roawir se prolongeait. Il a une cervelle d’oiseau, le totem veut cela sans doute.

Cette phrase avait été dite sur le ton de la plaisanterie et l’assemblée y rit poliment tandis que Roawir semblait se replier sur lui-même.

— Crépuscule m’a semblé d’une qualité exceptionnelle, finit-il par dire alors que les rires s’apaisaient.

— Ah ! s’exclama Tintal, le joyau d’entre les joyaux. Mon fils a toujours refusé de me le céder. Les meilleurs étalons de mon cheptel sont tous issus de lui, cet animal est sans pareil.

Tintal était visiblement très flatté par la réponse de Roawir et donna une accolade vigoureuse à son fils comme pour appuyer ses propos. Arvak ne put s’empêcher d’intervenir à son tour. Il parla des différents chevaux qu’il avait présentés la veille à Roawir et des remarques élogieuses que ce dernier avait pu faire sur certains. Roawir put constater la précision de la mémoire d’Arvak et il fut reconnaissant de la façon dont son discours le mit en valeur auprès du roi. Autour de lui, il put constater que les regards étaient très avenants, et il se détendit quelque peu.

— J’ai entendu dire, s’enorgueillit-il à ajouter, que vous possédiez ici certaines pièces d’art et d’érudition de grande valeur, le Chansonnier de Dunal Muwin, un original de la Vulgate, des reliques de Pélior, la lance d’Enfel Aran, et beaucoup de manuscrits de l’époque des dragonniers ?

Le roi Tintal hocha la tête à chacun de noms évoqués par Roawir. Il s’agissait effectivement d’objets de très grande valeur pour les humains, des éléments emblématiques de leur culture et de leur histoire, que les elfes ne connaissaient généralement pas. Tintal parut flatté par la grande érudition dont témoignait la question de Roawir et par l’intérêt qu’il démontrait pour ces œuvres les plus emblématiques de la culture humaine.

— C’est tout à fait exact, répondit Tintal. Mralèm est une ville d’érudition et de science, tous les rois et reines qui m’ont précédé ont eu à cœur d’embellir sa collection et j’ai moi-même poursuivi cet héritage.

— J’aurais aimé les voir, si cela était possible bien sûr, et à votre convenance, demanda humblement Roawir.

— Oui bien sûr. Nous possédons dans le bâtiment central une salle où sont exposées plusieurs des pièces que vous avez citées. Arvak pourrait vous en faire la visite et vous les présenter. Pour le reste Altred vous arrangera un accès aux archives de notre bibliothèque, je laisse à mon fils le soin de vous en montrer les plus beaux ouvrages.

Altred et Arvak acquiescèrent tous deux à la proposition de leur roi et les conversations se poursuivirent.

— Est-ce que Kared Nimizar sera des nôtres prochainement ? demanda Karfanaël. J’ai beaucoup entendu parler de lui et ce serait un honneur de le rencontrer.

Kared Nimizar était l’un des dracologues de l’Aganius. Chargé de la protection d’Artaug à l’extrême nord, ou de diverses missions d’importance lorsque le royaume l’exigeait, il était rarement présent à la cour.

— Malheureusement je crains que non, répondit Tintal. J’ai envoyé ce bon Kared en mission au Magcam, il y a un mois. Un courrier arrivé hier nous a appris qu’une fièvre bénigne l’avait retenu là-bas.

— Je lui souhaite un prompt rétablissement.

— Je lui transmettrai. Il nous envoie un émissaire dragon-mirage dont j’ai appris ce matin qu’il avait rejoint Taradil hier, je pense qu’il devrait arriver au palais dans la journée.

Les conversations se poursuivirent au sujet de Kared Nimizar et du peuple dragon-mirage.

Roawir garda le silence tandis que Karfanaël participait activement aux échanges, parlant plus longtemps et plus fort que toutes autres personnes présentes. Tintal semblait apprécier l’aisance verbale de l’elfe et sa science. Il avait assurément des talents d’orateur. Andlam et Norgar discutaient à mi-voix. Cette dernière ne perdit pas une occasion d’adresser à Karfanaël des remarques, chaque fois d’une politesse irréprochable, mais toujours d’un certain mordant et d’une grande spiritualité. Arvak ne put s’empêcher de penser qu’elle devait avoir sur Karfanaël une opinion similaire à celle d’Eliwyl.

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