Chapitre 5 (3/7)

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Lorsque le petit déjeuner s’acheva les convives se levèrent et les domestiques débarrassèrent les tables. Ils restèrent encore quelque temps dans la pièce, échangeant des dernières paroles. Altred interpella discrètement Arvak :

— J’ai fait porter une tenue moins royale dans votre chambre, à votre convenance.

— Merci, lui répondit Arvak avec une reconnaissance sincère.

Altred s’éloigna sur un hochement de tête entendu.

Arvak retrouva Roawir et ils décidèrent de visiter ce matin même la salle d’exposition évoquée par le roi. Ils prirent congé de l’assemblée et, après s’être quelque peu éloignés de la pièce, Arvak ne put retenir un long soupir de soulagement qui fit sourire Roawir.

— Pardon, se reprit-il.

Il s’était momentanément laissé aller et se morigéna intérieur pour cela. Roawir ne sembla pas lui en tenir rigueur. Bien au contraire, le naturel dont Arvak venait de faire preuve sembla le détendre complètement. Alors qu’il s’était montré silencieux et réservé tout le long de la réception, Arvak retrouva chez lui ce regard émerveillé et curieux, la conversation s’engagea entre eux avec la même aisance que la veille lors de leur promenade à cheval.

Parvenu devant sa chambre, Arvak interrompit poliment :

— Je vais me changer, j’en ai pour un instant.

Il entra, trouva soigneusement pliée la tenue qu’il avait la veille pour accueillir les elfes et la revêtit. Il se sentit plus libre de ses mouvements.

— C’est bon, dit-il en ressortant.

Il conduisit Roawir à travers les couloirs vers le bâtiment central, qui constituait la partie diplomatique du palais. L’aile est qu’ils quittaient était la partie résidentielle, l’aile ouest accueillait la bibliothèque, les archives et la salle du conseil. Le bâtiment central était destiné aux réceptions, aux festivités, à l’accueil des visiteurs. Son architecture, ses dimensions, son apparat étaient une vitrine du luxe et du prestige des Roinkelt et inspiraient autant d’admiration que de crainte. La façade du bâtiment était percée de longues fenêtres sur toute sa hauteur et ses vitraux bleus, transparents, jaunes et magenta éclairaient par touches multicolores l’escalier monumental du hall qui desservait chacun des trois étages du bâtiment. Un immense lustre de cristal descendait du plafond et scintillait sous l’éclat du soleil, ajoutant encore de la brillance à ce riche décor.

Le hall ouvrait sur une immense salle d’apparat où se trouvait le majestueux trône royal et où avaient lieu les réceptions les plus prestigieuses. Le deuxième étage était destiné à l’hébergement des visiteurs, c’était là que Karfanaël et Roawir avaient leurs appartements. Mais c’était au premier étage de ce même bâtiment qu’Arvak conduisait à présent Roawir.

Cet étage était tout entier occupé par une galerie d’art et d’histoire où étaient exposées certaines pièces précieuses et prestigieuses que possédait le roi. Cette galerie était destinée à occuper les éventuels visiteurs, qui devaient parfois attendre de longues heures avant d’être reçus, et qui pouvaient ainsi nourrir leur culture et leur admiration de la maison royale. Elle s’organisait en quatre salles, communiquant les unes avec les autres et dont les œuvres exposées étaient organisées selon un ordre chronologique. Des gardes paladins veillaient avec discrétion mais non sans vigilance.

Arvak ouvrit les portes sur une grande salle consacrée à la période récente de l’histoire humaine et aux affrontements contre les lycans des cent dernières années. On y retrouvait des équipements militaires anciens, précurseurs de ceux des Frontaliers actuels, et l’un des premiers modèles de leur armure iconique : le Brunmantel. C’était une armure de tissu, de cuir et de mailles, inventée au début du siècle pour protéger les soldats des morsures de lycans. Cousus ensemble en trois épaisseurs, ces composants permettaient d’arrêter les crocs de ces monstres avec une grande efficacité et son invention avait constitué une révolution dans la protection contre les morsures de lycans. Comparé à une armure de plates, le brunmantel était plus léger, moins coûteux à fabriquer, à entretenir, à réparer, plus facile d’emploi et non soumis à la déformation. Toutes ces qualités avaient grandement amélioré la capacité des Frontaliers à protéger le pays. À côté se trouvaient des épées en argent, aux propriétés toxiques contre les lycans. Là aussi le temps et les connaissances avaient amélioré les techniques humaines, depuis les armes simplement plaquées argent jusqu’aux alliages qu’Arvak utilisait et qui égalaient le meilleur des aciers.

Au milieu de la pièce trônait une grande sculpture en taille réelle du guerrier Anar Morken chevauchant son dragon Valor, le héros de toute une génération – avec qui Arvak avait eu la chance de croiser le fer étant enfant. La statue était peinte et on sentait un souci du détail autant dans la taille de la pierre que dans la représentation et la coloration de sa parure.

Il était vêtu de la tenue des Frontaliers qu’Arvak connaissait bien, le brunmantel, les brassards en cuir, la cape verte, le pantalon brun. Dans le dos il portait les deux lames emblématiques de l’école de Tsiroèn. Ses longs cheveux blonds étaient noués en queue de cheval, dégageant de fines oreilles légèrement pointues. Il avait un regard sévère, figé dans le marbre avec une attitude martiale. Son dragon Valor avait tout de l’apparence d’un gigantesque loup gris. Ses ailes de plumes, partiellement déployées, montraient de larges rémiges dont les couleurs rappelaient celles de la chouette.

Roawir arrêta sur la statue un regard ébloui et Arvak endossa son rôle de guide :

— Anar Morken a posé en personne devant l’artiste qui a réalisé cette sculpture, elle fut achevée peu avant sa mort, il y a neuf ans.

— Elle est très ressemblante en effet, dit pensivement Roawir.

Devant le regard interloqué d’Arvak, il précisa :

— J’ai eu l’occasion de le rencontrer, lors des guerres lycans, il y a environ une vingtaine d’années. Ce fut bref mais marquant. Il n’avait pas l’air aussi sévère en vrai.

— C’était un guerrier de grande valeur. Il a tué le roi des lycans, Sayan Kotarin. Puis il s’est encore illustré à la bataille de Vran Jar.

En disant cela, Arvak conduisit Roawir devant une tapisserie qui représentait cette bataille. On y voyait une foule de lycans, bloqués dans un étroit corridor rocheux, au-dessus d’eux, quatre dragons incendiaient l’armée de leurs flammes.

— Il y a vingt ans, lors d’une guerre contre les lycans, les humains ont remporté une importante victoire à Artaug, dans le nord-est du pays. Nous sommes parvenus à bloquer les lycans dans une vallée étroite et les dragons les ont brûlés vifs. Cette victoire a ancré la peur des dragons chez les lycans et nous a permis d’obtenir les accords de paix qui nous lient encore aujourd’hui avec eux.

Roawir secoua la tête :

— Ça ne s’est pas passé comme ça, s’étonna-t-il. Il y avait bien quatre dragons, mais seul celui d’Anar Morken crachait des flammes, Valgar crachait de la foudre, et les deux autres répandaient de l’huile sur les ennemis pour que le feu prenne de l’ampleur.

Arvak connaissait les récits de cette bataille.

— C’est une vue d’artiste, précisa-t-il, mais tu as tout à fait raison. Les draco faber nés au Temple ne peuvent pas cracher du feu et Valgar possède une magie bien à lui.

Devant le regard interrogateur de Roawir, Arvak décida d’apporter quelques précisions sur les draco faber :

— Les dragonniers ont disparu aujourd’hui. Ils ont laissé de nombreux œufs issus de leurs dragons, malheureusement, ces derniers sont incapables d’éclore. Les dracologues utilisent des sortilèges pour forcer leur naissance, et ce processus affecte la magie des dragons qui naissent grâce à lui. Ils ne peuvent pas cracher de flammes et vieillissent comme les humains. Valgar et Valor sont des dragons de genres différents. Valgar, le dragon d’Andlam, est son animal totem, le lien qui existe entre un elfe et son totem lui a permis de naître. Il grandit bien plus lentement qu’un dragon né au Temple mais ne subit pas de vieillissement et il a une affinité avec la foudre. Valgar est né au Temple d’un œuf que possédaient les humains mais les dracologues ne sont pas intervenus dans sa naissance. Valor était le fils de Valgar et d’une dragonne sauvage, il était aussi un dragon totem, celui d’Anar Morken, qui était un demi-elfe. C’est de cette ascendance sauvage qu’il tient son apparence. La forme de loup et les ailes de plumes sont des caractéristiques des dragons Grincor, une des dernières espèces de dragons sauvages encore présentes au Darka-Guèn.

— La diversité des dragons est vraiment extraordinaire.

— Et encore tu n’as rien vu !

— Je croyais que les dragons avaient disparu ? s’interrogea Roawir.

— Oui c’est une situation complexe à comprendre. Les dragons forment une grande famille et regroupent de très nombreuses espèces, très variées de formes et de tailles. La plupart des espèces, notamment les plus grandes, ne vivent plus sur notre continent, et beaucoup de dracologues les pensent même éteintes. Les dragons Grincor – comme Valor – sont de petite taille comparés à ce que nous savons des dimensions normales des espèces de grandes tailles. Et la mère de Valor est la seule créature de son espèce que nous ayons observée ces six derniers siècles. Peut-être y a-t-il encore des dragons Grincor sauvages dans les hautes montagnes du Vaèr mais nous ne sommes sûr de rien.

Arvak marqua une brève pause puis, voyant que Roawir n’avait pas de questions, il poursuivit :

— Les dragons des dragonniers – les Darkénéïdes – sont des représentants des espèces de grandes tailles. Ils ont cessé de naître depuis au moins deux mille ans d’après nos sources, mais nous sommes toujours en possession d’œufs issus d’eux. Les œufs des Darkénéïdes sont indestructibles et peuvent traverser les millénaires sans dommage. Ceux que nous possédons ont été soit trouvés dans les vestiges d’anciennes cités des dragonniers, soit conservés à travers les siècles par de vieilles familles nobles. Au départ les dracologues avaient pour ambition de faire revenir les dragonniers en rendant à nouveau possible la naissance des Darkénéïdes. Mais jusqu’à maintenant toutes leurs tentatives ont échoué. Dans les meilleurs des cas, le dragon naît mais il ne transmet aucune magie ou aptitude à l’humain qui le fait naître, au contraire de ce que faisait un Darkénéïde pour son Dragonnier. Il décline progressivement et sa personnalité, son identité, ses capacités physiques et mentales finissent par se concentrer sur un seul trait significatif, et tous les autres sont sacrifiés progressivement.

— Comme Endimir, comprit l’elfe.

— Oui. Le trait d’Endimir est son mental. Tous ses sens ont disparu progressivement mais ses capacités cognitives sont restées tout aussi affûtées, voire même davantage. Aujourd’hui son physique s’amoindrit, il ne pourra bientôt plus voler, ni probablement marcher. Lorsque son esprit commencera à décliner, il sera près de s’éteindre. Mais dans sa jeunesse il a été un grand guerrier et a participé à de nombreuses batailles.

— Si vous possédez autant d’œufs de Darkénéïdes pourquoi ne pourriez-vous pas en faire naître un grand nombre et ainsi constituer une armée qui puisse faire face aux lycans ?

— Les dragons qui naissent par ce processus sont stériles, les dracologues préfèrent donc préserver les œufs dont ils disposent dans l’espoir de trouver un jour un moyen de faire renaître les dragonniers. De plus faire naître un dragon au Temple est une tâche complexe, qui demande une très grande érudition, et qui doit s’adapter presque au cas par cas à chaque œuf. Aujourd’hui nous comptons trois dragons nés par ce processus dans tout le pays et tous ont plus de trente ans, je ne suis même pas certain qu’il soit possible de faire naître un grand nombre de dragons en peu de temps.

Ces paroles laissèrent Roawir pensif.

— Pour ce qui est des dragons de grande taille, poursuivit Arvak, le dernier représentant de cette espèce a été observé il y a environ six cents ans au cours de la Grande Guerre.

Il fit signe à Roawir de le suivre et ils entrèrent ensemble dans la deuxième salle.

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