Chapitre 5 (4/7)

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Celle-ci était consacrée presque entièrement à la Grande Guerre et on y retrouvait des pièces d’armures, le squelette de l’un des premiers lycans, l’armure d’un dragon-mirage, mais surtout, au milieu de la salle, la statue d’un grand dragon blanc à la crinière noire, elle aussi peinte.

Son corps était recouvert d’écailles larges et sa tête fine, avec un museau court, lui donnait un visage étrangement humain. Deux petites cornes d’or surmontaient fièrement sa tête et son regard semblait pensif, lointain, comme observant un mystère inaccessible.

Il était représenté assis, sa longue queue reptilienne entourant ses pattes, et ses ailes membraneuses étaient légèrement déployées au-dessus de lui. À son côté gauche se trouvait un cheval cabré, très détaillé par l’artiste, et qui arrivait à hauteur du coude du dragon. L’animal avait été représenté ainsi pour aider à se figurer la taille colossale de la créature draconique qu’ils avaient sous les yeux.

— Voici Le Blanc, son vrai nom de dragon nous est inconnu, expliqua Arvak. Il était vraisemblablement sauvage et très âgé. Au cours de la Grande Guerre ses conseils et ses connaissances ont permis à mon peuple de résister face aux lycans. Il a été comme un guide spirituel. Ce fut lui qui découvrit la faiblesse des lycans, l’argent, et qui mit fin à la Grande Guerre en se sacrifiant pour enfermer la Ténébra dans un monde prison.

Arvak connaissait ces histoires et il ne doutait pas que Roawir les connaissait aussi mais, depuis sa discussion de la veille avec Norgar, il y portait un intérêt renouvelé. Il fut étonné toutefois de voir Roawir s’y intéresser au moins autant.

Dans la pièce une tapisserie représentait le Blanc affrontant la Ténébra. Cette dernière n’apparaissait que comme une masse sombre à la forme confuse mais vaguement ailée. À ses pieds des lycans transformés affrontaient des humains en armure. En arrière-plan, une aura lumineuse sphérique évoquait le portail magique dans lequel la Ténébra avait basculé à l’issue du combat.

— Si je comprends bien, cette créature, le Blanc, n’avait aucun lien avec les dragonniers ? demanda Roawir.

— Non, pas d’après ce que nous savons.

— Et les dragonniers s’étaient déjà éteints au moment de la Grande Guerre ?

— C’est exact, confirma Arvak.

Et il guida Roawir jusqu’à la troisième salle.

— Cette salle, expliqua Arvak, est consacrée à la fin de l’ère des dragonniers. C’est la période de leur ère que nous connaissons le mieux, car les dracologues savent traduire la langue de cette époque. Malgré tout, nos connaissances restent lacunaires. Nous savons que les Darkénéïdes ont cessé de naître il y a environ deux mille ans, mais nous ignorons tout des circonstances exactes qui ont conduit à cela. Les dracologues connaissent aujourd’hui les raisons physiologiques et magiques qui empêchent la naissance des Darkénéïdes, raisons qu’ils ne parviennent ni à surmonter, ni à guérir.

— D’où vient l’incapacité des dragons à éclore ?

Arvak haussa les épaules :

— C’est une question trop technique pour moi, seul un dracologue pourrait répondre.

— Donc si je comprends bien, tous les dragons des dracologues sont issus d’œufs de Darkénéïdes ? demanda Roawir.

— Oui c’est cela, tous d’œufs ayant au moins deux mille ans, parfois davantage, parfois moins.

— Comment pourriez-vous avoir des œufs ayant moins de deux mille ans puisque les Darkénéïdes se sont éteints à cette période ?

— Ils ne se sont pas éteints, ils ont cessé d’éclore. Par conséquent aucun dragonnier n’est plus jamais apparu depuis cette date. Cependant, comme ni les Darkénéïdes ni les dragonniers ne vieillissent, ceux qui étaient encore en vie il y a deux mille ans continuèrent leur existence encore de nombreux siècles après l’arrêt des naissances des Darkénéïdes. Ils disparurent progressivement. Le dernier dragonnier a été tué par un humain il y a environ mille sept cents ans. Par la suite son meurtrier devint roi d’Aganius, il s’agissait d’Enfel Aran. Il était issu de l’ancienne famille royale des dragonniers mais n’était pas dragonnier lui-même. Tout le long de son règne, il s’est acharné à exterminer les dragonniers et à détruire leurs textes et leurs vestiges. C’est en partie à cause de lui que nos connaissances sont aussi lacunaires au sujet des dragonniers. Beaucoup de ce que nous savons nous provient directement de la transmission orale, à travers des légendes. Nous possédons encore un nombre assez important de textes remontant à la période des dragonniers, mais la plupart sont écrits dans une langue que nous ne savons pas traduire. En vérité, ce que nous savons de la fin de l’ère des dragonniers nous provient majoritairement de textes et de traductions de texte établis cinq cents ou six cents ans après les faits.

Arvak conduisit Roawir à une vitrine qui trônait au centre de la pièce.

Dans cette vitrine se trouvait le reliquaire contenant le cœur de Pélior et, à côté, la patte avant gauche de son dragon Nigmos. C’était une patte d’un rouge vif, gigantesque, griffue, écailleuse, qui faisait presque deux fois la taille d’une tête d’homme, laissant deviner une corpulence que personne n’osait imaginer.

— Pélior fut le dernier dragonnier, mais tout ce que nous savons de lui se perd dans les légendes populaires. Il est l’un des protagonistes de la Saga des Renégats.

À cette évocation le regard de Roawir s’alluma :

— Je connais cette saga, reconnut-il.

Arvak ne doutait pas que l’elfe venait de faire le lien dans son esprit entre diverses choses importantes pour lui. Roawir resta un instant pensif et Arvak ne put s’empêcher de se remémorer tous les souvenirs que le seul nom de cette saga évoquait en lui.

Enfant, lors des longues nuits d’hiver, Games Gandar s’asseyait près du feu pour lire ou conter une histoire des Renégats, tandis que lui et Norgar écoutaient en rêvant à ces folles aventures faites de quêtes, de mystères et de dragons. Leur vieux mentor leur racontait comment, lorsque les dragonniers arrivèrent à leur déclin, un groupe de héros, les Renégats, se mirent en quête du gardien antique du Pilier du Vent, Vaèr, pour demander son soutien et son assistance. La saga ancienne était restée inachevée. Trouvèrent-ils ce qu’ils cherchaient ? Moururent-ils en essayant ? De nombreux auteurs se succédèrent, rivalisant d’inventivité pour proposer une fin, de nouvelles aventures, au milieu de tout ceci l’imaginaire pouvait se déployer à sa guise.

À l’époque Arvak se fichait de savoir s’il y avait une origine réelle à ces légendes, il aimait juste se perdre à imaginer ces anciens héros. La légende les montrait tantôt comme des elfes, chacun accompagné à la fois de leur dragon et de leur animal totem, avec Pélior entouré de la Darkénéïde Irwin et du dragon totem Nigmos ; tantôt comme des dragonniers humains. Ils partirent en quête de Vaèr pour obtenir de lui son aide contre l’ennemi qui était en train de détruire les dragonniers, la Ténébra.

Aujourd’hui il aurait payé cher pour savoir s’il y avait un fond de vérité derrière ces légendes, si Pélior avait rencontré Vaèr et où se trouvait l’antique gardien, si les Renégats avaient obtenu son aide et comment. Mais aucun vestige historique n’éclairait ce point et la légende s’était depuis trop longtemps emparée de ce récit pour qu’aucune vérité historique ne puisse lui être accordée.

Dans la vitrine, à côté de Pélior, se trouvait le fer de la lance qui l’avait tué, celle d’Enfel Aran. Roawir resta un long moment pensif devant ces reliques.

— Je trouve ça incroyable, dit-il, que des gens aient pu se lancer dans une telle aventure. Qu’ont-ils pensé ou cru pour décider un matin que le gardien antique du Pilier du Vent était leur meilleure chance de succès ?

— Des traces que nous avons, Vaèr avait une place importante pour les dragonniers, il était leur protecteur et il les aurait même créés. Peut-être qu’à leur époque ils avaient davantage d’informations sur les gardiens ou s’en sentaient plus proches. Peut-être que Vaèr ne leur paraissait pas aussi légendaire qu’à nous aujourd’hui. Mais nous n’avons à ce jour aucune preuve que Pélior ait vraiment réalisé cette quête, tous les témoignages que nous en avons sont des récits d’aventures, écrits près de mille ans après la date supposée des faits.

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