Chapitre 5 (5/7)

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Arvak avait envie de croire qu’un fond de vérité demeurait derrière la légende, que Pélior avait véritablement réalisé une partie des folles aventures qu’on lui attribuait. Mais son esprit rationnel ne lui permettait pas de prendre pour véridique tout ce que les sagas racontaient.

— Savais-tu que l’hypothèse des Piliers du Monde est considérée comme une hypothèse scientifique valide par les elfes ? demanda Roawir.

Les paroles de l’elfe le déroutèrent complètement.

— La magie est un sujet d’étude complexe, poursuivit ce dernier. Comment l’expliquer simplement ? Tu peux la voir comme de l’eau. L’eau dans notre monde est présente partout, sous de nombreuses formes, liquide, solide, gazeuse, elle tombe en pluie, coule en rivières, s’assemble en nappes souterraines, forme de gigantesques océans. Les êtres vivants la boivent, et sont constitués d’eau en bonne part. Nous pouvons l’utiliser sous certaines de ses formes et sous d’autres elle est hostile. De la même façon la magie est présente partout sous de nombreuses formes, sous certaines nous pouvons l’employer, et sous d’autres non. Pour beaucoup d’elfes, tout est même de la magie, et la matière ne serait qu’un assemblage de briques élémentaires minuscules qui serait une forme spécifique de magie. Mais en dehors de la matière, il existe un flux qui est au monde ce que l’eau douce liquide est à la vie. Et comme l’eau peut être employée à des tâches si on possède les bonnes méthodes, de même la magie peut être utilisée pour des tâches qui sortent du commun. Par exemple un meunier peut utiliser l’eau pour moudre du grain grâce à son moulin, ou un paysan peut rendre fertile une terre par l’irrigation grâce à des canaux. Moi je suis alchimiste, avec des glyphes et la bonne formule, je peux transformer la matière en une autre, ou bien changer sa forme. Les glyphes et la formule sont mon moulin, d’une certaine façon.

Arvak hocha la tête, il n’était pas magicien et n’avait que de très vagues notions des concepts évoqués par Roawir mais les propos de l’elfe l’intéressaient particulièrement.

— Dans le monde de la physique, l’eau obéit à des règles qu’il n’est pas possible d’enfreindre de façon naturelle. Par exemple, si je verse de l’eau elle va tomber ou suivre la direction d’une pente, et il n’existe pas de situation où d’elle-même l’eau liquide remonterait une pente pour revenir dans son contenant. En faisant cela, l’eau suit la force de gravité de notre planète qui attire les objets au sol, et cette force est elle-même imprimée par la masse de notre planète. Celle-ci subit aussi la gravité du Soleil, qui l’attire, et le Soleil suit lui-même la gravité de corps célestes plus imposants.

Roawir fit une courte pause comme pour s’assurer qu’Arvak arrivait à le suivre.

— Lorsqu’on observe les fonctionnements de la magie, elle semble obéir à certains principes et certaines lois que nous sommes loin de cerner. L’hypothèse des Piliers du Monde est une hypothèse scientifique chez les érudits elfes, qui consiste à supposer l’existence de corps magiques, comme il existe des corps célestes. Les Piliers du Monde seraient à la magie ce que la terre et le soleil sont à la physique et aux lois qui régissent la matière.

— Des astres autour desquels tout gravite, comme dans un système solaire, crut comprendre Arvak.

— Quelque chose comme cela. Nous n’avons pas de preuves que les gardiens antiques aient jamais existé ni qu’ils aient créé les Piliers du Monde, ou les aient employés au combat comme le raconte la genèse. Et nous ne savons pas non plus si ces Piliers sont faits de lumière, d’eau, de feu, d’air, de terre ou de ténèbres ni s’ils peuvent être contrôlés ou utilisés. Mais pour les érudits elfes, les Piliers du Monde, en tant qu’entités magiques massives, sont considérés comme une réalité. Cette hypothèse explique mieux que toutes les autres le monde que nous observons, et les mouvements de la magie.

Arvak n’était pas certain d’avoir compris l’ensemble des explications de Roawir. Tout comme la grande majorité des humains, Arvak n’avait pas d’affinité avec la magie et son érudition s’arrêtait à des idées un peu mystiques sur les capacités prodigieuses des magiciens. Il avait le sentiment cependant que Roawir n’avait pas terminé ses explications.

Contemplant le reliquaire de Pélior, l’elfe semblait incertain. Pendant un bref instant, Arvak se demanda si cette indécision portait sur les termes à employer ou sur les concepts à aborder. Peut-être le voyait-il comme un inculte avec qui il aurait fallu adapter et simplifier à outrance un discours ? Arvak se pensait tout à fait capable de comprendre n’importe quel concept magique pour peu qu’on le lui explique avec patience et méthode, et il fut un instant troublé de penser que Roawir le voyait peut-être comme un ignorant. Mais le regard de l’elfe était perdu dans le lointain et Arvak comprit que ses réflexions portaient sur tout autre chose. L’elfe semblait hésiter à aborder un sujet et Arvak attendit.

— La magie est un sujet d’étude fascinant, dit-il à voix basse. Il y a des domaines dans lesquels elle va à l’encontre de toutes les lois qui s’appliquent à la physique. Par certains aspects la magie possède ses propres lois.

Sa voix était plus basse mais il parlait comme si leur sujet de conversation avait été naturel. Roawir porta son regard vers le garde paladin qui surveillait la salle mais celui-ci était loin et ne semblait pas leur accorder d’attention.

— Par exemple, poursuivit Roawir, je comparais tout à l’heure la magie à de l’eau. Prenons un grand lac et imaginons qu’on y jette une pierre, celle-ci produira un impact sonore puis des vaguelettes sur l’eau. On pourrait dire que cet évènement se disperse dans l’espace et le temps. La personne qui aura lancé la pierre percevrait le son, l’éclaboussure et les vaguelettes, mais quelqu’un sur la rive du lac pourrait ne rien en voir. Et une personne qui arriverait dix minutes après que la pierre ait été jetée n’aurait aucun moyen de savoir que quelque chose s’est produit.

Roawir marqua une courte pause et jeta un regard à Arvak qui écoutait très attentivement.

— Dans la magie, on observe quelque chose de très différent. La magie est un flux qui réagit lorsqu’on l’utilise, mais l’écho des perturbations qui l’animent ne se disperse pas dans l’espace ou le temps. C’est un phénomène plutôt fascinant. Un peu comme si, en jetant un caillou dans un lac, le son, l’éclaboussure et les vaguelettes, étaient perceptibles par tous, quelle que soit la distance à laquelle il se trouve de l’impact et quel que soit le temps qui l’en sépare.

— Est-ce que cela signifie qu’il est possible de retrouver les traces de n’importe quel sortilège qui a un jour été lancé dans la magie ? demanda Arvak.

— Dans les faits non. Les traces que je laisse dans le flux de la magie en tant qu’alchimiste sont insignifiantes. Un peu comme de jeter un grain de poussière sur un lac, je ne trouble pas la magie. Sans compter qu’il existe des millions de créatures à travers le monde qui emploient la magie, pas seulement des elfes ou des alchimistes. Retrouver l’infime perturbation de mon grain de poussière spécifique au milieu de l’immensité d’infimes perturbations provoquées par des grains de poussière tout aussi infimes que le mien, aucun être n’est capable d’une telle chose. Mais cette information existe dans la magie. Par contre si un sortilège avait lieu, qui soit plus puissant que les autres, ou qui soit d’une nature qui rendrait son écho véritablement particulier dans le flux de la magie, qui provoquerait une singularité vraiment notable ; alors toutes les créatures sensibles à la magie percevraient l’écho de ce sortilège comme s’il avait été lancé juste à côté d’eux. Et ils pourraient étudier ce phénomène, durant des mois ou des années, tandis que l’écho du sortilège dans la magie conserverait la même précision que s’il venait d’être lancé.

— Fascinant, constata Arvak.

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