Chapitre 5 (6/7)

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Roawir hocha la tête.

— Vous avez un original de la Vulgate ? demanda soudain Roawir comme s’il s’était montré soudain désireux de changer complètement de sujet. J’ai entendu dire que c’était la version la plus ancienne concernant les Piliers du Monde.

— Oui, confirma Arvak, juste ici.

Il ne savait encore que penser de tout ce que venait de lui apprendre l’elfe, mais il croyait deviner que Roawir avait minutieusement choisi tant les explications qu’il souhaitait lui donner que l’ouvrage qu’il voulait consulter. Arvak devait bien reconnaître que, depuis sa discussion de la veille avec Norgar, il avait un intérêt accru pour les récits de la genèse et les Piliers du Monde, et voir chez Roawir un intérêt similaire le confortait dans ses suppositions.

Il le mena devant un présentoir où était exposé, sous verre, un petit manuscrit à la reliure de cuir et aux pages jaunies. L’ouvrage comptait à peine une quinzaine de feuillets et Roawir ne pouvait en consulter que la double page que laissait voir la vitrine. Un texte central l’occupait, entouré d’apparat critique, de notes érudites, agrémenté de quelques enluminures.

— La Vulgate a été écrite par les dracologues entre le septième et le neuvième siècle de notre ère, expliqua Arvak en reprenant son rôle de guide. Ils ont souhaité recomposer le mythe de la création du monde tel qu’il devait se trouver dans les croyances des dragonniers. On sait que les dragonniers gravaient les textes du Mythe de la Genèse sur les murs de leur Temple mais ceux-ci ont presque tous été détruits au fil du temps, sans compter qu’Enfel Aran a activement participé à faire disparaître ces constructions et les copies de ces textes. Les légendes relatives au Mythe de la Genèse se sont maintenues dans la culture orale mais avec de nombreuses transformations et ajouts. Au septième siècle, les dracologues ont souhaité pouvoir faire la distinction entre les légendes qui remontaient à l’époque des dragonniers et celles plus tardives composées après leur disparition. Ils ont confronté toutes les légendes en leur possession, les quelques évocations manuscrites, les vestiges architecturaux et archéologiques, et ils ont fini par en faire émerger un tronc commun. Si on veut résumer très grossièrement, on pourrait dire que la Vulgate rassemble un ensemble de légendes dont on peut affirmer que l’origine est antérieure à la disparition des dragonniers, il y a deux mille ans. Le texte en lui-même a connu de nombreux remaniements entre le septième et le neuvième siècles en suivant les progrès dans l’étude de cette littérature. Après la Grande Guerre, un quatrième chant a été ajouté pour actualiser les mythes et montrer la continuité entre les peuples actuels et ceux de l’époque des dragonniers. La Vulgate n’a pas été retouchée après cet ajout, le texte définitif est donc vieux de six cents ans environ.

— Ce texte a donc été composé longtemps après la disparition du dernier dragonnier.

— Plus de mille ans après oui, confirma Arvak.

— Donc on ne sait pas si ce texte est une image fidèle de ce en quoi croyaient les dragonniers.

— Non.

— Et on ne sait pas non plus si ce texte raconte la réalité de la création du monde.

— Tout à fait.

— Et les faits relatés dans les mythes de la genèse seraient antérieurs à la colonisation du Darka-Guèn, puisque la guerre de la genèse se termine par l’exil des humains sur notre continent. Avez-vous une estimation sur la date de cette colonisation ? demanda Roawir. Chez les elfes, nous avons une estimation de l’arrivée de Naïnor mais il me semble que la colonisation humaine est bien antérieure ?

Avec un sourire il conduisit Roawir dans la quatrième et dernière salle.

Celle-ci était destinée aux artefacts remontant à une période antérieure à la chute de dragonniers. Au mur s’étirait une vaste carte représentant tout le Darka-Guèn. Sur celle-ci figuraient divers points et nuages de points qui désignaient des cités archéologiques réelles ou supposées de l’époque des dragonniers. À l’entrée de la salle se trouvaient des manuscrits datant de l’ère des dragonniers, avant leur déclin et leur lente disparition. Il s’agissait d’épais volumes. Certains avaient une reliure de cuir finement travaillée, d’autres de métal orné d’or et de pierres. L’un d’eux était ouvert sur un présentoir sous verre très similaire à celui de la Vulgate. Il laissait apercevoir une double page de fins caractères d’un alphabet que Roawir ne savait déchiffrer. Certaines lettres évoquaient l’alphabet latin, d’autres avaient les fines arabesques de l’écriture elfique, mais leur sens demeurait une énigme, tant pour Arvak que pour Roawir. Les pages en elles-mêmes étaient faites d’une matière qu’Arvak ne connaissait pas et, s’il avait dû la décrire avec les premiers mots qui lui venaient à l’esprit, il l’aurait probablement comparée à des ailes de libellule. Les pages des livres qu’il avait sous les yeux avaient l’aspect délicat, translucide, légèrement scintillant et nervuré des ailes de ce petit insecte volant.

— D’après l’estimation des dracologues, l’ère des dragonniers aurait duré au moins trois mille ans. Nous pensons que ces livres remontent à la période de leur apogée.

— Qui a eu lieu quand environ ? demanda Roawir.

— C’est là que l’estimation se complique.

Arvak montra le manuscrit :

— Nous possédons un grand nombre d’ouvrages de ce type, car ces pages ne souffrent ni du temps, ni de l’humidité, ni de l’usure, mais elles sont écrites en serken archaïque et nous sommes incapables de les déchiffrer. Au-delà de la période de la chute des dragonniers, il y a deux mille ans, toutes les dates se mélangent et il nous est très difficile aujourd’hui, avec les connaissances que nous avons, de dater ces manuscrits. Les dracologues pensent que les livres de ce type ont été produits au moment de l’apogée des dragonniers, qu’ils situent dans les mille ans qui précédèrent leur chute. Mais ce sont des estimations assez vagues.

Arvak progressa vers le fond de la salle.

— Au-delà d’un certain point nous ne trouvons plus de manuscrits de ce type.

Ils étaient à présent devant une vitrine exposant des rouleaux fortement dégradés par le temps. Roawir devinait qu’ils n’étaient pas consultables au vu de leur état.

— Les dracologues estiment ces artefacts vieux de peut-être quatre mille ou cinq mille ans.

Ils remontèrent encore la salle et se trouvèrent devant des éclats de poteries dont certaines étaient gravées de runes, d’anciennes armes, des boucliers de cérémonie.

Un sarcophage de marbre, sur lequel on devinait d’anciennes traces d’écriture, et peut-être le portrait de la personne enterrée, buriné par le temps, trônait à côté d’un crâne de dragon sculpté d’arabesques, elles aussi effacées par l’usure et le temps.

— Ici on suppose que ces objets datent d’il y a six mille ou huit mille ans. Et là…

Arvak désigna les derniers vestiges d’un bateau de bois qui occupait le fond de la salle.

— Ce bateau pourrait être l’un de ceux des premiers colons humains arrivés au Darka-Guèn. Il a été retrouvé dans les glaces du Vaèr à l’extrême nord du pays et certes nous ne pouvons pas estimer précisément la date de sa fabrication, mais les techniques employées ne sont ni celles des elfes ni celles des humains de l’époque moderne. Et les dragonniers ne voyageaient presque pas par bateau. Les dracologues l’estiment vieux de dix mille ans.

— Si la colonisation humaine est si ancienne, les évènements de la genèse le sont plus encore.

Arvak hocha la tête. L’ancienneté de ces objets avait quelque chose de vertigineux.

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