Chapitre 7 (1/3)

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Le meurtre de Karfanaël plongea le château dans le plus grand désarroi.

Le jour qui suivit se déroula dans un engourdissement funèbre. Le roi ferma l’accès aux visiteurs, et les couloirs, la demeure, les salles parurent vides et silencieuces. Les domestiques de la maison se déplaçaient dans les allées désertes à pas discrets, parlant à voix basse, comme s’ils craignaient que leur activité ne perturbe le recueillement de la demeure.

Arvak passa la journée dans la bibliothèque du château, à consulter des livres sur l’histoire de la Grande Guerre, sur les dragons-mirages et sur la Ténébra. Norgar et Eliwyl tentèrent bien, chacun leur tour, de venir le trouver pour le sortir de son isolement, en vain. Ils pensaient deviner que les scènes de la veille avaient fait rejaillir à sa mémoire des souvenirs qu’il voulait écarter, et il ne vit personne ce jour-là.

Il semblait avoir oublié qu’il avait promis à Roawir de lui faire visiter la bibliothèque, et l’elfe lui-même n’y songeait plus. Celui-ci consacra sa journée à organiser les funérailles de son maître.

Au cours de la matinée, il rencontra Tintal et Games Gandar avec qui il discuta des soins à prodiguer aux corps du défunt et de son totem. L’état de leurs dépouilles et les conditions de leur disparition rendaient le sujet difficile. Le roi et son dracologue exprimèrent leurs condoléances à Roawir et leur volonté de respecter la mémoire et la culture de son maître. Mais Roawir comprit bien vite que Tintal voulait en particulier cerner les sentiments de l’elfe au regard du drame qui avait eu lieu et le récit qu’il en ferait à sa reine, afin de s’assurer que leurs relations ne souffriraient pas de cette tragédie.

S’il avait écouté ses sentiments, Roawir se serait enfermé dans sa chambre pour ne voir personne. Mais il avait conscience que la raison d’État ne pouvait attendre. Karfanaël était un émissaire de Guildra Naïnor, son assassinat sous le toit de Tintal constituait un fait diplomatique des plus graves. Roawir répondit donc aux interrogations du roi avec politesse, esquivant les sujets sur lesquels il ne voulait s’engager. Tintal comprit sa douleur et finit par prendre congé pour le laisser à son deuil. Alors qu’il quittait la pièce, Games Gandar s’attarda sur le seuil, hésitant.

— Puis-je vous parler en privé, maître elfe ?

— Je ne suis pas maître, corrigea Roawir.

Games désigna un fauteuil devant une table d’échec :

— Puis-je ? demanda-t-il avec un sourire affable.

Roawir acquiesça avec l’attitude de quelqu’un qui ne savait comment inviter le vieil homme à partir d’une façon polie. Games Gandar referma la porte et vint s’asseoir, Roawir l’imita.

— Je vous dois la vie, Endimir également, sans votre bravoure cet assassin serait parvenu à ses fins et mon pays en aurait cruellement souffert.

— C’était un honneur.

Games Gandar tapota la table, Roawir attendit qu’il en vienne au fait.

— J’aimerais vous poser une question en toute sincérité, me le permettez-vous ?

— Je vous en prie.

— Puisque vous m’avez si justement rappelé que vous n’aviez pas le rang de maître, quelles seront pour vous les conséquences de ce funeste évènement à votre retour au pays ?

Roawir s’adossa à son fauteuil. Il hésita à s’ouvrir au vieil homme alors que le regard bienveillant de Games Gandar l’y encourageait de tout cœur.

— Mon retour auprès de mon maître était récent, et il est mort alors que je n’étais pas auprès de lui, tué par un ennemi des elfes que je connais pourtant bien car j’ai longtemps vécu au Magcam.

Games Gandar hocha tristement la tête. Roawir n’ajouta pas que sa réputation serait ruinée et qu’aucun maître alchimiste digne de ce nom n’accepterait de finir sa formation, le vieux conseiller connaissait suffisamment les elfes pour le comprendre par lui-même.

— Avez-vous des personnes à qui vous adresser en Waniri ?

Roawir ne répondit pas. Games Gandar tapota à nouveau la table.

— Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider, adressez-vous à moi. Vous avez fait preuve d’un grand courage et il n’est pas juste que les vôtres ne reconnaissent pas vos valeurs.

L’elfe hocha froidement la tête et Games Gandar se leva, se dirigeant vers la sortie.

— Vous n’êtes pas responsable de ce qui est arrivé, ne vous en blâmez pas.

— Ce n’est pas ce que mes pairs diront de moi.

Le vieil homme quitta la pièce et Roawir se retrouva seul. Il expédia une lettre à Taradil, là où se trouvait l’équipage que commandait Karfanaël, avec lequel il avait fait le chemin depuis la Waniri. Par son message il les informa des récents évènements, invitant Inawèn, la lieutenante de Karfanaël – qui présentement commandait l’équipage – à venir jusqu’à Mralèm où elle pourrait assister à sa crémation avant de rapatrier ses cendres vers la Waniri.

Une fois ces dispositions prises, Roawir resta cloîtré dans ses appartements.

Dans la tour d’astronomie, les émissaires vaérims mettaient également leurs affaires en ordre. Les évènements de la veille les avaient amenés à beaucoup changer leur état d’esprit vis-à-vis du souverain. Si la veille ils avaient semblé tout à fait prêts à négocier une alliance au nom de leur peuple, au lendemain du drame ils exprimèrent leur volonté de rendre compte à leurs semblables des nouvelles informations qu’ils détenaient, avant de prendre le moindre engagement.

Le roi Tintal comprenait ce choix et l’accepta bien qu’il repoussât à plus tard toute mise en œuvre d’une coopération entre les peuples – ce qu’il déplorait beaucoup. Après de longues discussions, Tintal parvint à obtenir qu’une nouvelle date fût fixée, trois mois plus tard, pour une nouvelle rencontre entre les humains et les Vaérims. Ces derniers exprimèrent leurs amitiés aux humains, ainsi que leur espoir de voir cette coopération prendre forme prochainement. La Vaérim couleur azur semblait véritablement intéressée par une telle alliance et Tintal ne doutait pas qu’ils partaient avec une impression favorable des échanges qu’ils avaient pu avoir avec les humains. Malgré tout, il ne pouvait s’empêcher – en voyant partir les Vaérims, dans une situation aussi critique, où visiblement le temps était précieux et compté, sans avoir rien obtenu qu’un hypothétique espoir futur – de considérer comme un échec les démarches diplomatiques qu’il avait entreprises depuis plusieurs jours.

En parallèle, Altred, sous les ordres de Tintal, commença son enquête pour tenter de comprendre comment et pourquoi un dragon-mirage avait pu assassiner l’un des hôtes de Tintal dans sa propre demeure. Les témoignages de Roawir, Arvak et Games Gandar l’amenèrent à penser que le dracologue avait également été une cible de l’émissaire, mais dans l’immédiat le mystère restait entier quant à ses motivations ou ses objectifs.

À son arrivée à Mralèm la veille, Altred avait pu établir que l’émissaire dragon-mirage avait été conduite par bateau aux frais d’une grande famille de Téwyogatar, qui avait financé tout son transport, et la veille, cette référence lui avait semblé suffisante pour considérer que l’émissaire était bien qui elle prétendait être. La lettre qui lui avait été présentée était authentique, portait le sceau de la famille des Löds de Téyo et Altred reconnaissait l’écriture du fils du Löd. La femelle dragon-mirage avait embarqué à Téwyogatar, trois jours plus tôt, dans un navire rapide, et rien, parmi les éléments dont Altred disposait au moment de son accueil, n’aurait pu lui permettre de supposer une fraude ou de mauvaises intentions de la part de cette invitée.

Dans l’immédiat, il en était à tenter de comprendre comment un tel drame avait pu se produire, en rassemblant les éléments dont il disposait, sans parvenir encore à leur trouver un sens.

Norgar, comme à son habitude, sut habilement s’informer pour collecter toutes ces informations et il les transmit à Arvak, qui ne l’écouta que d’une oreille distraite. Norgar aurait aimé discuter avec son ami des conséquences que la mort de Karfanaël risquait d’entraîner sur leur projet personnel, mais Arvak, à l’image de tout le palais, semblait avoir plongé dans une sorte de stupeur amorphe. Norgar renonça, il lui parut de toute façon évident que la situation était trop confuse pour qu’il fût possible de rien en tirer. Dans la soirée, il se rendit au Chat Rôdeur où il expliqua à Méaglim ce qu’il s’était produit et lui remit une bourse dont ils avaient discuté la veille. Norgar avait l’intuition qu’en ces temps troublés, une alternative serait bienvenue.

La nuit passa ainsi.

Le lendemain, dans la matinée, Tintal convoqua Arvak dans ses bureaux, et ce dernier s’y rendit dès qu’il fut présentable. Il avait revêtu, sans vraiment y faire attention, sa tenue de Frontalier et portait son épée au côté. Son père le reçut dans l’une des salles du bâtiment central. C’était une pièce de travail austère, sans décoration spécifique. Un grand bureau en bois sombre occupait la majorité de l’espace, des étagères chargées de dossiers complétaient le mobilier.

Lorsqu’Arvak entra, son père était assis à son bureau, consultant des documents qu’il referma prestement en faisant signe à son fils de s’asseoir.

— Nous avons davantage d’éléments pour comprendre ce qui s’est passé avant-hier, déclara Tintal en préambule.

Arvak s’assit tandis que son père poursuivait, visiblement préoccupé :

— Nous avons appris hier par un pigeon voyageur que les corps sans vie de Kared Nimizar et de sa dragonne Aïnambra ont été retrouvés à proximité du Temple.

La stupeur s’empara d’Arvak.

Tintal se leva, il semblait troublé par cette nouvelle. Arvak n’avait pas connu personnellement le dracologue, mais il savait en revanche qu’il était un bon ami de son père.

— Les dracologues ont estimé que sa mort remontait à environ un mois au vu de l’état de décomposition des corps. De ce fait, il est impossible qu’il soit jamais arrivé jusqu’au Magcam. Qui que soit la créature qui est entrée au palais il y a deux jours, elle n’était pas l’émissaire dragon-mirage que Kared Nimizar devait aller chercher. Cette créature a pu entrer au palais recommandée par le fils du Löd de Téyo. J’ai détaché une commission d’enquête pour savoir dans quelles circonstances cette créature est parvenue à se faire passer pour un émissaire, et établir s’il y a eu trahison de la part de cette famille ou s’ils ont été également abusés.

Arvak accusait le coup, il tentait tant bien que mal de mesurer tous les tenants et aboutissants de ce que lui révélait son père.

— Je pense que nous pouvons considérer, poursuivit Tintal, que cette créature visait les dracologues et donc Games Gandar. Nous savons que la présence de dragons est la seule chose qui garantisse aujourd’hui la paix avec les lycans. Il est évident que leur disparition aiderait à fédérer les lycans derrière un chef. Nous savons également que la Ténébra est de retour et qu’elle avait partie liée avec les lycans durant la guerre. Je ne peux affirmer que les attaques sur nos dracologues ont été commanditées par elle mais il est certain que celui ou celle qui pourra revendiquer l’assassinat des dragons gagnera un grand prestige aux yeux des lycans. Nous ne pouvons exclure que l’hégémonie de la Ténébra ne soit pas si lointaine que nous voulions l’espérer.

Arvak eut le sentiment que son père monologuait sans tenir compte de sa présence, comme s’il voulait gagner du temps, si bien qu’il se demanda pourquoi il avait été convoqué.

— Quant à la mort de Karfanaël, nous n’avons pas d’éléments sur ce qui a pu motiver la créature. Pour ma part il me semble qu’elle a saisi l’opportunité de nous diviser. Après tout, cette mort a repoussé à une date ultérieure toute démarche de coopération et à peu près réduit à néant tous les projets qui avaient pu émerger du Conseil.

— Père, pourquoi m’avoir fait venir ?

Tintal se tourna vers Arvak.

Il sembla frustré d’avoir été interrompu.

— Je suis content que tu n’aies pas été blessé, dit-il du ton assez froid qui lui était habituel.

Arvak commença à devenir nerveux, il croyait deviner que son père souhaitait obtenir quelque chose de cet échange et il ne discernait pas encore quoi. Il décida de le pousser à révéler ses intentions :

— Qu’en est-il du projet de Karfanaël d’étudier les textes du Temple ?

— Nous n’avons encore rien statué à ce propos mais, du fait de la mort de Karfanaël, ce projet ne me semble plus d’actualité.

— Roawir pourrait faire les recherches que prévoyait de faire son maître ? Vous aurez moins à vous méfier de lui que de Karfanaël.

— Je n’en doute pas, mon fils. Mais cela ne me semble plus raisonnable. Tant que la reine Guildra Naïnor ne se sera pas exprimée sur ce drame, nous avons décidé avec Games Gandar de ne négocier aucun accord avec Roawir.

Arvak cacha sa déception tandis que son père reportait à nouveau son attention vers la fenêtre.

— Quels sont tes projets mon fils ? demanda-t-il en se tournant brièvement vers lui. Je ne parle pas nécessairement de tes projets à court terme mais qu’envisages-tu dans l’avenir ?

Au timbre de sa voix, Arvak comprit qu’il n’y avait à cette question qu’une réponse qui agréerait à son père, contre plusieurs qui lui déplairaient. Arvak ne se croyait pas capable de lui fournir une réponse honnête qui lui serait agréable. Aussi il ne dit rien.

— Tu as été absent pendant cinq ans, presque sans donner de nouvelles, aujourd’hui tu es de retour, poursuivit Tintal. Je ne doute pas que tu as vécu des choses difficiles à Rimentos, et qu’il te faudra du temps pour te réhabituer à la capitale, temps que je suis tout à fait disposé à t’accorder. Mais un père a besoin de savoir ce que son fils prévoit pour la suite.

En parlant, Tintal s’était rapproché de lui et était à présent adossé au bureau.

— Vous voudriez que je reste près de vous au palais, comprit Arvak.

— Bien sûr que j’aimerais te voir rester, approuva le roi.

Tintal posa sur son fils un regard paternaliste :

— J’ai besoin de toi à mes côtés, insista-t-il, tu es mon seul enfant. Tu es sincère et droit. Eirda m’a dit qu’à la frontière tu inspirais la confiance et l’honnêteté à ceux qui te servaient.

— À la frontière, les miens me suivaient, ils ne me servaient pas, releva Arvak.

Tintal secoua la tête, comme si la nuance lui semblait abstraite.

— Je sais que tu t’intègres mal à la cour, mais mon gouvernement a besoin de gens comme toi, qui ont une vision différente des problèmes que nous rencontrons. Il suffirait que tu apprennes à t’y mêler et tu apporterais une vision neuve dont mon ministère a besoin.

— Est-ce que vous vous souciez de ce que je souhaite ?

— Bien évidemment, je ne veux que ton bonheur, dis-moi ce que tu veux et je te guiderais.

Arvak eut soudain l’intuition qu’il devait absolument taire le projet qu’il avait évoqué, deux jours plus tôt avec ses compagnons.

— Je veux faire quelque chose qui ait du sens, répondit-il, quelque chose qui fasse la différence. Et …

Il marqua un bref silence puis ajouta :

— … rester dans un palais, à écouter des privilégiés statuer sur des problèmes qu’ils n’ont jamais vécus et qu’ils sont persuadés de ne jamais vivre, ne me semble pas avoir de sens.

Le visage de Tintal s’empourpra.

— C’est ici que les décisions se prennent ! C’est ici que se décidera la façon dont nous affronterons cette crise.

— Dans ce cas père, avez-vous décidé quelque chose dont vous devriez m’informer ?

La mâchoire de Tintal se crispa.

Les dissensions entre eux n’étaient pas nouvelles, mais, exacerbées par le drame récent, Arvak sentait qu’elles prenaient un tour nouveau.

— J’ai décidé, répondit Tintal après avoir pris le temps de retrouver son calme, que je ne pouvais plus me passer de la présence de mon fils à la cour.

Arvak se raidit en entendant cela.

— J’ai fait preuve de bienveillance avec toi, je t’ai laissé partir, servir les Frontaliers, et tu sais que je désapprouvais ce choix. Toutefois il faut bien que jeunesse se fasse, je ne doute pas que tu y as reçu des leçons profitables. Mais à présent il est temps pour toi d’occuper la place qui est la tienne, à la cour, là où tes compétences serviront le mieux ton pays. Et j’emploierai tout le temps et les efforts nécessaires pour que tu acceptes cette réalité.

— Vous ne pouvez pas me forcer à rester ! s’exclama-t-il en se levant.

— Non, mais je peux éloigner tous ceux à qui tu tiens si tu me désobéis.

Arvak se figea tandis qu’un sentiment de peur lui nouait la gorge.

Son regard se porta sur le dossier que son père consultait lorsqu’il était entré dans la pièce, celui-là même qu’il avait prestement refermé. Il s’en saisit vivement. Tintal n’esquissa pas un geste pour l’en empêcher. Il parcourut rapidement les documents qu’il contenait.

Arvak y trouva une affectation au poste Frontalier d’Artaug, à l’extrême nord-est du pays, au nom de Méaglim. Au nom d’Eliwyl, il put lire un ordre d’enseignement, signé par Andlam, qui la conduirait à réintégrer le cercle très fermé de l’École de Tsiroèn. Enfin il découvrit plusieurs lettres émanant de la mère de Norgar dans lesquelles elle acceptait de renoncer à sa régence sur le Löguèn d’Entriver, afin que Norgar récupère l’administration du domaine. Elle avait également trouvé une épouse pour son fils et n’attendait que l’aval du roi pour faire le nécessaire.

— Quand avez-vous fait cela ? s’exclama Arvak scandalisé.

Tintal ne pouvait pas avoir pris toutes ces dispositions au cours des derniers jours. Les correspondances avec la mère de Norgar remontaient à plusieurs semaines.

— Dès que j’ai compris que quelque chose de grave était en train de se produire et que j’aurai besoin de toi à mes côtés.

De dépit, Arvak jeta les documents au visage de son père et tourna les talons pour sortir. Mais Tintal se leva brusquement et, à peine eut-il entrouvert la porte, Tintal la referma dans un claquement autoritaire. Il dominait Arvak de toute sa hauteur.

— Comprends-moi bien, je n’ai jamais eu l’intention d’employer ces moyens. Tant que tu te plieras à ma volonté, tu n’auras pas à le redouter. Mais ma volonté est que tu sois là où est ta place, et il en ira comme je l’ai décidé.

Alors seulement il permit à Arvak d’ouvrir la porte.

Ce dernier s’engouffra dans le couloir, presque en courant.

Il avait le souffle court et envie de vomir. Il marcha droit devant lui, sans se soucier d’où il allait. La peur, la colère, la détresse et la honte tourbillonnaient dans sa tête, et il avança sans plus rien percevoir autour de lui, comme si sa tempête intérieure avait tout englouti. Parvenu devant la porte de sa chambre, sans réfléchir, il entra, Norgar derrière lui le hélait en vain.

Lorsqu’il avait croisé Arvak dans les couloirs, tout indiquait son mal-être et il le suivi jusqu’à sa chambre. Il entra à son tour, et il l’y trouva qui faisait les cent pas dans la pièce. À son arrivée Arvak eut un mouvement de recul, comme face à un ennemi, et son regard fuyait.

— Ça va aller ce n’est que moi, dit Norgar de la voix la plus apaisante qu’il pût.

Il s’installa dans un coin de la pièce.

— S’il te plaît, raconte-moi.

Arvak se sentit incapable de parler, il recommença à faire les cent pas, une vasque remplie d’eau claire se trouvait posée sur la table, il la jeta à travers la pièce, sans que cela ne l’apaise. Enfin, au bout d’un instant, il se laissa tomber sur une chaise, la tête entre les mains, inerte. Alors seulement il put raconter le pénible échange qu’il venait d’avoir avec son père, et à mesure qu’il le fit, le visage de Norgar se décomposa.

Il savait que Tintal était un souverain à la poigne de fer et que lui et Arvak avaient parfois eu des différends, mais jamais il n’aurait imaginé que le roi pût employer les pouvoirs qu’il détenait pour plier son fils à sa volonté. D’ailleurs il ne l’aurait pas cru s’il ne l’avait entendu d’Arvak lui-même.

— Tu étais au courant ? demanda Arvak en pleine détresse.

— Quoi ? Jamais de la vie !

Norgar était horrifié qu’Arvak ait pu envisager un seul instant qu’il lui eût caché des informations aussi importantes. Les doutes d’Arvak lui semblaient si impensables qu’ils le laissèrent complètement abasourdi.

— Tu es au courant de tout ici, et tu veux me faire croire que tu ignorais que tu allais te marier ?

En disant cela il s’était élancé sur Norgar, il écartait les bras en un geste de scepticisme mais ses yeux trahissaient l’égarement de quelqu’un qui ne sait plus ce qu’il doit croire.

Norgar se leva et le frappa derrière la tête.

Arvak resta interloqué.

— C’est mieux ? lui demanda-t-il.

Arvak avait un air penaud.

— Je suis avec toi et je n’étais au courant de rien, affirma Norgar.

Il baissa les yeux.

— Allez viens, sortons d’ici, ce palais sent la mort de toute façon.

Et Norgar le traîna jusqu’au Chat Rôdeur.

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