Un champs de ruine
« Bilan médico-psychologique initial — Dossier de Marta Ramos 23 ans
Date : Arrivée il y a deux jours.
Lieu : Centre fermé médico-psychiatrique de réhabilitation
1. État physique général :
- Poids : -10 kg en 8 semaines ; état de dénutrition sévère (IMC très bas, proche de l’urgence vitale).
- Cicatrices visibles :
- Clavicule droite : marque circulaire et boursouflée évoquant une brûlure au fer en forme de rose stylisée (emblème de la secte).
- Flanc gauche : serpent stylisé, marque profonde, possiblement infligée à vif.
- Autres brûlures et lacérations sur bras, cuisses et dos.
- Amputations traumatiques :
- Annulaires et auriculaires sectionnés (gauche et droit) de manière non chirurgicale.
- Reprise chirurgicale des moignons, mais perte définitive.
- Traces de violences sexuelles :
- Lésions anciennes et récentes, certaines cicatrisées dans de mauvaises conditions. Attention, à confirmer par la victime
- Hématomes multiples sur tout le corps, y compris sur le cuir chevelu, indiquant coups répétés.
- Toxines et substances retrouvées :
- Résidus de benzodiazépines, kétamine, MDMA, psychotropes inconnus en cours d’analyse.
- Traces d'injections non médicales sur les bras, les chevilles et le cou.
2. Cœur artificiel autonome :
- Fonctionne toujours,
- Le dispositif aurait aidé à maintenir la perfusion et certaines fonctions vitales malgré les conditions extrêmes.
- Surveillance constante requise, décision en cours pour greffe biologique.
3. État psychologique et cognitif :
- Mutisme partiel : Marta ne parle que si sollicitée intensément, réponses brèves.
- Amnésie sélective ou blocage traumatique :
- Refus ou incapacité à évoquer Sergio, Nicolas, la cave ou le mot "culte".
- Regards fuyants, agitation corporelle au simple énoncé de ces termes.
PS : Évocation de sa libération sur sa demande, Adela, sa sœur lui en parlé. Réaction par les derniers moments avec ces bourreaux dans un ton neutre. Sollicitation de sa sœur pour un accompagnement auprès de Madame Ares. «
— Bienvenu à cette réunion pour mettre en place la prise en charge de nos deux derniers patients. J’aimerais commencer par le cas le plus complexe, Mademoiselle Ramos. Vous avez tous lu son dossier d’arriver et les notes récentes d’Andréa ? préside Paolo Fander, le médecin coordinateur.
— Son état est très critique, c’est certain. Pour les séances de rééducations, un premier bilan kiné complet dès demain. Debout assisté, respiration, coordination tronc/bras. Pas plus de quinze minutes. Tu en penses quoi Inès ?
— Une bonne chose mais je crains qu’il faudrait plus transformer les évaluations en bilan exercices réguliers. Si déjà elle arrive à se déplacer par exemple du lit au fauteuil, ça sera déjà énorme. Faudra lui proposer de l’accompagner aussi dans ses gestes autonomes.
— Elle avait presque réussi à boire toute seule Inès, ce matin, à mon premier passage.
— Louisa, tu penses qu’elle est capable de vouloir reprendre aussi rapidement de l’autonomie ?
— Tout dépend d’elle. Ses parents m’ont parlés qu’elle avait une forte personnalité de persévérance, de prise d’initiative. Elle en demande, des moments d’explications sur les gestes qu’on effectue. Ce qu’il faut, c’est garder un environnement sûr, éviter trop de rotations, montrer une présence. D’ailleurs, je viens de penser qu’elle désire avoir la porte ouverte et la lumière allumée le soir.
— Ce qui l’a différencie des autres patients, c’est qu’elle a connu une emprise toxique, cobaye d’une expérience de greffe illégale, est-ce la seule d’ailleurs ? Ajouté à une entrée dans une secte pour finir par une séquestration, acte de tortures…Je ne minimise pas les autres cas. Ce que je tiens à souligner, c’est à mon sens, qu’il faudra gérer plusieurs choses à la fois et qu’il faudra qu’elle reste chez nous pendant au moins un an.
— Donc, Paulo, selon toi, comment on envisage les jours suivants ? Est-ce qu’au moins, tu es d’accord pour que moi aussi, je pose un premier diagnostic cognitif ?
— Attend une semaine Marina. Concernant, l’autre aspect psychique, Xavier et Andréa, je vous conseille d’attendre qu’elle le demande. Louisa, Suzanne et Zoé vous pourrait en parler quelques fois à Mademoiselle Ramos. De mon côté, je planche déjà sur un programme de nutrition, Ulis rentre de congé après-demain, mais dès ce soir, il va m’envoyer son avis. En attendant, on continue les sondes, le cadre rassurant ect. Les visites aussi et aucun groupe de parole à moyen ou court terme. Rachel, toi aussi, désolé de t’oublier mais je ne pense pas que ton rôle soit le bienvenu, c’est trop tôt.
— C’est pour ça qu’on s’adore tous hein Paulo ! C’est l’évidence même, merci de me taquiner.
— Bienvenu au club des à-côtés pour cas extrêmes !
— Merci Xavier c’est fort aimable de ta part.
— Un café pour fêter ton entrée dans le cercle ?
— Avec plaisir Andréa !
— Les autres aussi ?
— Il faut bien Andréa merci ! Mademoiselle Ramos, donc, deuxième bilan, la semaine prochaine. Maintenant passons à Monsieur Williams, quarante ans, stress-post traumatique découlant de la mort de sa femme et de son fils pendant l’accouchement….
…..
Chaque micro-geste me demande un effort extrême. Je tremble de sentir les mains trop proches, surtout des soignants. Sergio est partout, nuit et jour. Les femmes ici veillent sur moi avec une telle douceur, que je pleure en silence assez souvent.
Heureusement, ma mère et ma sœur m’apportent ce qui m’avait manqué, je les autorise à me toucher. Concernant mon père et Roberto, parfois ça passe, parfois non. Je sais qu’il me faudra du temps pour me reconstruire.
— Combien de temps ici ?
— Deux semaines, comment tu te sens ?
J’aime bien Louisa. Comme Suzanne et Zoé. Elles demandent toujours, me détaille les changements des pansements, les effets des crèmes cicatrisantes, m’aide à manger le peu de liquide possible….
— Plus de lumière…Je pourrais, dehors ?
— Oui sans soucis. Je vais appeler Suzanne pour te transférer en douceur dans le fauteuil, d’accord ?
— Je garde la sonde ?
— C’est nécessaire pour continuer à reprendre du poids.
— Bonjour à vous et à toi Marta.
— Le prince charmant est là, je reviens, à tout à l’heure.
Le prince charmant ? J’ai en tout cas du mal à me souvenir des dates. Je me rappel des tests sur mon cerveau cette semaine…logique ? Pas vraiment. Mémoire ? Bof. Attention ? Pareil. Et d’autres petits jeux qui m’ont lassé sans que je saisis ce qu’il y a de bon là-dedans, ce qui peut me rester en moi ?
— Je peux ?
Il est mignon à attendre un ordre tel un chiot. Ses cheveux bouclés, me donne envie de fourrer mes doigts et sa bouche, de retenter un vrai baiser. Sans oublier, ses yeux pétillants dans sa posture hésitante. Alors, je tends ma main, il l’a prend et le silence nous englobe :
— Tu peux m’emmener voir la vrai lumière dans le parc ? Je vois souvent les oiseaux, je voudrais à nouveau savoir, la vrai vie.
….
Mon deuxième week-end ici. Elle parle pas souvent, préférant m’écouter parler de l’école, de moi et de nous. J’aimerais lui parler d’elle aussi, hors je patiente. Si je pouvais étrangler ces chiens qui ont osé prendre ce bijoux pour en faire des miettes…
Et son cœur ? Les urgences envisage une greffe pour retirer l’automate inconnue. Personne ne sait son fonctionnement, tous redoute sa fin. En attendant, elle renait ma Marta. Et dehors, sous une chaude couverture, elle s’émerveille devant la nature.
Les arbres, les oiseaux, même les bancs. Le vert, le bleu ou le blanc. En passant par un premier voyage dans le temps, quand elle avait accompagné quelques fois son père à la chasse.
Elle si maigre, respirer l’air pur lui fait mal. Quand, je lui propose de rentrer, elle refuse. Je la comprends tellement. J’ai toujours su qu’elle reviendrait, en bientôt cinq ans qu’on se connait, je sais ses faiblesse et surtout sa force.
— Je t’aime ma belle, sache le. Tu es en sécurité, tu décides, tu revis et je serais à jamais à tout écoute.
Ma main ferme sur sa main droite, ma chaleur l’apaise et ses larmes sortent en harmonie avec moi. Je les essuie avec lenteur, elle ne me repousse pas. Elle sait que ce n’est pas lui, mon rôle, sera d’être dans son esprit. Dès qu’elle le sentira, elle le dégagera, j’en suis sûr, pour que je sois là pour la bercer.
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