Chapitre 1 : Adrien

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Bien qu’un peu plus vide qu’à son habitude, la Ville Rose restait noire de monde même en été. Entre touristes et locaux, il devenait difficile de se frayer un chemin.

Adrien, les mains fourrées dans ses poches, jouait des coudes pour espérer passer à travers ce monde. S’il avait pu, il aurait choisi une autre heure de rendez-vous que dix-sept heures trente. Enfin non, s’il avait pu, il aurait refusé de s’y rendre. Il n’avait pas pu se défiler cette fois-ci. Il préférait dire oui au rendez-vous de presse que dire oui aux rendez-vous arrangés par son père.

Malgré tout, il essayait de voir le bon côté des choses. Il y avait un moment qu’il n’avait pas mis les pieds dans les quartiers Nord de Toulouse et il redécouvrait la beauté de ses rues. Les maisons anciennes avec leurs briques rouges typiques de cette ville du Sud de la France étaient habillées de lierres et de plantes grimpantes rappelant les magnifiques jardins et parcs floraux disséminés un peu partout. Les pubs et petits magasins jouaient de leur devanture unique pour attirer les yeux.

Adrien se laissait prendre au jeu. Il laissait vagabonder son regard. Peut-être reviendrait-il accompagné pour visiter cette boutique de papeterie. Il connaissait quelqu’un qui serait ravi de se perdre entre ses rayons.

Pour l’instant, il était seul et il lui restait encore un peu de marche à faire. Le parking le plus proche était à vingt minutes de son rendez-vous. Quand il arriva enfin au pied de la tour radio, sa chemise collait à sa peau tandis qu’il sentait de la sueur couler dans son dos. Sur le parvis du bâtiment qui faisait de l’ombre à tous ses voisins, il reconnut immédiatement la tête rousse qui attendait déjà.

Mélanie se tenait là, les yeux fermés. Un casque sur les oreilles, on pouvait entendre à dix pas d’elle la musique “Warriors” de Imagine Dragons résonner. Elle triturait le bas de son tee-shirt en balançant la tête en rythme. Il y avait bien longtemps qu’il ne l’avait pas vu faire ainsi. Ils avaient grandi ensemble dans l’Envers et s’étaient plus d’une fois retrouvés dans les rues de Toulouse pour partager un verre. Ses sourcils froncés ne laissèrent que peu de doute à Adrien.

Il s’approcha doucement d’elle et posa une main sur son épaule qui la fit sursauter. Il indiqua du bout des doigts son front avant de lui aussi fermer les yeux et ouvrir ses défenses.

Il ne fallut que peu de temps avant que son esprit prenne forme, signe que la Gémeaux était entrée. Comme toute sa famille, Mélanie était télépathe. Elle entendait chaque voix et chaque pensée sans aucun filtre, sans bouton stop, sans réglage de volume.

— Ta tête est toujours aussi bien rangée à ce que je vois, résonna sa voix fluette.

Mélanie se tenait là, face à lui, au milieu de son espace mental. Un espace qui ressemblait à une gigantesque bibliothèque qui s’élevait sur plusieurs étages. En son centre, une grande table en bois massif était illuminée par un puits de lumière traversant le plafond. Chacun des livres qui trônait sur les étagères renfermait un de ses souvenirs. Ils étaient rangés par couleur et donnaient l’impression qu’un arc-en-ciel s’étendait devant eux. Il était toujours étrange pour Adrien de voir son esprit se matérialiser si distinctement quand il ouvrait ses barrières à un télépathe.

— J’y veille minutieusement, s’amusa-t-il à raconter un sourire sur les lèvres. Comment vas-tu depuis le temps ? Ça fait longtemps que l’on ne s’est pas croisé.

— Un an et deux mois pour être exact.

Déjà. Adrien avait du mal à le croire. La vie passait si vite.

— J’essaie d’avancer écoute, continua-t-elle en baissant les yeux, ce n’est pas facile tous les jours comme tu as pu le voir. J’ai l’impression qu’en vieillissant mon don s’affine et devient plus puissant.

Mélanie explorait les étagères. Un doigt traînant sur la tranche des livres, elle en lisait les titres. Adrien la regarda faire, amusé par cette curiosité qui animait chaque Gémeaux quelle que soit la génération.

— Arrête tu ne vieillis pas, tu t’embellis avec le temps, c’est différent.

Il la vit sourire tout en continuant sa lecture de ses étagères de pensées. Il avait oublié combien il aimait la voir sourire. Elle semblait apaisée ici, à l’abri de son espace, rien ne semblait pouvoir l’atteindre.

Il se souvenait de cette fois où, âgée d’à peine dix ans, il l’avait vu arriver sur l’Envers en pleurs. Elle ne supportait plus les voix dans sa tête. Il avait alors passé toute l’après-midi avec elle à lui rappeler que leur magie pouvait être une malédiction, mais qu’elle était surtout un don qui faisait d’eux des gardiens du monde des humains. Ce jour-là, il lui avait fait une promesse.

— Que je pourrais toujours me reposer sur toi, énonça Mélanie à voix haute en se retournant vers lui.

Adrien surpris releva la tête et vit qu’elle tenait dans ses mains un livre qu’elle referma avec délicatesse un sourire au coin des lèvres.

— Tricheuse, lui balança-t-il.

— Ce n’est pas ma faute si tes pensées sont tellement fortes que leurs fils m'apportent seuls le récit de tes souvenirs. Mais si tu veux, je peux en lire un autre et te laisser dans ton coin remémorer ces vieilles années. Voyons voir, celui-là peut être, il m’a l’air…

— Non pas lui ! s’exclama Adrien en lui enlevant des mains le bouquin pour le reposer doucement sur son étagère.

Il savait ce qui avait attiré la Gémeaux vers ce recueil. Il ne mettait jamais les pieds dans cet univers mental seul pourtant il savait avec précision ce que contenait ce livre et il n’était pas prêt à le partager.

— Auriez-vous quelque chose à cacher monsieur Virgo ? demanda-t-elle en s’éloignant de la bibliothèque.

Il détestait qu’on l’appelle par son nom de famille et elle le savait. Monsieur Virgo s’était son père, pas lui. Lui, il était juste Adrien.

— Ça va je vous dérange pas ?

Cette voix résonna dans la pièce et fit trembler les murs à en faire tomber les livres les mieux rangés. Elle venait de l’extérieur. Adrien sut tout de suite à qui elle appartenait. Il ferma ses yeux et son esprit, mettant son amie à la porte de leur abri. Lorsqu’il les rouvrit, il était de retour devant les studios de radio.

Il ne s’était pas trompé sur l’origine de cette intrusion. Avec sa mèche de cheveux lui tombant devant les yeux, son air mi-maussade, mi-énervé et son habituel col roulé, le troisième Zodiaque du rendez-vous venait d’arriver.

— Dorian, commença Adrien en haussant les sourcils. C’est donc toi que les Scorpions ont décidé d’envoyer pour l’interview ?

— Et bien oui. Je suis étonné de te voir, Virgo, accentua le nouveau venu en insistant allègrement sur son interlocuteur. Je pensais que les Vierges avaient une meilleure estime de toi pour ne pas t’envoyer à l’abattage. À moins que ça ne soit dû au fait que tu sois le dernier des tiens à ne pas avoir d’enfants. Tu n’as pas une sœur plus jeune qui a déjà deux gosses ?

Les Scorpions savaient toujours où frapper et ils touchaient toujours juste. Adrien tenta de se donner contenance en secouant la tête et en remettant sa chemise droite. Dorian avait raison. Il était le seul à ne pas avoir d’enfants. Son père lui rabâchait sans cesse qu’il était temps qu’il trouve une compagne et fonde sa famille. Jamais le Vierge n’avait réussi à avouer qu’il ne pourrait avoir de descendants un jour.

— Dorian, ça suffit, s’interposa Mélanie en le fixant de son regard vert sapin.

Il souffla un coup, mais ne revint pas à la charge. Adrien était heureux de voir que la Gémeaux avait encore de l’influence sur le Scorpion. Il serait plus facile à tenir avec elle dans les parages.

— On ne devait pas être quatre ? J’aimerais bien rentrer avant qu’on ne nous remarque vraiment.

Quelques passants commençaient déjà à s’arrêter non loin d’eux et à les prendre en photo. Adrien avait déjà assisté à des débuts de rassemblements de ce style et il savait pertinemment que s’ils restaient là sans rien faire une véritable émeute allait se former autour d’eux.

— C’est un Lion qui a été demandé aussi, c’est ça ? demanda Dorian. J’espère qu’il ne se fera pas trop remarquer en arrivant.

Adrien détesta aussitôt les paroles du Scorpion. Il leur avait porté la poisse. Dans les secondes qui suivirent, le Zodiaque qu’ils attendaient se frayait un chemin jusqu’à eux le bras droit bien en l’air. Dans cette posture, il attirait le regard de tout le monde et tous pouvaient voir le symbole des Lions gravé d’un noir opaque sur le dos de sa main.

Ceux qui ne les avaient pas encore repérés avaient à présent les yeux rivés sur eux. Les plus jeunes, des étoiles dans les yeux, admiraient les membres du Zodiaque telles des idoles. Les autres, plus âgés, plus au courant de ce qui se passait, parlaient à voix basse et crachaient sur le nom des Constellations.

Adrien croisa les bras tandis que Mélanie remettait immédiatement son casque sur ses oreilles et qu’il sentait derrière lui la colère monter en Dorian. Dès que Martin daigna approcher d’eux, les deux hommes l’emportèrent excédés à l’intérieur de la tour radio, loin de toute cette foule.

— Super, il faut qu’on se coltine le gamin des Lions, râla Dorian en tirant sur son col pour le relever.

— Le gamin des Lions, n’est plus un gamin, il a vingt ans, je te ferai dire. S’il le souhaite, il peut t’aveugler en un claquement de doigts, alors je te conseille de ne pas faire le malin avec moi, rétorqua Martin en fixant le Scorpion dans les yeux.

— C’est qu’il n’a pas froid aux yeux le petit. Si on retournait dehors régler ça devant la foule que tu as rameutée. Ils auraient le droit à un beau spectacle, qu’en dis-tu ?

— Ça suffit tous les deux ! les arrêta Adrien sèchement. On vient vers nous.

Un homme d’une quarantaine d’années approcha d’eux à grand pas. Adrien leva les sourcils en le voyant arriver presque en sautillant, un immense sourire laissant voir ses dents parfaitement alignées collé sur son visage.

— Bonjour, bonjour à tous, c’est un plaisir de vous recevoir ! Je m’appelle Léon Rettif.

La main qu’il tendit à Adrien était poisseuse. Il faisait pourtant bon à l’intérieur, se fit la réflexion le Vierge.

— Vous êtes pile à l’heure, c’est parfait. Je vais vous conduire jusqu’au studio. Vous allez voir tout va bien se passer, Xavier est super avec ses invités. Si vous avez une quelconque question ou n’importe quel problème, n’hésitez pas à me le dire, je suis là pour ça.

Adrien ne remettait pas en cause le travail de ce certain Xavier, pour autant, il restait sur ses gardes. Déformation professionnelle ou juste habitude avec les journalistes cela restait à décider. Il n’était pas prêt à faire confiance à un homme qu’il n’avait pas encore rencontré.

Leur hôte les emmena jusqu’au quatrième étage du bâtiment où était regroupé l’ensemble des studios d’enregistrement. Ils passèrent devant divers studios, bureaux et loges sans qu’il y ait une véritable logique d’enchaînement. La tour radio était un véritable dédale.

On les installa autour d’une grande table, chacun devant un micro différent. Ils se retrouvèrent abandonnés là, même Léon avait disparu. Ils attendirent ainsi seul pendant cinq longues minutes. Adrien détestait le silence pesant qui s’était installé. Avec le monde qui s’affairait de l’autre côté de la vitre sur les tableaux de commandes, il avait l’impression que chacun de ses gestes était épié et jugé.

Il avait intérêt à ne faire aucun pas de travers durant cette interview, sinon il était persuadé que toute sa famille lui en parlerait encore et encore. Il savait que son père était le premier auditeur de cette émission, il ne lui laisserait passer aucune faute. Il devait être parfait.

Un journaliste, le fameux Xavier déduisit le Vierge, les rejoignit finalement. À l’opposé de leur hôte initial et de la description qu’il avait faite de lui, leur interviewer donnait l’impression de n’avoir aucune envie d’être là, en leur présence. Son visage fermé et le regard de dégoût qu’il leur lança à son arrivée en disait long sur son état de pensée.

Il s’installa sans leur adresser un mot et lança l’enregistrement sans aucun préambule. Adrien pria pour que Dorian reste tranquille. D'eux tous, il était celui le plus à même de s’emporter.

— Salut, salut et bienvenue sur l’AcToulouse, l’émission de radio qui vous présente les dernières infos. Aujourd’hui, vous avez droit à une émission spéciale puisque nous sommes en direct avec quatre Zodiaques que vous avez sûrement déjà croisé en ville ou dans ses environs.

Contre toutes attentes le début de l’interview se passa plutôt bien et sans réel problème. Le journaliste posait des questions banales sans chercher à les piéger, mais plus le temps passait, plus les questions devenaient alambiquées.

Sans comprendre comment, Adrien était devenu le seul à répondre aux questions du journaliste. Il jonglait comme il pouvait pour éviter les pièges qu’il lui lançait. Il chercha de l’aide à plusieurs reprises, mais ne trouva personne. Sans être télépathe, il perçut le malaise de Mélanie qui triturait du bout des doigts la base de son micro, tandis que Dorian était complètement avachi dans son siège les bras croisés. Il ne restait avec lui plus que Martin, mais ce dernier n’avait que faire de l’interview en elle-même, il cherchait seulement à se mettre en avant en narrant ses soi-disant exploits. Adrien secouait la tête chaque fois qu’il expliquait une énième fois comment il était venu à bout de démons.

— Ces derniers temps, plusieurs rumeurs courent au sujet des Zodiaques, continua le journaliste sans lui laisser une seule seconde de répit. Il a même été prouvé que certains d’entre vous n'apparaissaient plus du tout en public. Les gens se plaignent que vous ne répondez plus à leurs appels quand des démons attaquent la ville. Qu’est-ce que vous avez à dire à ces personnes qui ont perdu des proches, des membres de leur famille car vous n’avez pas été là pour les protéger ?

— Vous savez, c’est aussi difficile pour nous… commença Adrien avant de se faire couper.

— Vous êtes là pour nous protéger, qu’est-ce qui est difficile ? Si vous n’utilisez plus vos pouvoirs pour nous alors qu’est-ce que vous en faites ? enchaîna le journaliste. Les démons sont partout et vous, vous vous la coulez douce on ne sait où.

— Vous voulez la vérité ? Vous allez l’avoir ! s’emporta Dorian en tapant du poing contre la table sous les yeux implorants d’Adrien qui espérait à tout prix éviter une scène comme celle-ci. Nous nous tuons à vous protéger. Les Lions comme Martin se rendent aveugles avec leur propre lumière, les Gémeaux comme Mélanie deviennent fous à force d’entendre vos pensées, les Vierges comme Adrien se rendent malades à trop aspirer l’essence des démons avec leur barrière. Arrêtez de reporter la faute sur les Zodiaques. Vous êtes en train de tous nous tuer !

Adrien posa ses mains contre sa tête en serrant les dents alors qu’il regardait Dorian sortir du studio en claquant la porte derrière lui. Le Vierge était désolé de la scène que venait d’offrir le Scorpion, mais quand il vit le sourire satisfait des équipes techniques et de Xavier, il souffla un bon coup en reposant ses mains.

Il regarda tour à tour Mélanie et Martin et, d'un accord silencieux, ils se levèrent à leur tour et sortirent calmement. En descendant, ils croisèrent Léon Rettif, l’homme qui les avait accueillis et qui tenta de s’excuser pour l'émission. Adrien préféra l’ignorer. Il ne voulait pas créer une seconde scène.

Une fois dans la rue, il vit Dorian s’éloigner à grand pas dans une ruelle adjacente. L’interview avait duré plus d’une heure et demie et heureusement pour eux, le quartier s’était vidé et ceux qui étaient encore là n’avaient pas suivi l’émission.

— Attends-nous ! lui cria Adrien.

— Tu n’as pas à nous fuir, lui rappela Mélanie en posant sa main sur son épaule.

— Ne me touche pas Mel ! lui intima-t-il aussitôt.

Adrien, au courant de leur situation, emporta Martin avec lui un peu plus loin. Il voulait leur laisser un semblant d’intimité. Il avait également vu la fumée rouge sang commencer à s’échapper des mains du Scorpion qu’il tentait de dissimuler dans ses poches.

Il continua d’avancer doucement, en silence, le Lion à ses côtés.

— Adrien, démons ! cria tout d’un coup Dorian.

Le Vierge eut tout juste le temps de lever les yeux vers le ciel que des ombres leur tombaient dessus depuis les toits des immeubles.

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