Chapitre 4 : Martin

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Comme d’habitude, la maison était vide lorsque Martin en franchit le seuil. Il n’y avait pas un chat, pas un bruit. Voilà trois mois que le Lion était habitué à ce silence de mort. Il n’y faisait même plus attention. Il faisait comme si les rires de son père n’avaient jamais résonné dans le salon, comme si le bruit de sa tasse tombant sur le sol n’avait jamais résonné tous les trois matins à cause de ses deux mains gauches, comme si les bruits du papier qu’il grattait puis chiffonnait n’avaient jamais hanté ses nuits l’empêchant de trouver le sommeil. Il faisait comme si tout ça n’avait jamais existé. Du moins, il essayait de faire comme si.

Lorsqu'il rentrait le soir après ses cours, il s'obligeait à suivre une routine pour ne pas penser à l'absence de son père. Travailler, se laver, cuisiner, manger, traîner sur les réseaux sociaux puis partir dormir, voilà tout ce qui rythmait ses soirées. Heureusement, ses cours à la fac le fatiguaient beaucoup et demandaient toute sa concentration. Malgré son statut de Zodiaques et les missions qui lui faisaient sécher certaines heures, il réussissait à la fac.

En deuxième année de licence de physique, il se donnait les chances d’y arriver. Il avait choisi cette branche en raison de son pouvoir. Il voulait en apprendre le plus possible sur la lumière et ses caractéristiques. Il souhaitait savoir tout ce qu’il pouvait en faire, toutes les déclinaisons de son don.

Entre les heures de cours, l’interview et l’attaque des démons, la journée avait été longue et éprouvante. Il fila dans la cuisine, rénovée depuis plusieurs années, et se confectionna un sandwich avec ce qu’il trouva dans l’immense réfrigérateur américain. Il le goba en scrollant les vidéos tiktok jusqu’à ne plus laisser une miette.

Sans prendre la peine de ranger le pain de mie qu’il avait sorti, il rejoignit sa chambre à l’étage pour s’allonger sur le lit. Son père insistait toujours pour qu’il la range et la conserve en bon état. Depuis un mois, les vêtements s’empilaient dans un coin, les canettes de coca jonchaient son bureau et ses cahiers de cours le sol. Il n’était plus là, alors pourquoi continuer de suivre ses règles ?

Il attrapa son caleçon de nuit qui traînait au bout de son lit entre la couette et les oreillers, se changea et se laissa tomber en arrière avant de reprendre son téléphone. Il avait une notification. Paloma lui avait envoyé un sms, il y avait déjà six heures. Avec tout le bordel il n’y avait même pas fait attention.

Il appuya sur le message : “Bon courage pour ton interview”.

Il était un piètre ami… Il n’avait même pas pris le temps de répondre à la seule personne qui s'intéressait un tant soit peu à lui et non pas à la notoriété de sa famille. Il glissa son doigt sur la barre, faisant s’afficher le clavier pour lui répondre. Allongé sur le dos, les bras tendus en l’air, il fixa l’écran un moment. Il n’avait aucune idée de quoi lui dire. Devait-il s’excuser de répondre si tard ? Devait-il lui raconter la soirée affreuse qu’il venait de vivre ? Au moins, pour une fois, il y avait eu de l’animation, pensa-t-il.

Il abandonna totalement l’idée de répondre lorsque par mégarde il lâcha son téléphone qui s’écrasa contre son menton avant de dégringoler le long de son lit jusqu’au parquet.

Le garçon finit par se rouler en boule face au mur et ferma les yeux. Il n’en pouvait plus d’être seul, il avait besoin qu’on lui tende la main, qu’on l’accompagne. Jamais il ne l’avouerait à qui que ce soit, mais sa conversation avec Adrien lui avait mis un peu de baume au cœur. Le sommeil vint délicatement le chercher alors qu’il se repassait les paroles du Vierge dans sa tête.

Malgré la fatigue, il se réveilla au beau milieu de la nuit. La gorge sèche. Il était assoiffé. Il sortit de son lit et récupéra son téléphone avant de descendre les escaliers. Quatre heures vingt, le soleil n’était même pas encore levé lorsqu'il tourna la tête et regarda dehors. Il était bien trop tôt pour entamer la journée. Son verre avalé, il fit le chemin inverse. Un pied posé sur la première marche des escaliers, il s’arrêta. Il se frotta les yeux des deux mains pour être sûr que son cerveau encore endormi ne lui jouait pas un tour, mais non, la lumière au fond du couloir était bel et bien allumée. Il savait cette situation étrange. Depuis la disparition de son père, il n’avait jamais remis les pieds dans cette partie de la maison.

Il tourna la tête à droite puis à gauche cherchant une explication plausible, mais n’en trouva aucune. Toutes les autres pièces étaient éteintes.

Prenant son courage à deux mains, il s'avança dans le couloir à pas de loup. Une lueur d’espoir s’immisça dans son cœur. Peut-être que son père était revenu, peut-être qu'il était revenu pour lui, peut-être qu'il était venu le chercher. Il avait envie d'y croire. Il l'espérait.

— Tu penses vraiment qu'il l'aurait laissé ici ? demanda une voix qui n'appartenait pas à son père.

— C'est forcément là, il n'y a pas d'autre endroit, répondit une seconde.

Une seconde personne que Martin reconnut. Il s'agissait de celle d’Éric, son oncle, le frère de son père. Le Lion ne comprenait pas ce qu'ils faisaient là tous les deux. Éric avait refusé d'habiter avec eux dans la demeure antique de leur famille, il n'avait normalement aucun moyen d'y entrer. Il n'avait pas de clef, et le portail depuis l'Envers lui était bloqué.

Martin s'approcha de l’encadrure de la porte et osa jeter un coup d'œil à l'intérieur du bureau. Un rapide regard lui suffit pour valider la présence de son oncle. Il avait beau ne pas connaître la seconde personne, il reconnut immédiatement la marque des Verseaux gravée sur sa main.

— Tu sais que si on ne retrouve pas ce carnet, on est mort ?

— Oui, je sais, pas besoin de le répéter, s'énerva Eric. Il est forcément ici, je ne comprends pas.

Le journal de son père, là, était la raison de leur présence. Ce mystère résolu, il ne comprenait quand même pas en quoi ce carnet les intéressait et pouvait expliquer leur intrusion. Son père prenait des notes dessus pour son travail de biologiste, rien qui ne pourrait intéresser deux Zodiaques comme eux.

— Et si on demandait à son fils ?

— Tu es fou ? Il pourrait se douter de quelque chose. D'après mon frère, c'est une vraie tête. Et puis il ne doit pas savoir qu'on est ici.

— C'est un peu trop tard pour ça. Il est devant la porte.

— Quoi ? s'étonna Eric relevant la tête d'un coup.

Martin croisa un dixième de seconde le regard de son oncle qu'il ne reconnut pas. Les Lions à l'image de leur don avaient toujours cette lueur lumineuse dans les yeux, Eric ne l'avait plus.

— Attrape-le ! ordonna ce dernier à son acolyte.

Il n'en fallut pas plus à Martin, qui avait hésité jusque-là, pour prendre ses jambes à son cou. Il ne pouvait pas rester là. Il prit la fuite. Il courut en direction de la porte qui n'était plus fermée. Il n'eut pas le temps de vérifier s'ils l'avaient forcée pour rentrer. Cette possibilité lui était peu probable, il les aurait sûrement entendus si ça avait été le cas.

Martin secoua la tête. Il n'avait pas le temps de se torturer l'esprit avec ça. Il arriva dans la rue et se mit à courir au milieu de la route. L'adrénaline lui conférait une vitesse et une endurance inhumaine pourtant, il sentit rapidement de l'eau s'insinuer entre ses pieds et le bitume encore chaud de la veille. Elle passa devant lui jusqu'à former un barrage devant ses yeux le forçant à s'arrêter net.

Son père lui avait enseigné les forces de chaque don. Il savait n'avoir aucune chance de traverser ce voile d'eau d'une résistance similaire à celle d'un mur.

Il se retourna et vit ses deux assaillants se tenant là à quelques mètres de lui. L'eau continuait d'affluer des mains du Zodiaque et s'écoulait comme une cascade jusqu'à Lion.

— Qu'est-ce que vous voulez ? hurla Martin espérant trouver une issue.

— On ne te fera rien mon garçon, lui répondit Eric d'un ton mielleux. On cherche seulement le carnet de travail de ton père, tu sais peut-être où il se trouve toi ?

— Non, j'en sais rien, il a dû s'enfuir avec !

Évoquer le départ de son père fit monter la pression chez Martin. Il sentait la colère pulser son sang, réchauffer ses bras, picoter ses doigts. Son pouvoir semblait vouloir s'éveiller, pour autant, jamais il ne lui avait conféré une telle sensation. De le sentir affluer ainsi, il savait que la lumière finirait par sortir d'elle-même, mais il ne voulait pas, pas de suite, il était temps qu'il reprenne le contrôle. Adrien avait raison. Il serra le poing et contraignit sa magie.

— Tu penses vraiment qu'il aurait pu partir sans toi ? rit son oncle. Tu étais tout pour lui. Il ne parlait que de toi. Martin par-ci, Martin par-là. Il n’arrêtait jamais. Son habituel orgueil était constamment reporté sur toi. On n’en pouvait plus de l’entendre. Crois-moi s’il avait eu le choix, il serait resté bien sagement avec toi plutôt que de vivre ce qu’il lui arrive en ce moment.

— Ferme-là ! lui intima le Verseau. S’il ne sait rien, il ne sert à rien.

Martin comprit aussitôt qu’il était temps pour lui de se défendre. Il libéra toute la puissance qu’il avait renfermée jusque-là. Sa main s’illumina alors qu’il laissait s’exprimer une lumière profonde et aveuglante. Il fut consterné par cette magie qu’il ne reconnaissait pas. La nuit devint jour, comme un éclair qui après avoir frappé ne disparaît pas.

L’eau qui lui bloquait le passage disparu d’abord dans son dos puis sous ses pieds et il en profita pour s’enfuir laissant sa lumière s’échapper selon son bon vouloir.

Il courut, il courut sans s’arrêter, sans réfléchir. Il voulait juste s’enfuir, s’éloigner de tout ce bordel. Plus rien n’avait de sens, il venait d’être attaqué par un autre Zodiaque, par son oncle. Il devait rêver, être dans un véritable cauchemar.

Il finit par s’arrêter au milieu d’une ruelle et se cambra en avant pour reprendre son souffle. Il avait l’impression que le monde venait de s’écrouler sur lui.

Il regarda le téléphone qu’il tenait toujours dans sa main et le déverrouilla. Il tremblait et eu du mal à sélectionner Adrien dans ses contacts. Il pria pour que le Vierge réponde. Il avait besoin qu’on vienne le chercher, qu’on vienne lui dire que tout allait bien, que ce qui venait d’arriver n’était pas vrai. Il répondit au bout de la deuxième sonnerie et ne demanda aucun détail avant de se mettre en route.

Ces longues minutes d’attente furent interminables pour le Lion. Chaque petit bruit le faisait sursauter. Il s’était recroquevillé dans un coin, tout tremblant, luttant contre les larmes qui s’amoncelaient dans ses yeux.

Il reconnut la voiture d’Adrien, clignant des yeux pour s’habituer à la lumière de ses phares. Martin n’eut pas la force de se lever. Il vit le Vierge sortir de sa voiture, cherchant des yeux une explication à son état puis finalement approcha de lui. Il retira sa veste qu’il posa sur les épaules du garçon avant de l’aider à se relever et à s’asseoir dans le véhicule.

Martin apprécia le silence du trajet qui lui permit d’évacuer le trop-plein d’émotions. Ils arrivèrent à l’appartement d’Adrien où Martin s’installa dans le canapé.

Il prit plusieurs inspirations profitant de la douceur du canapé, de l’odeur de chocolat qui traînait dans l’air. Les battements de son cœur ralentissaient enfin. Il se rendit alors compte que sa gorge était en feu d’avoir trop couru et que son corps frissonnait dès qu’un petit courant d’air l’effleurait. Il ne sentait plus ses pieds qui l’avaient porté à cinq kilomètres de chez lui malgré l’asphalte qui les avait râpés et fait saigner.

Il laissa une fine traînée de sang sur le tapis. Adrien s’en rendit compte. Il partit pour revenir quelques secondes plus tard avec du désinfectant et des compresses. Il les tendit à Martin, mais ce dernier secoua la tête, il ne pouvait pas le faire, il n’en avait pas la force.

Adrien lui adressa un fin sourire avant de s’asseoir à côté de lui et de lui attraper délicatement les chevilles pour le soigner. Martin le regarda faire avant de prendre son courage à deux mains.

— Il y avait des gens chez moi. Ils cherchaient quelque chose dans le bureau de mon père.

Adrien releva la tête en fronçant les sourcils.

— Tu saurais les reconnaître, les identifier ?

— Il y avait…

Martin ne termina pas sa phrase, avant de se rendre à l’évidence, il n’avait plus de famille.

— Il y avait mon oncle, Eric Léos, et un Verseau. Ils m’ont pourchassé et attaqué quand je les ai surpris dans la maison.

Le Lion ne revenait même pas de ce qu’il était en train de dire. Jamais les Zodiaques ne s’en étaient pris à l’un d’entre eux. Mais là n’était pas la chose la plus étrange.

— Ils ont dit quelque chose de bizarre. Quelque chose du genre que mon père avait été forcé de partir, que là où il était en ce moment était bien pire que sa vie ici. Qu’est-ce que ça signifie ?

Il regarda Adrien réfléchir alors qu’il finissait de lui bander les pieds. Il finit par l’aider à se mettre debout et lui indiqua une porte du doigt.

— Prends mon lit et va dormir un peu, lui conseilla-t-il en évitant sa question. Tu as besoin de te reposer, nous réfléchirons à tout ça demain.

Martin hésita un instant, si Adrien avait une idée, il voulait la connaître, mais au vu du regard fermé du Vierge, il comprit qu’il n’aurait pas de réponse de suite. Il claudiqua jusqu’à la chambre, tentant d’oublier la douleur qui lui transperçait la plante des pieds.

— Merci, lâcha-t-il avant de s’enfermer à l’intérieur.

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