Chapitre 6 : Mélanie
— Mais qu’est-ce qui t’as pris de faire ça ? Léon aurait pu te tuer d’un simple toucher ! s’énerva Mélanie alors qu’ils venaient à peine de revenir dans l’appartement d’Adrien.
— Calme-toi. C’est moi qui l’ai eu en premier. Et on est tous en un seul morceau, il me semble. Bon à part Adrien qui a dû y laisser son bras, mais il va le récupérer, n’est-ce pas ?
— Oui, oui, demain ou dans deux jours ça aura totalement disparu. J’ai connu pire. Mais Dorian, ton poison ne va pas les tuer, si ?
— Non, le poison des Scorpions n’est mortel que pour les démons. En revanche avec la dose que je leur ai injectée, ils seront dans le mal pendant un bon bout de temps.
Mélanie se mit à faire les cent pas dans l’appartement. Heureusement pour elle, il n’y avait pas beaucoup d’humains aux alentours, elle pouvait donc entendre ses propres pensées malgré les murmures des esprits des autres.
— On est d’accord pour dire que quelque chose se trame et que plusieurs Zodiaques en font partie, résuma-t-elle à voix haute.
— Je dirai même plus : des Zodiaques en sont à l’origine, rectifia Adrien. Les démons étaient aux ordres de Léon et Bastien, ce n’est pas normal. Jamais nous n’avons entendu de telles choses. Il faut qu’on comprenne ce qu’il se passe, et j’ai bien peur que l’on ne puisse plus faire confiance à quiconque.
Mélanie se passa une main sur le front en expirant. Elle s’approcha de la fenêtre et regarda les deux piétons qui venaient de s’engager dans la rue.
— Je n’aurai pas dû mettre cette robe, j’ai l’impression qu’elle me boudine.
— Peut-être que j’aurai dû réserver une table quelque part avant de l’inviter à sortir.
Entendre les pensées des autres était son don et sa malédiction. Parfois, elle rêvait du silence que vivaient en permanence les autres Zodiaques, elle rêvait de la puissance que leur offrait leur don. Enfin non, elle rêvait du calme des humains. Il n’avait rien à se soucier, pas de vie à protéger, pas de démons à affronter. Elle posa ses yeux sur Dorian. Le Scorpion s’était assis sur le canapé et tirait sur le col de son haut pour respirer. Combien de fois l’avait-elle vu faire ce geste ? Tout aurait été beaucoup plus simple s’ils n’avaient pas été des Zodiaques.
— Martin, la coupa dans ses pensées Adrien, dit nous au moins que ce papier contient quelque chose d’important.
Le jeune garçon fouilla dans sa poche et déplia la feuille devant lui.
— C’est une lettre. Une lettre de mon père. Pour moi.
Pas besoin d’entendre ses pensées pour lire l’émotion dans les yeux du Lion. Il se mit à battre vivement des cils tandis que ses doigts crépitèrent faisant apparaître des mini flash de lumière.
— Tu veux qu’on te laisse seul ? proposa Adrien de sa voix la plus calme.
— Je veux bien oui, opina-t-il de la tête.
— Bien pendant ce temps, Mélanie, Dorian, rentrez chez vous et récupérez quelques affaires. On ne peut pas rester chez nous. S’ils n’hésitent pas à prendre d’assaut une maison comme celle des Lions, on n’est pas à l’abri chez nous. Et restez ensemble, on n’est jamais trop de deux pour affronter les démons.
— Et on va aller où, si aucun de nos logements n'est sûr ?
— Ici, répondit-il en inscrivant une adresse sur un petit bout de papier qu’il leur tendit. On vous retrouvera là-bas.
Mélanie attrapa le post-it, le lut rapidement et regarda Adrien en fronçant les sourcils.
— Personne ne connaît cette adresse. On y sera en sécurité. Faites-moi confiance.
Un peu dubitatifs, Dorian et Mélanie retournèrent à la voiture de cette dernière. Ils prirent la route qu’ils avaient faite en sens inverse le matin même pour retourner chez Dorian. Dans un silence à couper au couteau, ils allèrent jusque devant chez le Scorpion.
— Tu veux que je t’accompagne ? demanda Mélanie alors qu’il ouvrait sa portière.
— Non, c’est bon, je n’en ai pas pour longtemps pour ramasser quelques affaires, tu peux rester là.
Elle le regarda s’éloigner, encore une fois, et resta sans rien dire, encore une fois. Leurs longues conversations lui manquaient, autant que son sourire et son rire si fort qu’il en semble faux.
Elle aimerait tant pouvoir lire l’esprit de Dorian, malheureusement, il ne voulait plus l’y inviter. Pourtant, cela les aiderait beaucoup, du moins ça l’aiderait elle. Depuis leur rupture après l’incident, il ne dégageait que des signaux contraires. Il lui adressait tout juste la parole, lui lançait si peu de regard et puis l’instant d’après il la suivait comme son ombre pour s’assurer qu’elle aille bien. Elle ne savait pas où il en était et elle-même ne savait plus quoi en penser.
Lorsqu’il revint avec un long sac de sport qu’il posa dans la malle, elle était décidée à engager la conversation. Elle connaissait le chemin jusqu’à chez elle par cœur. Nombre de fois, elle avait fait ce trajet. Elle pouvait bien se concentrer sur la conversation qui allait venir.
— Il faut que tu m’expliques.
— T’expliquer quoi ? demanda-t-il en gardant son regard fixé sur la route.
— Ton petit jeu.
Elle savait qu’elle y allait un peu fort, mais elle voulait le faire réagir. Quitte à ne pas pouvoir lire ce qui se passait dans sa tête, elle espérait pouvoir lire les émotions sur son visage.
— D’abord, tu essaies de prendre soin de moi, ensuite, tu ne veux plus que je t’approche et maintenant, tu en es presque à m’ignorer. C’est toi qui es parti du jour au lendemain, je te rappelle. C’est toi qui as mis fin à notre relation. Ça n’a été que ta décision.
— Je sais, se contenta-t-il de répondre.
— “Je sais” ? C’est tout ce que tu trouves à me dire ? Je ne te demande pas grand-chose pourtant, je veux que tu m’expliques, je veux que tu me dises ce que tu ressens vraiment.
— Laisse tomber Mélanie.
— Tu me dégoûtes. Franchement, je veux juste des explications. Est-ce seulement à cause de l’incident que tu agis ainsi ?
— Ne mets pas ça sur la table ! s’énerva-t-il avant de se murer dans le silence.
Mélanie resserra sa prise sur le volant. Elle détestait lorsqu’il agissait ainsi. Elle avait l’impression de retrouver le Dorian de leur rencontre. Il avait évolué depuis et pourtant, il se raccrochait encore à cette carapace inutile.
Elle ne savait pas comment, mais elle allait réussir à la lui enlever. Il était hors de question que ça se passe ainsi. Elle n’allait pas le lâcher, qu’il le veuille ou non, elle comptait bien rester à ses côtés.
Elle réfléchit pendant tout le trajet à un plan d’action. Elle jeta plusieurs fois des petits regards dans sa direction. Il restait stoïque, le regard fixé droit devant, il regardait la route défiler.
Une fois chez elle, elle ramassa une bonne quantité de vêtements qu’elle fourra dans sa valise. Elle ne savait pas combien de temps cette histoire allait durer donc autant être prévoyante. Il lui était bizarre de partir ainsi de chez elle. Elle avait l’impression qu’ils étaient en fuite, ce qui n’était pas si loin de la vérité : ils se cachaient. Elle refoula les larmes qui lui montèrent aux yeux. Ce n’était pas le moment de pleurer. Elle referma la porte derrière elle et repartit en direction de la voiture.
En remontant dans sa voiture, elle vit une lueur inquiète apparaître dans le regard de Dorian avant de s’évanouir aussi vite. Il avait dû voir ses yeux embués de larmes, mais il avait décidé de ne pas y prêter attention. Elle souffla un bon coup avant d’enclencher le gps. Il était hors de question qu’elle se laisse bouffer par cette situation. Elle allait prendre les choses en main, autant pour Dorian que pour cette histoire de Zodiaques qui contrôlaient les démons.
La route sembla rapide pour Mélanie dont les pensées étaient en ébullition. Ils avaient pourtant traversé l’entièreté de la ville et s'étaient même éloignés de la périphérie toulousaine. Le GPS les mena jusqu’à une belle bâtisse en brique typique de la ville rose où Adrien et Martin les attendaient déjà.
La rue était plutôt calme au grand soulagement de Mélanie. Elle ne risquait pas d’être assommée par les pensées des voisins. Le Vierge prit la tête du petit groupe et les invita à le suivre. Il sortit une première clef qui ouvrit la petite porte en bois d’époque à l’entrée du bâtiment. À sa surprise, elle s’ouvrit sur un escalier qui menait directement au premier étage. Arrivés en haut les mains chargées, Adrien sortit une seconde clef de sa poche qu’il inséra dans la serrure.
Mélanie comme ses compagnons furent étonnés de découvrir un magnifique loft. Ils avaient mis les pieds dans un immense séjour séparé de la cuisine par un grand îlot central. De gigantesques baies vitrées apportaient de la lumière et illuminaient le mur de briques qui entourait l’entrée principale.
— On est où là ? demanda Mélanie stupéfaite par l’espace.
— Chez moi. Enfin, ce qui allait le devenir une fois qu’on aurait fini l’installation.
Des cartons traînaient ici et là tandis qu’une étagère attendait encore d’être montée.
— T’es en train de me dire que t’as acheté ça tout seul ? s’étonna Dorian.
— Ce couloir mène à deux chambres et une salle de bain, et il y a aussi un grand espace nuit sur la mezzanine avec une seconde salle de bain. Vu qu’on est quatre je…
— Je prends le canapé, le coupa Dorian. J’ai l’habitude t’en fais pas. Tu nous as trouvé un refuge, tu ne vas pas en plus nous laisser ta chambre.
Mélanie apprécia le geste du Scorpion. Là, elle retrouvait le Dorian qu’il était devenu. Elle partit poser sa valise dans l’une des chambres du couloir tandis que Martin prenait celle d’à côté et Adrien montait à la mezzanine.
Dorian avait raison. Elle avait beaucoup de mal à imaginer Adrien acheter un si bel et si grand endroit tout seul. Il ne leur disait pas tout, elle en était persuadée. Il avait toujours eu un jardin secret, sauf que là ça ressemblait plutôt à un parc secret.
Ils se retrouvèrent tous, assis autour de l’îlot de la cuisine, seulement pour l’heure du repas. Ils avaient tous profité de ce petit moment de répit pour se reposer un peu.
— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Mélanie en se servant une part de pizza qu’ils avaient commandée.
— On est quatre, contre des démons et d’autres Zodiaques qui sont sûrement à ce moment même à notre recherche, exposa les faits Adrien.
— Qu’a donné la lettre de ton père ? demanda Dorian.
Le Lion sortit la lettre de sa poche et la posa sur la table de sorte qu’ils puissent tous la lire. Mélanie décida de la lire à voix haute pour tout le monde.
Martin, mon cher fils.
J’ai bien peur que si tu es en train de lire cette lettre, c’est que je n’ai pas eu le temps de te dire cela moi-même. Il se passe quelque chose chez les Zodiaques.
Il y a plusieurs années déjà, j’ai pris part à un projet pour comprendre la nature des démons et tenter de les éradiquer une bonne fois pour toutes. J’ai alors fait d’étranges découvertes. J’en ai parlé aux nôtres, à nos familles. Je n’aurai jamais dû. Mes idéaux de paix sont devenus des projets de pouvoir. Ils se sont mis à chercher un moyen de combiner nos pouvoirs à la résistance des démons. J’ai tenté de leur faire prendre conscience de leur folie, mais il était déjà trop tard. J’ai voulu tout laisser tomber et mettre fin à ces expériences. Je n’ai pas réussi.
J'aurais dû te mettre au courant bien plus tôt, mais je ne pouvais me résoudre à te faire courir un tel risque. Je ne pouvais pas entraîner mon fils unique dans ma propre croisade. Malheureusement, j’ai bien peur qu’à cause de moi, tu ne sois déjà en danger. Ne fais confiance à personne. On ne sait pas qui est impliqué et qui ne l’est pas.
Je t’en prie, pardonne-moi. Je me battrai pour revenir à toi, mais j’ai bien peur que tu doives te battre aussi.
Reste fort mon fils.
Ton père qui t’aime
— Attendez, je ne suis pas sûre de tout comprendre là.
— C’est pourtant clair, commença Dorian. Certains des nôtres essaient de mélanger Zodiaques et démons pour en tirer plus de pouvoir.
— Mais c’est horrible…
Mélanie n’en revenait pas. Tout son petit monde, tout ce en quoi et en qui elle croyait était en train de s’écrouler.
— Et maintenant ? demanda le Scorpion.
— Retourne la lettre, lui indiqua Martin.
Au dos de la feuille, une nouvelle inscription était visible : 24 chemin de Pouvourville.
— J’ai regardé sur internet, ajouta Martin. Il s’agit d’un hôpital. Peut-être que mon père se cache là-bas et qu’il pourra nous en dire plus.
— Tu as raison, on ne perd rien à suivre cette piste de toute façon. Si vous êtes d’accord, je vous propose que l’on termine cette soirée et que l’on prenne tous une bonne nuit de repos. On ira demain voir cet hôpital, une fois qu’on aura repris des forces, conclut Adrien.
Tous acceptèrent. Après cette journée sur les chapeaux de roues, ils pouvaient bien s’accorder une nuit de sommeil.
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