Chapitre 7 : Dorian
— Vous me rappelez ce que nous faisons là ? se plaignit Dorian en s’étirant.
Dorian, qui avait le sommeil lourd, n’avait pas entendu son réveil sonner. Ce fut la petite voix douce de Mélanie qui vint le tirer du monde des rêves. Il avait senti le parfum de son corps qui l’avait enivré si souvent et qui continuait de le rendre fou. Il avait senti sa main effleurer son visage, ses doigts glisser le long de ses bras. Il avait senti sa peau contre la sienne. Il se réveilla d’un coup, s’écartant aussi vite de la Gémeaux qu’il le put. Il ne pouvait pas. Il avait failli se laisser prendre. C’était trop dangereux. Trop dangereux pour elle.
Il avait alors fait semblant de ne pas voir la tristesse dans ses yeux. Il la rendait malheureuse, il le savait pour autant, il ne pouvait pas faire autrement. Il ne pouvait pas la laisser approcher bien que cette décision lui brisait le cœur.
Ils ne s’adressèrent pas un mot. Mélanie s’enferma dans sa bulle et lui râla. La seule carapace qu’il avait réussi à se former et à garder. Et puis, il avait raison de râler. Il était tout juste dix heures et les quatre Zodiaques se tenaient déjà devant les barrières de l’hôpital à l’adresse indiqué par le père de Martin.
Il s’agissait d’un grand bâtiment, ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils venaient y faire, ce qu’ils venaient chercher, ou bien même ce qu’ils espéraient y trouver, mais ils y étaient.
Ils entrèrent dans l’enceinte de l’hôpital et tombèrent sur l’accueil des urgences. Grand espace aux couleurs neutres, il accueillait nombre de distributeurs et de machines à café. Des sièges étaient disséminés un peu partout tandis qu’un îlot occupait le centre de la pièce. Il régnait un brouhaha indécent tandis qu’infirmiers et infirmières étaient déjà au pas de course. Ils réclamaient le silence et du calme sans réussir à se faire entendre. Devant ce bazar, Dorian se retourna vers Mélanie. La Gémeaux avait son casque de musique sur les oreilles, mais ses doigts tremblant et ses sourcils froncés étaient le signe que cela ne suffisait pas.
— Il faut avancer, indiqua-t-il aux autres.
Ils jouèrent des coudes pour se frayer un chemin jusqu’au comptoir d’accueil. Le personnel hospitalier ne leur accorda pas plus de trente secondes. Ils pouvaient circuler librement dans l’hôpital tant qu’ils ne dérangeaient pas les patients ou le travail des infirmiers.
Être un Zodiaque avait bien souvent des avantages et la marque sur leur main devenait rapidement un laissez-passer. Utile dans certains cas, là, cela ne les avançait en rien.
Ils se mirent tout de même à déambuler dans les couloirs de l’hôpital où régnait une atmosphère bien plus calme et sereine. Ils errèrent entre les différents étages. Ils espéraient qu’une évidence leur sauterait aux yeux. Ils firent l’entièreté des deux premiers étages sans rien trouver, sans que quelque chose attire réellement leur attention.
— Je vous préviens, je vais devenir fou, annonça Dorian lorsqu’ils revinrent vers l’ascenseur. Il y a neuf putain d’étages dans cet hôpital. On ne va pas tous les faire comme ça un par un en espérant que quelque chose nous tombe dessus.
— Et que veux-tu faire d’autres ? On doit comprendre pourquoi le père de Martin a écrit cette adresse sur une lettre destinée à son fils. Il y a forcément quelque chose d’important caché ici.
— Et si on essayait de réfléchir un peu ? Pascal était un Zodiaque, où est-ce qu’un Zodiaque dissimulerait quelque chose ici ? proposa Mélanie.
Tous se mirent à réfléchir un instant.
— Mon père est avant tout un Lion. Il a dû chercher la lumière. Allons sur le toit du bâtiment, je suis sûr que c’est là-bas !
Dorian haussa les épaules. Même s’il trouvait cette idée un peu trop simple, au moins, ils n’allaient pas continuer à tourner en rond.
Les quatre Zodiaques montèrent dans l’ascenseur et appuyèrent sur le bouton du dernier étage et la cabine se mit en marche. Les lumières indiquant le niveau s’allumèrent les unes après les autres à un rythme régulier.
— Stop ! s’écria Mélanie en appuyant sur le bouton du sixième étage forçant l’arrêt de l’ascenseur alors qu’ils y arrivaient tout juste.
— Qu’est-ce que t’arrives ? demanda Dorian dont l’inquiétude était perceptible dans la voix.
— J’entends un démon.
— Un démon ? Ici ? Tu es sûre ? Pourquoi tu ne l’entends que maintenant ?
— Je ne sais pas. C’est étrange. Ce n’est pas comme d’habitude. C’est très perturbant. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est différent.
— Allons voir, décida Adrien. Si un démon est là, on doit s’en occuper en priorité.
Tous acquiescèrent. Ils sortirent de l’ascenseur et avancèrent lentement dans le couloir. Se tenant sur leur garde, ils étaient prêts à réagir. Un silence étonnant régnait à cet étage. Il n’y avait aucun cri, aucun bruit, aucun chaos. Ils étaient bien loin de l’habitude remue-ménage causé par la présence d’un démon.
Dorian se tourna vers Mélanie. La Gémeaux était concentrée. Il l’avait déjà vu dans un tel état de concentration lorsqu’ils chassaient ensemble les démons par le passé. Elle les avait toujours guidés vers ces monstres. Il lui faisait confiance.
En inspectant chaque pièce et chaque recoin Dorian trouvait cet endroit de plus en plus étrange. Il n’y avait aucun médecin ou infirmier à cet étage, même les patients étaient manquants. Les chambres étaient inoccupées, vides de malades, pourtant ils avaient bien vu l’encombrement des autres niveaux. Ce sixième étage semblait irréel, comme sorti de la réalité.
Devant un tel calme, ils sursautèrent presque en tombant, finalement, sur un médecin qui lui lâcha son bloc-note et s’écria de surprise en les apercevant.
— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous faites ici ? Qui êtes… Des Zodiaques, se calma-t-il immédiatement en voyant les marques à leurs mains.
— Venez avec nous, lui intima Adrien. Il y a un démon à cet étage.
— Un démon ? Vous devez vous tromper. Ils ne viennent jamais ici. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Lorsque l’hôpital est pris d’assaut par ces monstres, le sixième étage est toujours préservé. Mais je présume que si vous êtes là, c’est pour le patient D.
— Le patient D ? demanda Dorian sur ses gardes
— Le patient D, oui. Un Zodiaque venait au moins par semaine le voir. C’est vrai que quand j’y pense cela fait plusieurs mois que je ne l’ai pas vu.
— Vous parlez de Pascal Léos ? C’est lui qui venait voir votre patient ? demanda Mélanie.
— Oui exactement. Ce n’est pas lui qui vous envoie ?
— Si justement. On pourrait voir ce patient ? demanda Dorian avant que le médecin ne pose plus de question.
— Venez.
Il posa tout son attirail sur le comptoir de l’étage, tout aussi vide que le reste, et mena jusqu’au fond du couloir. Les chambres se faisaient de plus en plus rares alors que les verrous sur les portes étaient de plus en plus nombreux.
— Pourquoi j’ai l’impression qu’on pénètre dans une prison ? demanda Adrien.
De grands barreaux et une porte en métal automatique fermaient la dernière partie de l’aile. Il devenait difficile de se rappeler qu’ils se trouvaient toujours dans l’enceinte de l’hôpital.
— Nous avons dû prendre des précautions supplémentaires lorsque le patient D a été emmené. Monsieur Léos s’est assuré lui-même de la mise en place de tous ces mécanismes. Il n’a laissé personne s’en approcher.
Ils attendirent tous un instant devant la porte.
— Je vais vous laisser là.
— Vous n'ouvrez pas ? l'arrêta Martin.
Le médecin qui s'apprêtait à partir s'arrêta un instant et regarda Martin étonné.
— Je n'ai jamais eu la clef. Monsieur Leos a toujours été le seul à avoir accès à cette partie de l'étage. Je pensais que vous étiez au courant. Vous êtes sûrs que c'est lui qui vous envoie ?
— Oui, oui. Vous n’avez qu’à nous laisser, on va continuer seul nous aussi. Merci de nous avoir menés jusqu’ici, congédia Dorian le médecin.
Dorian vit le docteur passer son regard sur chacun d’entre eux, il hésitait. Le Scorpion avait essayé de prendre un air des plus détaché et convaincant, mais il n'était lui-même pas très emballé de sa prestation. Malgré tout, le médecin finit par les laisser au milieu du couloir.
— Et maintenant comment on fait ? Je vous promets que mon père ne m’a jamais laissé de clef.
Ils fouillèrent les alentours espérant trouver la clef pour ouvrir la porte sans vraiment de convictions. Ils s’arrêtèrent lorsque Mélanie s’approcha de la porte jusqu’à coller son oreille contre le métal.
Dorian était étonné de son attitude. La Gémeaux évitait normalement de tendre l’oreille. Les pensées des humains étaient tellement fortes qu’elle ne pouvait même pas s’entendre réfléchir.
Adrien fit un pas en avant, mais fut arrêté par le Scorpion qui lui intima d’attendre. Si elle agissait ainsi, c’était pour une bonne raison.
— C’est bizarre, finit-elle par dire en se décollant de la porte.
Elle s’arrêta une nouvelle fois pour réfléchir alors que ses amis la regardaient attendant qu’elle veuille bien leur en dire plus.
— Il y a deux choses étranges. La première, c'est cet étage. Depuis qu’on y est, je n'entends plus aucune pensée. Je devrais être harcelée de celles des patients des étages d’au-dessus et d’en dessous mais rien. Même le médecin qu’on vient de croiser depuis qu’il est reparti, il a disparu de ma tête. C’est comme si les murs bloquaient mon don.
Dorian n’en revenait pas. C’était la première fois qu’il entendait une chose pareille. Au-delà, de la surprise de ce fait. Cette révélation devenait un espoir pour les Gémeaux. Eux qui se retrouvaient forcés de vivre en marge de la société pour ne pas devenir fous, cette découverte pourrait tout changer pour eux.
— Et puis, il y a le bourdonnement que j’entendais. Il est toujours présent mais s’est calmé et maintenant j’entends des bribes de pensées humaines provenant de derrière la porte.
— Bon attendez.
Adrien s’approcha de la porte et s’agenouilla au niveau de la serrure.
— Mais… Ce n’est pas une serrure normale, annonça-t-il. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose dedans.
Il inséra ses doigts à l’intérieur et alors qu’il les retirait aussi rapidement avec une bulle de sang au bout de l’index, la porte se colora du même rouge teintant le blanc immaculé des couloirs par la même occasion.
— C’est ton sang qui a fait ça ? s’étonna Dorian.
— Je crois que oui. Mais la porte est toujours fermée.
— Je pense qu’on sait tous ce qu’il nous reste à faire.
Par tous, Dorian sous-entendait Martin. Il se tourna vers lui suivi par ses deux autres comparses.
— Je crois que c’est le moment de vous dire que j’ai peur des piqûres.
— Un Lion qui a peur d’une aussi petite chose que les aiguilles ? s’amusa Dorian. Où est passé ton courage ?
— Facile à dire pour un Scorpion, se renfrogna le jeune homme.
— Martin, il n’y a que cette solution. Ton père a créé cet endroit et t’as laissé un moyen de le trouver. On a besoin que tu surmontes cette peur. Peut-être que l’on va pouvoir comprendre ce qui lui est arrivé si on entre dans cette salle, tenta de le convaincre Mélanie.
— Mais justement, c’est mon père, pas moi. On n’est même pas sûre que cela va fonctionner.
— On a qu’une seule façon de le savoir, ajouta Adrien.
Martin finit par céder avec un petit soupir. Il s’avança vers la porte et glissa un doigt à l’intérieur de la serrure. Il prit une grande inspiration, ferma les yeux et enfonça sa main un peu plus profondément.
Il la retira aussitôt et porta son index à sa bouche pour aspirer le liquide carmin qui s’en échappait.
Cette fois-ci, aucune lumière ne vint colorer le couloir. À la place, un petit “clic” retentit et la porte s’ouvrit de quelques centimètres.
Dorian fut le second à pénétrer dans cette pièce et il fut aussitôt assommé par le cliquetis incessant des appareils médicaux. La salle était spartiate. Rien ne venait habiller les murs du même blanc que les autres étages de l’hôpital. Une seule fenêtre laissait entrer la lumière tamisée par des rideaux opaques.
Le patient D était installé sur un lit du côté gauche de la pièce. De petites barrières l’empêchaient de basculer et pas que. Ses poignets et chevilles étaient entravés et maintenus aux barreaux. Il ne pouvait pas faire un mouvement. Dans un état léthargique et complètement amorphe, il était difficile de l’imaginer violent.
Dorian passa son poing devant sa bouche ravalant le haut-le-cœur qui le prenait. Le torse dénudé du patient D était aussi noir qu’une nuit sans lune tandis que son visage était déformé de façon grotesque. Sa mâchoire était décalée, son nez tordu, et ses yeux sortaient de leur orbite juste en dessous d’un front proéminent.
— Un poison de Scorpion pourrait mettre un humain dans cet état ? demanda Adrien.
— Je ne pense pas, mais je vais lui administrer l’antidote pour voir.
Il s’empara du bras du patient D. Posa une de ses mains sous son biceps et l’autre au niveau du poignet. Il prit une grande inspiration et laissa agir son don. Une fine ligne rose prit naissance au coin de son œil et descendit lentement jusqu’à ses mains pour finalement changer de corps et disparaître.
Plus il lui transférait l’antidote des Scorpions, plus il sentait ses forces s’amoindrir. Ses jambes se mirent à trembler, tandis que ses yeux se fermaient à présent tout seul. Il pouvait tenir, il pouvait encore lui donner sa force vitale. Il resserra son étreinte tandis que la ligne rose devenait de plus en plus grosse.
— Ça suffit !
Dorian se sentit arraché du contact. Mélanie venait de le tirer en arrière. Il n’eut pas le temps de lui en vouloir qu’il se mit à tousser. Il se plia au-dessus de ses genoux, cherchant désespérément à retrouver son souffle.
Lorsqu’il put de nouveau respirer, il ignora le regard noir que la Gémeaux lui portait et parla d’une voix encore rocailleuse :
— Ce n’est pas un poison de ma famille. On aurait déjà vu un changement.
— Alors qu’est-ce qu’il a ? demanda Martin qui s’était éloigné.
— Il est à moitié démon, répondit Mélanie.
Ses mots suffirent à faire reculer ses trois camarades alors qu’ils jetaient à présent un regard horrifié vers l’être alité devant eux.
— Comment ?
— Je ne sais pas, mais je suis persuadée de ce que j’avance. Le démon que j’ai entendu dans l’ascenseur, c’était lui. Le bourdonnement n’a pas toujours la même force et j’entends parfois des bribes de pensées. Je sais que les murs jouent sur mon don, mais je suis sûre que tout vient de lui. Cet homme est presque un démon.
— Je peux peut-être l’aspirer avec ma barrière.
— Non, maintenant que je me tiens à côté de lui, je ressens beaucoup trop le démon et presque pas l’humain. Si tu essaies d’aspirer l’essence démoniaque, tu le tueras.
— Qu’est-ce qu’on peut faire alors ? Comment un humain peut-il devenir à moitié démon ? Et pourquoi mon père l’a enfermé ici, dans cet hôpital ?
Martin posait les questions que tous avaient et dont personne n’avait les réponses.
— J’ai bien l’impression que tous les démons ne sont rien d’autre que des humains à l’origine, annonça Dorian.
— Ce n’est pas possible ! Comment peux-tu penser ça ? demanda Mélanie.
— En lisant les notes écrites dans son dossier médical.
Plus ou moins remis de sa transfusion d’essence vitale, Dorian avait remarqué la pochette accrochée au bout du lit dans lequel un petit dossier cartonné était rempli de résultats médicaux ainsi que de notes manuscrites.
Il partagea sa trouvaille avec ses trois autres compagnons. Plus ils avançaient dans leur lecture, plus leur visage devenait blême. Ils avaient du mal à croire ce qu’ils étaient en train de lire.
Le patient D vient d’être transféré dans la nouvelle aile de l’hôpital. Il est confus et ne comprend pas ce qui lui arrive. Il a un énorme trou de mémoire sur ses derniers jours. Il se souvient avoir été traîné dans la forêt avant d’avoir été descendu dans ce qu’il pense être des souterrains. Il se souvient d’une grande salle avec de nombreux équipements. Ces descriptions correspondent à l’ancien bunker. Je suis étonné, je pensais qu’il n’y avait plus personne là-bas.
Les analyses de sang viennent d’arriver. Moi qui espérais me tromper ce n’est pas le cas. Cet homme est en pleine mutation pour devenir un démon. Je savais que les démons étaient humains, mais leur transformation est beaucoup plus rapide normalement et elle ne s’arrête pas en plein milieu. Je ne sais pas comment ils s’y sont pris, mais leurs expériences vont beaucoup trop loin. Il va falloir que je trouve une solution et que je les arrête d’une manière ou d’une autre.
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