Chapitre 14 : Martin
Martin ne comprenait pas pourquoi ils écoutaient encore ce qu’avait à dire Adrien. Leur expédition sans lui c’était très bien passé, ils n’avaient pas besoin de ses ordres ou de ses recommandations pour agir. Ils pouvaient se débrouiller seuls.
— J’ai fait un tour sur l’Envers et je crois avoir fait pas mal de découvertes.
Il leur raconta tout ce qu’il avait appris de nouveau. Il leur parla de son cousin et de sa conversation avec l’Ancien au sujet des Serpentaires, de leur existence et de leur implication possible.
“Serpentaire”, depuis qu’il avait prononcé ce mot, il résonnait dans l’esprit du jeune Lion sans trop savoir pourquoi.
— C’est fou que nos ancêtres aient décidé de complètement effacer leur existence de notre connaissance, remarqua Mélanie. Ils font partie des Zodiaques, tout comme nous. Jamais on aurait dû les rejeter.
— Même vous, vous pouvez commettre des erreurs. Vous êtes des humains avant tout, vous n’êtes pas parfaits, rappela Maxime.
— Tu en penses quoi toi Martin ? demanda Adrien en se tournant vers lui.
— Je ne sais pas trop, avoua-t-il. J’ai l’impression d’avoir déjà entendu parler des Serpentaires. C’est assez étrange comme sensation. C’est comme si j’essayais de me rappeler quelque chose, mais que c’était bloqué dans mon esprit. Pourtant, j’ai le sentiment que c’est important, qu’il faudrait que je m’en souvienne.
— Peut-être que je peux t’aider, proposa Mélanie. Si tu m’autorises à entrer dans ton esprit, on pourra chercher ensemble d’où ça vient. Je ne te promets rien, mais ça vaut le coup d’essayer si tu penses que ça peut nous être utile.
Martin était assez dubitatif, il n’avait encore jamais fait l’expérience et n’était pas sûr de vouloir la vivre. Il n’avait aucune idée de ce que c'était que d’avoir un Gémeau dans sa tête. Tous le regardaient et il se dit qu’après tout, il pouvait bien essayer.
Ils s’assirent tous les deux sur le canapé. Mélanie prit les mains de Martin dans les siennes. Ils fermèrent les yeux et Martin ouvrit son esprit, du moins il s’imagina le faire, car il n’était pas sûr de bien agir.
— Détends-toi on y est, résonna la voix de Mélanie dans sa tête.
Il se risqua à ouvrir les yeux et fut surpris de ne plus se trouver dans le salon de l’appartement d’Adrien, mais bel et bien devant l’un des bâtiments de la faculté de sciences de Toulouse.
— Moi qui espérais ne jamais remettre les pieds dans l’enfer qu’est l’université, on dirait que c’est loupé, s’amusa la Gémeau.
— Je crois que j’y passe beaucoup trop de temps si même mon esprit a décidé de prendre cette forme. Et maintenant, par quoi on commence ?
— Par ce que tu as envie.
— Vraiment ? On va y aller à l’aveugle ? J’espérais qu’il y aurait une technique pour accélérer les recherches, se mit-il à râler.
— Mais c’est ça la technique. En ce moment, tu es concentré sur une seule chose, celle de comprendre pourquoi les Serpentaires éveillent chez toi quelque chose, donc ton esprit va t’y guider sans que tu t’en rendes compte.
Martin avait un peu de mal à y croire, mais en même temps, il savait que rien n'était impossible avec les Zodiaques. Les Gémeaux étaient les mieux placés pour comprendre comment fonctionnaient les pensées humaines, il devait faire confiance à Mélanie.
Il se concentra sur ce seul mot “Serpentaire” et sans vraiment comprendre pourquoi ni comment, il se mit en route vers l’un des amphithéâtres de l’étage. Assez vieux et usé, Martin avait eu de nombreux cours ici et ne comprenait toujours pas pourquoi il était encore utilisé alors que lors de fortes pluies de l’eau s’infiltrait à l’intérieur. Cette fois-ci, dans sa tête, il était vide d’étudiants, pour autant les tables étaient jonchées de feuilles de différentes couleurs. Chaque couleur correspondait à quelque chose de différent. Elles pouvaient à la fois évoquer les émotions principales du souvenir ou encore une personne bien spéciale.
— C’est qui Sophie ? demanda Mélanie en s’avançant vers l’estrade.
— Une amie, pourquoi ? Tu as déjà commencé à fouiller dans mes souvenirs ?
— Je n’en ai pas eu besoin. Quand je suis dans l’esprit de quelqu’un, même d’un Zodiaque, ses pensées les plus rémanentes me parviennent. Elles sont très calmes et douces par rapport à celles que j’entends dehors, mais elles sont quand même là. Et je peux te dire que tu n’arrêtes pas de penser à cette fille, elle est toujours présente.
Le rouge monta aussitôt aux joues du Lion alors qu’il avait chaud tout d’un coup. Il préféra ignorer la remarque de Mélanie et se retourna pour commencer les recherches.
— Ne t’en fais pas, je n’en parlerai pas aux garçons.
— Je crois que c’est par là, changea-t-il de sujet en essayant de ne plus penser à Sophie.
Il pointait du doigt une rangée de table sur lesquelles étaient étalés dans tous les sens une tonne de feuilles d’une couleur écarlate. Elles étaient magnifiques, cette nuance les rendait uniques. Une fois qu’on les avait remarquées, il devenait difficile de détourner les yeux d’elle.
— Et bien allons-y. Voyons ce que renferment tes souvenirs.
Martin imita Mélanie et s’empara d’une première feuille et comprit aussitôt à quoi ou plutôt à qui étaient ces souvenirs si importants.
Il vit défiler devant lui, un petit garçon qui n’était autre que lui à à peine cinq ans. Derrière lui, un homme d’une trentaine d’années le poursuivait un grand sourire aux lèvres en imitant des rugissements. Martin regarda son père. Il n’avait pas changé avec les années. Ils avaient toujours le même regard, les mêmes cheveux blonds laissés décoiffés, le même sourire quand il riait.
Ce souvenir était bien spécial pour Martin. Quand son jeune lui fut rattrapé par son père, ce fut la première fois que sa lumière se déclencha. Il venait d’utiliser sa magie pour la toute première fois.
Pascal d’abord surpris par la petite étincelle de lumière qui émanait de son fils fut soudainement pris d’un magnifique rire qui résonna jusqu’aux oreilles du Martin actuel.
Il s’extirpa du souvenir et sentit une larme perler le long de sa joue. Il ne prit pas la peine de l’essuyer, il n’avait aucune honte de ce sentiment, de l’amour qu’il portait à son père.
— On devrait peut-être changer de méthode, proposa Mélanie en s’approchant de lui. Je veux que tu fermes les yeux et que tu tendes la main vers le ciel.
Martin l’écouta sans rien dire. S’ils devaient fouiller chacun de ses souvenirs même si cela se limitait à ceux de son père, ils allaient y rester des heures entières. Du plus loin qu’il se souvenait son père avait toujours été là, à ses côtés, il avait été présent à chaque moment de sa vie. Du moins, jusqu’à ce qu’il disparaisse sans laisser aucune trace.
Mélanie posa ses deux mains sur les tempes du Lion qui le fit frissonner. Il trouvait ça fou que même dans son espace mental la Gémeau puisse avoir les mains froides et qu’il puisse le ressentir.
— Je veux que tu penses au Serpentaire et rien qu’à ça. Je vais t’aider à faire le vide de tout le reste, de toutes tes autres pensées.
Martin sentit sa magie télépathique pénétrer son esprit encore plus qu’elle ne l’était déjà et sentit comme un cocon se former autour de ses pensées. Elle était en train de totalement le couper de l’extérieur, de toutes ses pensées futiles. Il se concentra sur le Serpentaire, se répétant le mot encore et encore dans sa tête. Tout d’un coup, il sentit quelque chose se poser sur sa main. Ce n’était pas quelque chose, mais bien une feuille. Une feuille couleur écarlate qui avait virevolté jusque sur sa paume.
— Il ne nous reste plus qu’à regarder.
Ensemble, les deux Zodiaques s’enfoncèrent dans ce nouveau souvenir.
En un rien de temps, ils se retrouvèrent au bord d’une route, sur un parking à l’orée d’une forêt. Ils n’eurent pas à attendre longtemps avant de voir apparaître une voiture arriver à fond dans leur direction.
Pascal Léos arriva en trombe et arrêta sa voiture brusquement à quelques pas d’eux. À peine eut-il mis le frein à main qu’il était déjà hors de sa voiture et sortait un jeune Martin de tout juste dix ans de la banquette arrière. Il le portait dans ses bras. L’enfant était tout pâle et peinait à garder les yeux ouverts. Il s’accrochait tout juste à son père, ses bras pendaient autour de ses épaules alors que sa tête tombait en avant.
Pascal se mit à courir sur le sentier qui s’enfonçait dans la forêt tout en tenant fermement son fils contre lui. La peur défigurait son visage alors que la lumière diminuait à vue d'œil et que le soleil descendait lentement derrière la cime des arbres.
Martin regardait cette scène sans trop comprendre. Il n’avait aucun réel souvenir de cette scène. Il regardait son père et son lui plus jeune sans vraiment assimiler cette vision comme une fenêtre sur son passé.
Il le regarda bifurquer au bout d’un bon kilomètre sur la gauche, laissant le chemin de terre derrière lui. Aucune hésitation n’était visible sur son visage. Il savait pertinemment où il se rendait. Après vingt bonnes minutes de course dans cette direction, il s’arrêta enfin de courir. Il était arrivé. Une porte blindée émergeait légèrement du sol.
Pascal ouvrit l’ouverture et se laissa glisser à l’intérieur prenant soin que son fils ne heurte pas le haut du passage. Une légère lumière brillait au bas des escaliers sur lesquels il était arrivé. Il les descendit quatre à quatre.
— Arthur ! hurla-t-il dès qu’il arriva dans la grande pièce principale. J’ai besoin d’aide.
Un homme d’une cinquantaine d’années arriva par une petite porte sur le côté. Lorsqu’il vit Pascal et surtout son enfant qu’il tenait dans ses bras, il comprit tout de suite ce qui l’emmenait là.
— Ce n’est pas une bonne idée, lui dit-il en faisant de la place sur le seul canapé présent pour qu’il dépose Martin.
— Je sais, mais je n’ai pas d’autre solution. Personne ne comprend ce qui lui arrive. Aucun des médecins que nous avons vu ne sait ce qu’il a. Mon fils est en train de mourir et personne ne sait pourquoi.
Martin et Mélanie se regardèrent. Elle aussi ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Le bunker où ils étaient était presque entièrement vide. À part le canapé sur lequel était allongé Martin enfant et les deux tables posées non loin, il n’y avait absolument rien dans cet immense espace. Trois portes menaient dans les trois autres directions.
Lorsque le prénommé Arthur s’absenta par l’une d’entre elles, Martin et Mélanie ne purent le suivre. Ils se heurtèrent à un mur de ténèbres infranchissable. Le souvenir ne pouvait les emmener là-bas, ils n’en avaient donc pas accès. Ils durent eux aussi attendre son retour tout comme Pascal qui faisait à présent les cent pas tout en gardant un œil sur son fils.
— Pascal, nous n’avons même pas fini nos essais, nous ne sommes même pas sûrs des résultats et encore moins des effets. Nous allons peut-être aggraver le cas de ton fils.
L’homme était revenu avec une petite fiole et une aiguille entre les mains. Main droite qui comme les Zodiaques était tatouée d’un symbole. Un signe ne ressemblant à aucun que Martin connaissait.
— Arthur, tu es le seul Serpentaire que je connaisse, le seul possédant cette énergie. Il n’y a que ça qui peut le sauver. Tu dois me faire confiance, je sais que cette substance sauvera mon fils.
Le Serpentaire dévissa le flacon et introduisit l’aiguille à l’intérieur avant de s’arrêter en regardant Martin dont le visage pâle et les gouttes de sueur sur son front ne laissaient aucun doute quant à son état de santé.
— Je ne peux pas le faire Pascal. Je ne veux pas être à l’origine du décès de ton fils. Si tu veux vraiment l’utiliser, vas-y, je ne t’en empêcherai pas, mais je ne peux pas le faire moi-même.
Pascal s’empara de la fiole, récupéra l’aiguille remplie de la substance et l’approcha de l’épaule de son fils. Sans une once d’hésitation, il lui planta dans le muscle à la manière d’un vaccin et lui injecta dans l’organisme.
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