Chapitre 18 : Martin

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Assis sur les hauteurs de Pech David, Martin regardait la ville s'animer en dessous de lui. Le soleil était déjà levé et venait taper contre les immeubles vitrés du centre-ville. Ses rayons alimentaient le champ de panneaux solaires juste à côté de l’oncopole.

Le cœur serré, il pensa à tous les malades qui allaient et venaient là-bas en bas. Certains ne se remettraient jamais, d'autres auraient peut-être la chance de connaître une rémission. La vie était si aléatoire, si hasardeuse, si meurtrière…

— Tu es vraiment là alors ?

Martin se tourna vers la voix. Sophie se tenait là, avec sa peau légèrement halée et ses frisottis bruns qu’elle retenait tant bien que mal par un bandeau marron. Voilà deux ans qu’ils étaient dans la même promo, deux ans qu’ils se connaissaient et étaient amis.

La jeune fille vint s’asseoir à ses côtés sur les rondins de bois formant la barrière empêchant normalement de tomber dans le précipice. Elle sentait le papier. Elle devait encore avoir passé sa matinée à la bibliothèque universitaire.

— Qu’est-ce qui t’arrives ? demanda-t-elle de sa voix fluette. Tu m’as seulement envoyé un message pour me dire que tu voulais me voir.

— Mon père est mort, annonça Martin sans plus de cérémonie.

Il fixa l’horizon, le bleu du ciel ne ressemblait en rien à celui infini de l’Envers. Ici, il était réel, semblait vrai et surtout respirait la vie. Le temps n’était pas suspendu, il continuait d’avancer, la trame du destin continuait à se nouer inlassablement.

— Je croyais qu’il avait disparu ?

— On l’a retrouvé hier. Il est mort ce matin.

— Martin… Je suis désolée.

Sophie s’approcha de son ami et le prit dans ses bras. Sa camarade n’était pas une Zodiaque pourtant, elle avait ce pouvoir sur lui. Quand elle était là, auprès de lui, il n’avait plus aucune barrière. Toutes ses émotions roulaient sur lui. Les larmes lui montèrent aux yeux, les premières de la journée. Il se laissa aller aux pleurs, lentement bercé par le lent mouvement de son amie.

Ils restèrent sans un mot, sans parler, sans émettre un seul son. Martin libéra tout ce qu’il avait sur le cœur, tout le chagrin qu’il contenait. Lorsque ses yeux humides arrêtèrent de pleurer, il se releva et regarda Sophie.

Ses yeux étaient rouges, elle avait pleuré avec lui. Elle ne connaissait pas Pascal, elle n’avait aucune raison d’être triste, pourtant, elle avait partagé sa douleur.

— Tu veux me raconter ce qu’il s’est passé ?

Martin esquissa un petit sourire de remerciement, pencha sa tête en arrière, ferma les yeux et prit une grande inspiration.

Il lui raconta absolument tout. Il parla du comportement étrange des démons depuis l’interview radio, la trahison de son oncle, le passage à l’hôpital et la découverte du patient D, la fouille de ses souvenirs par Mélanie et jusqu’à leur visite au bunker. Il lui expliqua également sa dispute du matin avec Adrien, puis sa fuite pour venir se réfugier ici et pouvoir réfléchir.

— Parfois, quand on est triste, nos paroles dépassent nos pensées, mais tu as vraiment dit ça à cet Adrien ? Ce sont exactement ces mots que tu as employés ?

— Plus ou moins, oui…

Martin baissa les yeux et commença à triturer le bas de son tee-shirt.

— C’est ton ami, non ?

— Oui, mais…

— Mais ? insista-t-elle en le faisant lever les yeux.

— Mais je ne sais pas… Je ne comprends pas.

— Il n’y a rien à comprendre, Martin. Tu as eu des propos homophobes, c’est un fait et non la décès de ton père ne peut effacer ça. Tu as toutes les raisons d’être triste, et même en colère. Mais là, on parle de ton ami, de quelqu’un qui est venu te chercher au milieu de la nuit alors que tu t’étais enfui de chez toi, car quelqu’un de ta famille s’en est pris à toi. Tu ne peux pas le traiter ainsi, encore moins parce qu’il est gay. On a le droit d’aimer qui on veut Martin, tu es assez intelligent pour le comprendre. Tu vaux mieux que ça.

— Il m’a dit la même chose avant que je ne parte…

Elle souffla du nez en souriant comme fière de la remarque de son ami.

— C’est que nous avons tous les deux raisons. Donc maintenant la question, c’est qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je ne peux pas juste y retourner comme ça…

— Alors trouve autre chose pour commencer.

Martin releva les yeux d’un coup. “Trouver”. À l’origine, tout le monde cherchait une seule et même chose, ils voulaient tous trouver le carnet de son père.

— Et si… pensa-t-il à voix haute.

— Tu as une idée ?

— Je crois que oui ! Et c’est grâce à toi !

Martin se releva d’un coup manquant de peu de faire tomber Sophie dans son élan. Il repassa du bon côté de la barrière, son amie sur les talons. Il réfléchissait et plus il y pensait, plus ça devenait logique dans son esprit.

Il arriva jusqu’à la route et s’arrêta net. Pour venir jusqu’ici, il avait d’abord pris un bus depuis chez Adrien pour l’emmener jusqu’à la fac, puis le téléphérique pour monter jusqu’à l’hôpital, puis il avait marché pour atteindre le sommet de Pech David. Il n’avait pas le temps pour ça. Il se retourna vers Sophie.

— Tu es venue en voiture, n’est-ce pas ?

— Euh oui ? Tu as besoin que je te dépose.

— Il faudrait que tu me ramènes chez moi. Du moins, que tu m’en rapproches. On s’est déjà introduit chez moi deux fois, donc je préfère y aller seul.

— Non, je t’accompagne ! Maintenant, que je suis au courant de l’histoire, je te suivrai. Et puis il n’y a que moi qui ai le permis de nous deux, donc c’est moi qui décide. Maintenant, monte !

Il savait que parfois, il était impossible de débattre avec Sophie. Il s’installa sur le siège passager, boucla sa ceinture et pria pour que son idée soit la bonne.

La maison des Lions apparut rapidement dans leurs champs de vision. Sa camarade était une vraie pilote de course parfois. Elle avait une conduite encore plus dynamique et brusque que celle de Dorian quand il avait pris le volant après qu’ils aient capturé un démon dans la boutique de mobilier de jardin.

— Surtout, tu restes bien avec moi. Et si tu vois ou entend quoi que ce soit, tu me le dis et tu fermes les yeux. J’aimerais éviter de te rendre aveugle, la mit en garde Martin avant de sortir de sa voiture.

Aucun autre véhicule n’était garé dans sa rue et la maison semblait calme de l’extérieur. Il espérait que cette impression n’était pas qu’une illusion. Il ne savait pas si seul, il allait pouvoir faire face à d’autres Zodiaques, encore moins avec Sophie à ses côtés.

Il ouvrit le portillon doucement et leva les yeux au ciel quand pour une fois celui-ci ne fit pas de bruit. Peut-être que le ciel était avec eux ce jour-là. Il colla son oreille, à la porte d’entrée, aucun bruit. La maison semblait bel et bien vide.

Ils pénétrèrent à l’intérieur à pas de loup. Toujours personne, Martin put enfin lentement desserrer son poing.

— Quand mon oncle cherchait le carnet de mon père, il a fouillé son bureau. Avec mes amis, on s’est attelé à sa chambre. Sauf que maintenant, avec le recul, je me dis que c’est peut-être dans ma chambre à moi.

Martin la guida jusqu’au premier et la fit entrer chez lui, dans son espace. Cette pièce n’avait rien de spectaculaire, elle ressemblait à la chambre d’un jeune homme de son âge encore étudiant : une pièce très sommaire niveau décoration seule une plante verte venait égayer le lieu. Des vêtements, livres et casse-tête jonchaient le sol un peu partout. Seul son bureau, où était installé l’ordi, était parfaitement rangé.

— Ça doit être ici ! C’est forcément là ! Aide-moi à chercher !

Martin était monté sur un ressort. Pour lui, il ne faisait plus aucun doute que le carnet de son père était dans sa chambre. Il se mit un peu plus à retourner chacune de ses affaires. Il vida son placard jetant chaque chose qu’il trouvait en direction de son lit.

— Il ressemble à quoi ce carnet ? demanda Sophie qui se tenait devant l’ensemble des cahiers de cours de son camarade.

— On dirait un vieux livre en cuir avec des pages jaunies. Sur la couverture, il y a des symboles un peu spéciaux ainsi qu’un lion qui a été gravé dessus. Mon père l’avait acheté au marché de Noël, il y a des années.

Les deux étudiants fouillèrent la chambre de fond en comble, étalant le bazar jusque dans le couloir. Ils y restèrent près de deux heures à tout mettre sans dessus dessous, mais aucune trace du fameux carnet.

Martin dont la poussière immaculée à présent ses vêtements se laissa tomber sur le bord de son lit. Il avait les bras ballants et les yeux grands ouverts fixés ses mains vides.

— J’étais persuadé que j’allais le trouver ici.

— Qu’est-ce qui t'avait fait dire ça ? demanda Sophie en venant à ses côtés en remplaçant son bandeau sur ses cheveux.

— Je me suis souvenu d’une remarque qu’il m’avait faite une fois. Il m’avait dit que ma chambre était le parfait endroit pour y cacher le plus secret des trésors.

— Finalement, il ne l’a pas enterré ici…

— Peut-être que si finalement ! reprit-il des couleurs en se levant. Maintenant, que tu m’y fais penser. Petit, quand on jouait aux pirates, je cachais les chocolats que je volais toujours au même endroit, là où j’étais persuadé que mon père ne les trouverait pas, car il s’agissait de ma cachette. Il n’avait jamais réussi à mettre la main sur mon trésor. Mais si finalement, il connaissait l’existence de cette cachette ?

Le Lion poussa la chaise de son bureau et se mit à quatre pattes sous le meuble. Il tâtonna le parquet du bout des doigts jusqu’à trouver une petite encoche. Sans aucun effort, la latte se sortit ainsi que les deux autres à ses côtés. Il glissa une main dedans et en ressortit avec le carnet fermé par un petit lacet à cuir lui aussi.

C’était bien lui. Pendant tout ce temps, il était là. Il avait attendu là que Martin se rappelle ses anciennes parties de jeu avec son père.

— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant que tu l’as trouvé ? Le lire ? Le ramener à tes amis ?

Il faudrait, il voulait même le ramener aux autres pour apprendre avec eux ce que renfermait ce livre qui était si précieux, mais pouvait-il rentrer ainsi ? Adrien, pouvait-il accepter de le voir débarquer aussi facilement ?

Martin fut coupé dans ses réflexions par la sonnerie de son téléphone annonçant l’arrivée d’un message. Il le sortit de sa poche et regarda la notification. Le SMS provenait de Mélanie. Il l’ouvrit et sentit aussitôt son cœur se serrer.

“L’incinération de ton père est prévue pour demain, on espère pouvoir te retrouver là-bas”.

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