Chapitre 1 : Vol-au-vent

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12 février 2014

- Rosa !

- Oui, monsieur, j'arrive. Désolée j'ai raté le premier bus.

Elle montait dans l'autocar rejoindre ses camarades de classe. Aujourd'hui, visite d'entreprise. Rosa et une dizaine de troisièmes allaient découvrir le métier de chef cuisinier. Ce n'était pas vraiment elle qui avait choisi, mais entre un fabricant de parpaing et une société de logistique le choix avait été vite fait. Une fois sur place, elle fut un peu déçue. Il paraissait que le chef était étoilé, elle s'attendait à un bâtiment plus classieux, là c'était à la limite du campagnard, l'extérieur ne payait pas de mine et la grande rue passante n'invitait pas à s'arrêter.

- Je vous rappelle que le chef Deschanel est le plus jeune chef étoilé de France. Il nous fait l'honneur de nous recevoir dans son restaurant, j'attends de vous une conduite exemplaire. On écoute, on pose des questions, on ne s'appuie pas n'importe où et on se tient correctement.

- Oui monsieur, répondirent les élèves.

- Bien, attendez-moi là, je vais voir si l'on peut entrer.

Ils regardèrent le professeur entrer, sautillant sur place.

- Qu'est-ce qu'il fait froid !

Il n'y a pas idée de faire ces visites en plein mois de février. Rosa espérait qu'il ne traînerait pas trop. Déjà elle l'apercevait derrière la vitre, saluant un homme vêtu d'une tenue de cuisinier noir, le col portait le drapeau tricolore. Meilleur ouvrier de France, pas mal. Elle ne saisissait pas vraiment les traits du chef, le contraste de lumière entre l'intérieur et l'extérieur l'en empêchait. Elle devinait cependant un carrure assez athlétique, des cheveux courts. Son professeur et lui semblaient se connaître. Le professeur s'écarta et revint vers eux.

- Vous pouvez entrer.

Ils s'agglutinèrent dans l'entrée. Une jeune hôtesse les accueillit.

- Bonjour, je m'appelle Meghan. Mon rôle dans le restaurant est d'accueillir les clients, de les installer et de m'assurer que tout se passe bien dans la salle et entre la salle et la cuisine. Je seconde les serveurs aussi si nécessaire.

Rosa admirait la tenue soignée de la jeune femme. Elle la trouvait parfaite pour ce rôle. Meghan leur indiqua ensuite où déposer leur manteau afin d'être plus à l'aise. Une fois désencombrés, ils furent installés en salle comme leur expliqua la jeune hôtesse. Les tables n'étaient pas encore mises, mais les serveurs n'allaient pas tarder pour tout mettre en place. Les jeunes collégiens pourraient les voir et les questionner par la suite.

Rosa jetait de temps à autre des regard vers la porte de service, elle voulait voir le chef, l'ami de son professeur. On entendait déjà le bruit des casseroles, des personnes échanger, des rires aussi parfois. Comme si le cœur de ce restaurant se trouvait juste là derrière la porte. Un hublot laissait parfois apercevoir une silhouette passer. Elle était irrémédiablement attirée par ce qui se passait derrière la porte, à tel point qu'elle n'écoutait que d'une oreille ce qu'il se passait dans la salle. Ses camarades posèrent quelques questions.

- Rosa ? Tu écoutes ?

Son professeur venait de la rappeler à l'ordre. Elle reporta son attention sur Meghan et écouta la suite de l'intervention. Peu après, le jeune hôtesse les invita à la suivre dans la pièce suivante, elle insista bien sur le fait de ne pas déranger les cuisiniers et surtout de ne pas se mettre sur leur passage, un accident de couteau était vite arrivé. Jean, le plus hypocondriaque et paranoïaque du groupe blêmit. Rosa retint un sourire sadique. Décidément, c'était tellement facile de lui faire perdre les pédales. Jamais elle ne l'aurait provoqué elle-même, mais l'observation de l'ado en train de se déconfire avait quelque chose de jouissif. Jean décida de rester en arrière du groupe et se plaça même juste derrière Rosa une fois dans la cuisine.

Le lieu n'était pas très large, tout en longueur. Au centre de la pièce un long comptoir recevait à la fois des étagères où était stockée la vaisselle et deux zones de feu. Un cuisinier s'échinait à remuer une sauce marron tout en veillant à l'ébullition d'un grand faitout. Derrière lui, une pâtissière remplissait des choux d'une crème verte, à la pistache sûrement. Il y avait devant elle une grande plaque couverte de dizaines de choux attendant d'être garnis. Un four bipa. La jeune femme quitta ses choux pour vérifier la cuisson, n'étant pas satisfaite, elle remit le minuteur en route. Plus loin, au bout de la salle, un commis épluchait des légumes, tandis qu'un autre taillait les légumes. Face au saucier, un cuisinier dépeçait et débitait des pièces de viande. Le service se préparait.

Le chef quant à lui, surveillait, passait d'un poste à l'autre conseillant, aidant, vérifiant l'un, la taille des morceaux, l'autre l'assaisonnement ou le goût. Comme une abeille, il semblait très concentré et conscient de tout ce qui se passait dans la pièce. Rosa était en admiration devant l'omnipotence de l'homme, il dégageait à la fois un charisme incomparable mais aussi une sorte d'aura fascinante. Chacun savait où se trouvait sa place, ne prenant pas ombrage de ce que le chef lui disait, ils répondaient chaque fois : "oui, chef !" avec conviction. Il fit un dernier tour d'horizon avant de se mettre face à aux jeunes :

- Bonjour, je suis le chef Marc Deschanel. Je suis ravi de vous accueillir quelques minutes dans ma cuisine. Vous aurez remarqué que toute la brigade est en plein travail. Il est encore tôt mais nous devons tout préparer pour le service de ce midi.

Le regard sur le visage gracieux, Rosa détaillait le chef. Il avait les traits fins. Le teint légèrement basané, des prunelles noires qui scrutaient les ados devant lui. Il parlait avec précision et conviction. Rosa ne pouvait quitter des yeux le cuisinier. Il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Il souriait sans exagération. Il se détourna d'eux lorsque la pâtissière l'interpella. Rosa étira le cou pour suivre le mouvement. Elle remarqua qu'il était vraiment grand, peut-être un mètre quatre-vingt, difficile à dire comme ça. Il paraissait musclé, le tissu de sa chemise se tendit lorsque ses muscles se bandèrent pour prendre une lourde plaque se trouvant dans le four. Il se déplaça avec aisance, comme s'il portait un poids-plume.

Puis, alors que le professeur invitait les élèves à sortir après avoir remercié le chef, Jean trébucha, se rattrapant sur Rosa qui, elle, partit vers l'avant. Alors qu'elle voyait le sol s'approcher, elle ferma les yeux. Pourtant, le choc ne vint pas, il fut remplacer par un bras qui la retint par les épaules. Elle se risqua à ouvrir un œil puis un autre. Le chef l'avait retenu.

- Voilà à quoi sert le chef : il est là pour faire en sorte que personne ne tombe, il soutient chaque membre de la cuisine, pour que tout se déroule sans heurt.

Durant toute sa phrase, il avait gardé Rosa entre ses bras. La jeune fille se sentait un peu mal à l'aise, pas que la situation soit désagréable, mais c'était un peu étrange. Il la fit pivoter et la regarda droit dans les yeux, il y eut un léger flottement durant lequel aucun des deux ne parlèrent, les yeux plongés dans ceux de l'autre. Puis un rictus déforma les lèvres du chef. Il la libéra et déclara :

- La prochaine fois, j'espère que ce sera en tant que cuisinière que je devrais te rattraper.

Sur ce, il lui fit un clin d'œil. Elle sourit et rétorqua :

- Oui, chef !

Amusé, il hocha la tête et se détourna vers le reste du groupe qu'il invita à quitter la cuisine.

Rosa resta silencieuse durant le trajet du retour. Elle essayait de comprendre et d'interpréter ce qui s'était passé.

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