Chapitre 10 : Pavé de bœuf

7 minutes de lecture

Cela faisait maintenant une semaine que Rosa travaillait auprès du chef Deschanel, ils avaient pris leurs habitudes, chaque après-midi étant un cours intensif sur la cuisine du chef Marc. Le service se terminait et elle n'était pas mécontente. Le lendemain, le restaurant était fermé, elle aurait donc une journée de repos bien méritée selon elle. Le rythme soutenu avait eu raison de sa résistance. Quand elle ne travaillait pas, elle faisait en sorte de dormir, de toute façon elle n'aurait pas pu faire autre chose, elle était épuisée. Comme chaque soir, avant de partir, le chef l'interceptait et lui offrait un verre d'eau avant qu'elle ne rentre ensuite. Elle aimait bien ce petit moment d'échange, où il faisait le point sur la journée. Il arrivait encore qu'ils se perdent dans les yeux l'un de l'autre mais moins qu'avant, enfin elle le croyait.

Ce soir-là ne dérogea pas à la règle. Rosa s'assit sur un des tabourets du bar et but dans le verre que lui tendait le chef.

- Je voudrais que tu m'accompagnes au marché demain. Il faut que je te montre mes fournisseurs et quoi prendre pour la carte.

- Demain ?

Elle voyait déjà sa grasse matinée s'envoler...

- Oui je fais le marché une fois par semaine, c'est aussi à ce moment-là que je prends mes idées pour les plats du jour.

Il ne semblait pas se rendre compte de ce qu'il demandait à son employée. Pour lui, tout était normal.

- Bien chef.
Elle ne mit pas l'entrain habituel dans sa réponse, cela fit tiquer le chef.

- Tu avais prévu autre chose ?

Gênée, elle soupira et lâcha :

- Non, juste dormir. Mais ce n'est pas grave, à quelle heure je dois être ici ?

- J'aime être dès huit heures au marché Saint Pierre. On peut se retrouver là-bas.

- Entendu, on se retrouve là-bas. Je pense que j'irais un peu avant pour profiter de la terrasse du café de Maryse, j'aime bien y prendre mon petit-déjeuner.

Marc trouvait l'idée charmante et priait pour que Rosa l'invite à la rejoindre. Mais elle ne le fit pas. Tant pis, il arriverait lui aussi un peu en avance, le temps de prendre un café en terrasse avec elle.

- On se retrouve au café, ce sera plus facile de se repérer. On reviendra au restaurant ensuite, pour travailler sur les plats du jour de la semaine. Est-ce que cela te convient ? Je ferais en sorte de te libérer assez tôt pour que tu puisses te reposer. Je vois bien que tu es fatiguée.

- Entendu, dit-elle en se passant une main dans les cheveux, on se voit demain matin alors. Bonne nuit chef.

- Bonne nuit Rosa, rentre-bien.

Dès qu'elle fut rentrée elle se doucha et tomba comme une masse dans son lit. Elle ne coupa pas son réveil : elle devait se lever à la même heure que d'habitude.

Le lendemain, elle fut surprise de s'éveiller avant la sonnerie du réveil. Elle se sentait bien, reposée. Il est vrai qu'elle n'avait pas le stress du service et de l'intégration dans l'équipe. Elle ne serait qu'avec le chef. Elle devait bien avouer qu'elle aimait ses moments de travail ensemble. Elle avait appris quelques nouvelles techniques et des astuces qu'elle utilisait tous les jours depuis qu'elle les connaissait. Elle décida de porter un jeans et une petite blouse pour être à l'aise. Le temps était printanier, elle ne prit qu'une petite veste et son sac. Elle habitait tout près. Elle arriva vingt minutes en avance et s'installa pour prendre son premier repas de la journée.

Marc la rejoignit dix minutes plus tard. Ils ne surent pas trop comment se saluer, ils étaient au travail sans vraiment l'être. Le chef prit l'initiative de lui faire la bise. Il s'attarda un peu sur sa joue, sa peau était si douce. Bien vite il se reprit. Cela n'avait pas de sens, ils travaillaient ensemble, ils n'étaient pas là pour flirter. A peine cette pensée lui traversa l'esprit, qu'il regarda différemment la jeune femme. Elle était belle sans en faire des tonnes. Elle avait laissé des cheveux libres sur ses épaules, la blouse claire s'accordait bien avec son teint. Ses lèvres rosées et délicates ... engloutissaient avec appétit une tartine de confiture de fraise. Il lui en resta au coin de la lèvre, il ne savait pas comment le lui dire, gêné qu'elle s'imagine qu'il la dévisageait même si c'était ce qu'il faisait. Il n'eut pas besoin de le lui dire, de sa langue elle ôta les résidus de confiture. Cette vision le troubla. Il se reprit et remercia la serveuse qui venait de lui apporter son café. La voix rauque il reprit :

- Alors tu es prête ?

- Oui, même si tu sais, je connais bien ce marché. J'y faisais déjà des courses pour le restaurant où je travaillais.

- Je vais te laisser faire alors...

Il avait un sourire amusé et les yeux rieurs.

- Serait-ce un défi, chef ?

- Humm moui. Pourquoi pas.

- Quelle serait ma récompense si je gagne ?

Il prit le temps de réfléchir, mais il savait déjà ce qu'il allait lui proposer, cela faisait deux jours que cette idée flottait dans sa tête.

- Si tu gagnes, tu pourras proposer les plats du jour que tu veux, après que je les ai goûtés bien évidemment, pour la semaine qui vient.

Les yeux de la jeune femme brillèrent. Sans plus attendre, elle termina son café, régla l'addition et partit à l'assaut des étalages. Marc fut amusé de son enthousiasme, il s'avéra qu'ils avaient les mêmes producteurs ou marchands, cela le rassura, elle savait reconnaître et valoriser les bons produits. Les marchands habitués aux deux chefs furent ravis de les voir travailler ensemble. Rosa était charmée par ce moment. Elle avait toujours aimé faire le marché, aller à la rencontre des commerçants et des producteurs locaux. Elle avait découvert les goûts qu'elle partageait avec le chef, elle se disait que finalement cela serait simple de prendre sa suite. Déjà elle avait remarqué dans les plats qu'il avait élaborés qu'il utilisait des ingrédients qu'elle aussi aimait travailler. C'en était parfois troublant.

- Je commence à fatiguer, avoua-t-elle à Marc.

- Je pense qu'on a fait le tour, je voudrais juste saluer le boucher et peut-être nous prendre un bon morceau de viande pour ce midi.

Rosa hocha la tête ravie de cette perspective. Dans la file d'attente, elle s'imaginait déjà cuisiner telle ou telle belle pièce de bœuf. Alors que cela allait être leur tour, il se pencha vers elle et lui demanda au creux de l'oreille :

- Que vas-tu me cuisiner ce midi ? Qu'est-ce que l'on prend ?

- Prends de l'onglet, cela me fait envie.

Elle avait dit cela en le regardant dans les yeux. Il avait presque l'impression qu'elle lui parlait de lui et non pas de la viande dans la vitrine. Bon sang, encore une fois il était troublé. Il hocha la tête pour montrer qu'il avait compris et se retourna vers le boucher qui vint les servir en personne.

- Rosa, Marc, quel plaisir de vous voir tous les deux.

- Je travaille pour le chef depuis la semaine dernière.

- Ah heureuse nouvelle ! Je suis sûr que vous ferez du bon travail ensemble.

- Je le crois aussi, répondit Marc en regardant son second. Rosa prendra ma place le temps d'un échange aux Etats Unis. Je voulais la présenter aux commerçants avec qui je travaille, mais je suis surpris de voir que vous la connaissez déjà tous.

- Cela faisait trois quatre ans maintenant qu'elle s'occupait des commandes du restaurant. Elle a l'œil. Tu as fait une bonne affaire en la recrutant.

Cela, Marc le savait, il s'était renseigné et puis il l'avait observée. C'était une très bonne recrue. Il n'avait jamais passé autant de temps avec son second, et il en avait eu quelques uns dans sa carrière. Il justifiait qu'elle était en formation pour passer du temps auprès d'elle, mais il devait être réaliste, vingt jours étaient largement trop, en une semaine elle avait presque tout assimilé. Mais il n'avait pas envie de se priver de ces moments d'échange si stimulants.

Ils prirent le chemin du retour, passant devant l'immeuble où vivait Rosa, celle-ci proposa au chef de monter, elle voulait lui faire goûter des épices qu'elle avait rapportées des Antilles où elle avait eu la chance de faire un stage. Curieux, il l'a suivi. Le logement ne semblait pas bien grand et Rosa qui le trouvait de bonne taille d'ordinaire, le trouva exigu une fois que le chef fut entré. Il était tellement grand que l'espace en paraissait d'autant plus réduit. La voir dans son environnement lui laissait un goût exquis sur la bouche, il se sentait bien dans ce lieu qui lui ressemblait. Petit, chaleureux, convivial aussi avec tous ces poufs et sièges hétéroclites qui entouraient la table du salon.

- Il est midi, tu veux que je te fasse le repas ici ou préfères-tu que nous allions au restaurant ?

La logique aurait voulu qu'ils aillent au restaurant, ils devaient travailler après tout, mais il avait vraiment très envie d'accepter son offre. Il avait envie de prolonger cette matinée complice, car il savait qu'une fois au restaurant, il redeviendrait le chef et non plus son égal.

- On peut rester ici, mais il faudra être au restaurant avant quatorze heures pour réceptionner la marchandise.

- Alors aux fourneaux, chef pas de temps à perdre !

Annotations

Vous aimez lire Hannedjib ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0