Une étrange petite clef dorée
Nous avions trouvé cette branche, dépassant d’un bosquet. Bertier s'inclina pour l'examiner de plus près.
— Bizarre, ces taches brunes ! déclara-t-il. Ce ne semble pas du lichen. Du sang séché peut-être? On va demander à l'équipe scientifique d'analyser ces traces. On ne sait jamais.
Puis, les lieux furent explorés pouce par pouce, et on ne trouva rien d’autre tandis que nous n'avions aucune nouvelle des gendarmes.
Une idée me vint alors en tête. J’avais envie de jeter un bref coup d’œil à l’espace arboré qui descendait vers le fleuve au cas où je trouverais d'autres indices et je le suggérai à Bertier.
— Fais attention, tu n'es pas vraiment équipé pour la randonnée avec tes petites chaussures et ton costume. Si dans une heure, tu n'es pas revenu, j'enverrai les agents te rechercher !
Ainsi, je commençai ce que je croyais être une petite promenade de santé d’une demi-heure au plus. Quelle illusion ! J'ignorais alors combien je me mettais le doigt dans l'œil.
J’arrivai près de l’eau. Il était dix-huit heures. Les gendarmes n'avaient pas exploré cet endroit. Le soleil déclinant commençait à descendre derrière la colline et de petites nappes de brume se déployaient peu à peu sur l'eau. J’entendais le doux frissonnement de la brise légère qui faisait remuer les feuilles éclaboussées d'or par les derniers rayons du couchant. Quelques oiseaux migrateurs survolaient bruyamment ce paradis. J’aurais bien voulu rester encore un peu, mais le temps pressait.
J’arrivai à la jonction de la Seine et d’un petit bras mort. Un ponton s’y trouvait, auquel était amarrée une barque. Scrutant les environs et ne voyant rien de particulier, j’allai en direction du bras mort situé un peu plus au sud, vestige d'un ancien méandre et se transformant en marécage. Il était alimenté de temps à autre par les débordements du fleuve.
Le niveau, élevé quelques jours auparavant, avait brusquement baissé, arrivant à un mètre en dessous du bord, et le fond près de la rive était recouvert d’une vase verdâtre.
Balayant la rivière du regard, je crus soudain voir quelque chose de blanc émerger en plein milieu. L’objet flottant non identifié semblait long, de la taille d’un corps. Poussé par la curiosité, je m'avançai avec précaution jusqu’au bord.
Je commençais à vouloir repartir lorsque le sol, instable et érodé, s'effondra sous mes pieds. Je glissai en contrebas pour me retrouver planté en plein dans la vase. Après avoir émis une bordée de jurons, englué jusqu’aux genoux, je fis demi-tour. Aussitôt, mes mocassins tout neufs furent aspirés dans un affreux bruit de succion, disparaissant à jamais.
Après avoir émis une bordée de jurons, je remontai tant bien que mal sur la rive, mon costume constellé de taches et mon pantalon couvert de boue. Je me retournai vers la rivière.
Il fallait que je sache ce que c’était. Au moins, je ne me serais pas sali pour rien. Je retournai vers la barque. Une fois installé, saisissant les rames couchées au fond, j’aperçus un objet brillant que j'attrapai. C’était une petite clef dorée, comme celle d’un tiroir ou d’un coffret. Que faisait-elle ici ?
Elle rejoignit mon carnet dans la poche intérieure de ma veste. Puis, je me mis à ramer vers ce qui avait attisé ma curiosité.
Je m’en approchai prudemment. C’était ce que je craignais. Un homme flottait entre deux eaux, face vers le bas, une corde attachée à l’une de ses chevilles. Je tentai de le remonter, mais, trop lourd, il risquait de me faire chavirer. Il me fallait le plus vite possible revenir au château avertir Bertier.
Je ramai de toutes mes forces vers le ponton. J'allais presque le gagner lorsque l’inspecteur arriva à point nommé, comme toujours.
— Hé ! cria-t-il, ce n’est pas le moment de faire du canotage !
— Très drôle ! Je viens de trouver un cadavre, dans le bras mort un peu plus loin, avec une corde attachée à la cheville.
— Bon sang !
J’accostai et amarrai l’embarcation. Puis, je sortis ma trouvaille de ma poche et la tendit à Bertier.
— J’ai bien peur que ce soit le corps du châtelain ! Et puis, j’ai trouvé cette clef dans la barque.
— On dirait celle d'un tiroir de bureau ou d'un coffret. C'est étrange.
— Peut-être qu'elle provient de cet homme. Elle n’est sûrement pas arrivé toute seule jusque-là. Et si on avait utilisé ce bateau pour le jeter au milieu de la Seine, lesté d’une pierre et que celui-ci, après s’être libéré, ait dérivé jusqu’au bras mort ?
— C’est fort probable ! J'appelle immédiatement les gendarmes pour les prévenir.
Il alluma le talkie-walkie et demanda de stopper les recherches.
Ayant raccroché, il s'arrêta soudain et me contempla, tout en éclatant de rire.
— Mais comment as-tu fait ton compte pour te salir, et où sont tes chaussures ?
— J’ai glissé dans le marécage, la vase me les a engloutis. Ça peut arriver à tout le monde, non ?
— A tout le monde? Pas sûr ! En rentrant, je t'interdis de monter dans la voiture comme ça, tu vas ruiner les sièges ! Mais en attendant, il faut que je te parle de mes découvertes. Je t'expliquerai cela le long du chemin.
Ne me voyant pas rentrer, il avait décidé de venir me chercher, muni d’une lampe de poche. Lors de son périple, il avait découvert une construction de pierres à demi enterrée, cylindrique, érigée sur une butte. Intrigué, il y avait pénétré et y avait déniché un indice.
Il brandit sa trouvaille, l’éclairant de sa lampe. J’y jetai un coup d’œil. C'était une carte d'identité établie le 30 avril 1959. On pouvait y lire : Malandain, Bernard, Michel, né le 10 mars 1904 à Rouen, Seine Maritime, taille : 1,80 m, signe particulier : « néant ».
— Mais, c’est celle du disparu !
— Eh oui ! Puis, en ressortant de la glacière, j’ai remarqué des traces de piétinement, et deux sillons parallèles dans la terre, menant jusqu’à ce fameux ponton où je t’ai retrouvé. On a dû l'y traîner.
— Si c’est lui, on l’aurait donc assassiné ?
— Peut-être. L’autopsie nous le confirmera
Je restai pensif quelques secondes.
— Mais alors ? Pourquoi l’aurait-on d’abord mis à l'intérieur de cette glacière ? Pour le cacher ?
— L'assassin attendait peut-être la nuit !
Le retour vers le château fut pénible. Nous cheminions dans une quasi-obscurité, aidé de la lampe torche, les ronces s'agripaient à nos chevilles, et je jurais dès que je marchais sur quelque chose de pointu. La nuit était presque tombée à notre arrivée. Traversant la cour déserte, je me glissai subrepticement à l'entrée de service pour quémander des vêtements de rechange à Honorine. Lorsqu’elle me vit apparaître au seuil de sa cuisine, elle éclata de rire et eut du mal à s'arrêter.
Si elle savait ce que j'avais trouvé...
— Ah ! Je vois, vous avez glissé dans le marécage ! Vous n'êtes pas le premier, vous savez, et c'est pour ça que nous n'y allons jamais. Je vais aller vous chercher des vêtements de M. André, vous semblez avoir la même taille.
Je la remerciai et Honorine revint quelques minutes plus tard avec une grande serviette de bain, des vêtements et une paire de chaussures. Par chance, ils correspondaient à ma taille, même les souliers. Etonnant d'ailleurs car la pointure 45, qui est la mienne, n'est pas monnaie courante. Cependant, j'avais remarqué que les fils de la maison étaient quasiment aussi grands que moi.
Un long moment sous l'eau chaude me permit de me réchauffer et décrasser la vase incrustée sur mes pieds qui avait traversé mes chaussettes. Ayant repris figure humaine et me sentant mieux, je redescendis pour la remercier.
Puis, elle emballa mes vêtements sales avec du papier journal.
Je pénétrai ensuite dans le salon. Apparemment, tout le monde était au courant de ma chute, mais personne ne savait encore ce que j'avais découvert, et je me gardai bien d'en parler, sachant que mon supérieur allait s'en charger lui-même le moment venu.
André Malandain s'approcha gentiment de moi et me demanda comment j'allais. Il m'invita à boire un cognac. Je le remerciai chaleureusement pour le prêt des vêtements et lui promis de les lui rapporter le lendemain. Je lui montrai la clef que j'avais trouvée, posée dans un mouchoir propre pour ne pas laisser mes empreintes dessus. Le jeune homme la regarda attentivement.
—Je ne l'ai jamais vue auparavant, déclara-t-il. On dirait la clef d'un tiroir de bureau ou d'un coffret. On va aller dans celui de mon père et voir si cela correspond à quelque chose.
Il m'y conduisit et j'essayai celle-ci dans toutes les serrures de bureau, en vain. Je lui demandai s'il y en avait un autre, ou un secrétaire.
— Pas que je sache ! Par contre, mon père a un petit coffre-fort, mais il est fermé par une combinaison.
Nous regardâmes tous deux autour de nous et ne vîmes pas d'autres tiroirs à ouvrir.
— A propos, puisque je suis là, cela vous ennuierait si je jetais un coup d'oeil dans les tiroirs ? Au cas où nous trouverions des indices importants concernant sa disparition ?
— Non, bien sûr, allez-y.
Il y avait des factures à régler, quelques papiers et correspondances diverses, et une enveloppe à l'en-tête d'un hôpital. Je l'ouvris et la lus rapidement. Je compris alors qu'il s'agissait du résultat d'un examen, qui diagnostiquait une tumeur au pancréas. Je remis le document en place.
Merde ! C'est sérieux ! Il était peut-être condamné.
— Votre père avait-il des problèmes de santé ? demandai-je innocemment.
— Non, à part ses maux d'estomac. D'ailleurs, notre médecin de famille lui avait trouvé une gastrite chronique. Toutefois, depuis quelques temps, ma mère avait remarqué que ses douleurs s'aggravaient et devenaient fréquentes, ce qui affectait son humeur.
Nous redescendîmes dans le salon. L'équipe scientifique et les secours, appelés discrètement par Bertier déboulèrent au château. Les Malandain furent en émoi lorsqu’ils apprirent qu’on avait retrouvé un corps dans le bras mort.
Je dus retourner à ce maudit endroit avec l'inspecteur, et, grâce à des lampes puissantes, des plongeurs le récupérèrent. Arrivé en dernier, j'eus à peine le temps d'apercevoir la victime, identifiée grâce à la carte retrouvée. Elle fut aussitôt emballée dans la housse mortuaire et fut portée par les gendarmes jusqu'à l'ambulance qui la conduirait à la morgue.
De retour au château, l'inspecteur se fit un devoir de confirmer l'identité du corps retrouvé. André, Pierre, ainsi que Marie, sa femme, se regardèrent, pétrifiés. Louise Malandain s’évanouit et Honorine alla rechercher des sels dans la cuisine pour la ranimer. Les maîtres, tout comme les domestiques étaient sous le choc.
Je me sentais désolé pour eux et je ne savais quoi dire. D’ailleurs, que dire dans ce cas-là ?

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