Comme un air de déjà vu

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Le surlendemain, Bertier et moi, fûmes convoqués par le commissaire, prévenu la veille au soir de la découverte du corps.

Renouf nous confirma que le corps qui reposait désormais à la morgue était bien celui de Bernard Malandain, identifié le lendemain par sa famille et que celui-ci avait bien été assassiné, d'une balle dans la poitrine. Tous les proches de la victime étaient considérés en priorité comme suspects potentiels.

— Gilbert a trouvé un nouvel élément concernant l'enquête, déclara Bertier. La victime aurait été atteinte d'un cancer du pancréas et était en sursis. Il a aperçu chez lui le résultat d'une analyse qui en faisait part.

— Ses proches étaient-ils été au courant de sa maladie ? demanda Renouf.

— Je n'en ai pas l'impression, intervins-je. André Malandain m'a dit que son père se portait bien en apparence, mais qu'il avait de fréquentes douleurs à l'estomac.

— S'ils avaient su qu'il était gravement malade, on ne se serait pas donné la peine de le tuer, ils auraient simplement attendu sa mort pour toucher l'héritage, à moins qu'ils n'aient voulu hâter les choses. Et puis il y a aussi la fille cachée. Elle aurait un mobile, elle aussi. Le procureur a donné son accord pour que nous lancions l'enquête préliminaire. Allons d’abord voir Vergne pour savoir ce qu'il a pu en tirer.

Lorsque nous arrivâmes à la morgue, le Dr Vergne, petit homme d'une cinquantaine d'années, aux rares cheveux roux plaqués sur son crâne et aux yeux malicieux derrière ses lunettes d'écaille, déclara, avec son humour habituel : « J'ai longuement dialogué avec mon pensionnaire et il m'a dit des choses très intéressantes ! »

Puis, il s'arrêta de parler, afin de guetter nos réactions.

— Et alors ? Bon ! Arrêtez donc de nous faire languir, Vergne, annoncez la couleur ! s’écria Renouf un peu sèchement.

Comme d'habitude, le légiste avait le don de l'agacer en ne venant pas au fait tout de suite, afin de ménager le suspense. Il lui faisait le coup à chaque fois.

Sans se départir de son calme et le sourire aux lèvres, car sûr à l'avance de son petit effet, Vergne poursuivit son discours.

— Eh bien, il avait reçu un coup sur l'arrière de la tête, avec la fameuse branche que l’on a trouvée, mais ce n'est pas ça qui l'a tué. Il a été abattu d'un coup de fusil, en pleine poitrine, d'une distance d'une cinquantaine de mètres. Et, tenez-vous bien, la balle qu'on a retrouvée date de la deuxième guerre mondiale. Le service balistique a eu du mal à identifier l'arme et a dû faire appel à un expert, qui a fini par trouver : un fusil Lee Enfield.

Cette annonce nous laissa ébahis tous les trois.

— Ce serait donc un fusil de la deuxième guerre mondiale ? s’étonna le commissaire. C'est une arme anglaise, provenant sûrement d'un stock parachuté pendant la guerre.

— Oui, étrange n'est-ce pas ? Et il était bel et bien mort avant d'être jeté à l'eau car on n'a pas trouvé de liquide dans ses poumons. Et puis, il y a cette corde attachée à son pied. Bizarre !

— Et si... commençai-je.

Tous les regards convergèrent alors vers moi.

— Et si le meurtrier avait déposé le corps sur la barque pour le jeter au milieu de la Seine, lesté par une pierre. Nous y avons retrouvé une clef qui pourrait bien appartenir à la victime. Et aussi sa carte d'identité dans la glacière, à proximité de l'embarcation et des traces pouvant laisser croire qu’il y a été traîné.

— C’est intéressant, continuez, m’encouragea le légiste.

— La corde, mal attachée aurait pu se dénouer, faisant dériver le corps vers le bras mort qui était en aval et se prendre dans les branches qui se sont accumulées dans le fond, maintenant le cadavre entre deux eaux.

— En effet, reprit Vergne, C’est possible. En tout cas, c’est du travail d'amateur effectué dans l'urgence !

— Par ailleurs, ce qui m'étonne, repris-je, galvanisé par cet encouragement, le coup sur la tête, puis le coup de fusil dans la poitrine. Cela n'a pas de sens ! Pourquoi aurait-on d'abord assommé la victime pour lui tirer dessus ensuite, et d'assez loin, avec un fusil ? N'y aurait-il pas eu deux agresseurs successifs ?

— Mais oui, pourquoi pas ? remarqua Vergne, ce n'est pas idiot !

— Et puis, continuai-je sur ma lancée, pourquoi l'avoir mis dans la glacière juste avant ?

Puis s'adressant aux autres :

— Ce garçon est remarquable de perspicacité ! Un vrai Sherlock Holmes ! Et quelle imagination débordante ! Au fait, s’adressa-t-il à moi de nouveau, vous vous êtes bien remis de votre bain de pieds ?

Comme toujours, je percevais l'ironie dans ses paroles. Une de ses habituelles taquineries, accompagnée d'un clin d'œil malicieux.

— Concernant le corps dans la glacière reprit-il, ça, cela reste une énigme. C'est à vous de la résoudre. Au fait, J'oubliais un détail très important. Notre homme était condamné à plus ou moins brève échéance. Je lui ai découvert une tumeur au pancréas, apparemment non opérable, ce qui confirme les résultats d'analyse. Deux ans, trois peut-être au plus à vivre !

Mais pourquoi diable n’en avait-il pas parlé à ses proches ? m'étonnai-je.

Puis, il s'adressa à moi.

— Voulez-vous jeter un oeil à votre trouvaille ? Je suppose que vous n'avez pas vraiment eu le temps de l'examiner, étant donné les circonstances.

Vergne nous conduisit dans la salle attenante. Je n'aimais pas aller dans cet endroit glacial. En fait, personne ne s’y rend généralement par plaisir. Heureusement, je n’y allais pas souvent. Chaque fois la nausée m’envahissait, à cause de cette odeur typique de la mort, un mélange de soufre, d'ammoniac et de méthane composant ce parfum macabre.

"Alors, toujours le nez aussi sensible, Gilbert ?" disait le légiste à chaque fois.

Mais cette fois-ci, étant enrhumé, je ne fus pas incommodé.

Le corps reposait sagement sur une table, totalement recouvert d'une couverture. Vergne la souleva. La victime, la chevelure blanche et légèrement dégarnie, était, comme on pouvait s’y attendre, d’une pâleur cadavérique. La cicatrice en Y de l'autopsie, recousue grossièrement, balafrait sa poitrine.

Je m'approchai avec une certaine réticence et je me figeai alors. Malgré ses traits marqués par la souffrance, il y avait un je ne sais quoi de familier dans son visage. J'éprouvai un vague sentiment de « déjà vu » qui me mit mal à l’aise et me fit chanceler.

Renouf me regarda alors d’un air intrigué. Je devais avoir mauvaise mine.

— Gilbert, vous ne semblez pas tourner rond ! Dès notre retour, vous viendrez tout de suite me voir dans mon bureau.

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