L'artiste incompris

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A peine Pierre était-il sorti qu’une tête brune ébouriffée se glissa dans l’entrebâillement. Renouf l’invita à entrer.

André Malandain, vingt-six ans, les yeux noisette légèrement plissés d’ironie, ce jeune homme aux traits fins, était grand et élancé. Il portait des vêtements de qualité un peu froissés. Ses cheveux longs descendaient un peu dans le cou, lui donnant un petit air d’artiste.

Bertier fronça les sourcils. Je connaissais son aversion pour tout ce qui était abondamment chevelu : jeunes, « yé-yés » et beatniks.

Je pris les devants.

— Quelle est votre profession ?

— Artiste peintre, du moins, j'essaye ! Mais vous pouvez m'appeler par mon prénom et on peut se tutoyer, nous sommes presque du même âge

Il tentait de se montrer amical, mais je devais rester dans mon rôle. Celui du policier en costume-cravate, tenu en laisse par cet accessoire qui lui serrait un peu trop le cou.

— Ce n'est pas le moment ! Pour l’instant, vous êtes interrogé dans le cadre d’une enquête criminelle.

— Un suspect ? s’étonna-t-il, non, sérieusement ?

— Dans une affaire de meurtre, tout le monde l’est. Ensuite, au fur et à mesure que les alibis sont confirmés, on fait le tri.

Il me lança un regard inquiet. Evidemment, j’avais un peu trop forcé la dose. Je risquais de le braquer. Je rectifiai le tir.

— Racontez-moi votre journée du 10 septembre ?

— Nous étions tous ensemble car mon père nous avait invités. Nous avions eu un repas en famille, puis nous avons discuté. Le soir, nous avons joué au scrabble jusqu’à vingt-trois heures, sauf mon père. Il déteste ce jeu. Il préfère jouer aux cartes. Alors, il est monté se coucher tôt.

— Et le lendemain ? Qu’avez-vous fait ?

— Je l’ai aperçu tôt ce matin-là, par la fenêtre de ma chambre, en train de se promener dans le jardin. Puis, en fin de matinée, nous avons tous pris l’apéritif dans le salon. Après déjeuner, nous sommes partis chacun de notre côté. Moi, je m'étais installé sur la terrasse pour lire. Ensuite, nous avons revu notre père au diner. C'est la dernière fois que je l'ai vu vivant.

Soudain, je vis ses yeux se mouiller et sa pomme d’Adam monter et descendre. L’émotion le gagnait. Il avait renoncé à prendre son air ironique.

— Votre frère m’a parlé des travaux qu’il comptait faire exécuter.

— Mon père voulait ajouter une cour à la façade arrière. Pour cela, il voulait faire abattre tous les arbres de cette parcelle, au grand dam de Justin, le jardinier. D'ailleurs, celui-ci ne desserrait plus les dents depuis et s'était refermé comme une huitre. Quelle ambiance !

Il poussa un soupir.

— Franchement, c'était un crime de faire couper tous ces beaux arbres centenaires, même si ceux-ci faisaient un peu d’ombre et cachaient le manoir de ce côté ! Je lui ai dit que c’était une erreur,

— Donc, vous étiez en désaccord.

Ses joues s’empourprèrent et il répondit en s’animant davantage.

— Complètement ! Mais mon père n’écoutait personne. Il n’en faisait qu’à sa tête.

— Et votre peinture, votre père l'appréciait-il ? Qu'en pensait-il ?

— Ma peinture ? Mon père voulait que je reprenne son entreprise ! Il m'a toujours traité de bon à rien ! Pourtant, je l'ai surpris plus d'une fois à contempler mes toiles . Il semblait les aimer. Ou alors juste comme décoration ! Mais il n’acceptait pas que j’en fasse mon métier. C'est d'ailleurs pour cela que je suis parti il y a quelques années en claquant la porte.

— La journée du 11 septembre, jour de sa disparition, où étiez-vous ?

— Ce jour-là, j’ai passé toute la matinée à lire. L’après-midi, je suis allé dans le jardin faire des croquis de certains arbres que je trouve très beaux. Je peux vous les montrer si vous voulez.

— Quelqu'un vous a-t-il vu ?

— Oui, ma mère. Elle était venue me rejoindre pour discuter et je les lui ai fait voir. Puis, On a pris le thé vers seize heures. Puis après… plus tard, nous nous sommes inquiétés de ne pas voir mon père revenir. Ma mère a appelé Me Durieux. Il ne l’avait pas vu. Alors, on l’a cherché partout dans le manoir et dans le jardin. Puis, on a appelé la police…

Son visage marqué révélait qu'il était complètement submergé par l'émotion.

— Ah, j'oubliais ! Connaitriez-vous une personne qui s'appellerait Pierrette Lefebvre ?

Il se figea, visiblement troublé.

— Pierrette ? Oui, bien sûr, c'est une amie, mais je ne vois pas le rapport. De toutes façons, je ne l’ai pas revue depuis un moment !

Il soupira, semblant sincèrement peiné.

— Un soir, elle m'a dit qu'elle ne voulait plus jamais me revoir. Sans explication ! Je ne sais pas quelle mouche l’avait piquée. Mais cela m'a fait mal. On s’entendait bien. Aurait-elle un lien avec cette histoire ?

Il semblait sincèrement perdu. Ou alors, il jouait bien son rôle.

— Encore une question : vous rappelez-vous avoir entendu un coup de feu ce jour-là?

— Non, ou alors je n'ai pas fait attention. La saison de la chasse vient de commencer. Vous savez, avec tous ces obsédés du fusil qui canardent tout ce qui bouge, on finit par s'habituer.

André quitta la pièce, la tête basse, visiblement secoué. Je notai rapidement ses réponses. Il avait parlé franchement. Mais son ressentiment envers son père était évident. Il manquait d’argent. L'héritage dont bénéficierait cet artiste fauché semblait un mobile bien plus solide qu’un désaccord sur l’abattage des arbres.

Marie Malandain, l’épouse de Pierre, était la prochaine sur la liste.

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