La fausse ingénue
Marie Malandain se glissa dans l’interstice de la porte entrebâillée. Elle avançait d’une démarche chaloupée. Bertier reprit l’interrogatoire, tandis que je m’installai, carnet en main, prêt à le remplir de mes gribouillis.
Née Lemarchand, le 15 avril 1938 à Rouen, elle se déclara sans profession. De taille moyenne, le visage délicat, les cheveux blond platine relevés en choucroute, elle évoquait un subtil mélange de Brigitte Bardot et de Maryline Monroe. Ses yeux charbonneux, ses ongles vernis, ses talons aiguille et son décolleté plongeant composaient une image soignée, presque trop. Elle ressemblait à une starlette de province en quête de séduction.
Je m’interrogeai sur le couple mal assorti qu’elle formait avec Pierre Malandain, Elle l’avait sûrement subjugué, voire dominé.
Bertier, lui ne semblait pas se laisser impressionner. Il lui demanda son emploi du temps sur ces deux journées.
Elle croisa les jambes, ajusta sa jupe.
—Le 10 septembre, nous avons passé la journée tous ensemble. Enfin, mon mari était parti se promener après la sieste de l’après-midi. Et puis, le soir, après dîner, nous avons joué au scrabble, sans mon beau-père qui était monté se coucher.
— Et le lendemain, le 11 ?
— Le matin, je suis restée dans ma chambre. Puis, l’après-midi, j’y suis retournée. J’avais une grosse migraine qui ne passait pas. Cela a fini par se calmer vers seize heures. Je suis descendue au salon, prendre le thé avec les autres.
— Votre mari était avec vous ?
— Il a fait la sieste après le déjeuner. Je ne sais pas à quelle heure il est descendu, j’étais encore endormie. Quand je me suis réveillée, il n’était plus là.
— Donc, vous étiez seule une bonne partie de la journée.
— Oui, c’est vrai.
Renouf intervint :
— Votre mari nous a confié que vous ne vous entendiez pas très bien après votre beau-père. Vous confirmez ?
Marie fronça imperceptiblement ses sourcils finement épilés, maudissant peut-être celui-ci de s’être montré si bavard. Elle hésita avant de répondre.
— Oh ! Eh bien, mon beau-père avait son petit caractère et nous n'étions pas toujours d'accord sur certains sujets.
— Lesquels, par exemple ?
— C’est personnel, dit-elle en baissant les yeux.
Son ton affecté, ses gestes étudiés… Un peu actrice sur les bords. Elle jouait un rôle. Bertier ne s’en laissa pas conter.
— Dans une enquête pour meurtre, ce qui est personnel devient public, du moins pour nous. Nous avons besoin de savoir.
Elle se redressa, piquée.
— Eh bien, il me reprochait de ne pas vouloir d’enfants, mais c'est notre choix ! Cela ne regarde que nous ! C’est notre vie privée, après tout !
— Cela lui tenait donc tant à cœur ?
— Oui, il voulait absolument avoir des petits enfants, et André, avec sa vie de bohème, n'est pas prêt à se marier et à fonder une famille.
— Vous souvenez-vous d'avoir entendu un coup de feu, à un moment donné ?
— Non, je ne m'en souviens pas.
L'entretien fini et dès qu'elle fut sortie, Bertier se tourna vers le commissaire.
— Elle nous cache quelque chose. C’est bien pratique cette migraine ! Et toujours tirée à quatre épingles. Je l’ai vue arrivée dans une décapotable toute neuve. Cela aurait pu agacer son beau-père. Ça doit coûter pas mal d’argent cette petite fantaisie-là.
— Et si elle bénéficie de l’héritage par le biais de son mari, ça pourrait être un mobile.
Renouf se retourna vers moi, avec un regard complice.
— Les domestiques voient tout, entendent tout, et dans la cuisine, ils parlent plus librement. Allez les rejoindre dans leur royaume. Quelque chose me dit que vous êtes dans les petits papiers de cette brave Honorine. Pendant ce temps, je fais le point avec Bertier.
Refermant mon carnet, je partis aussitôt, le sourire aux lèvres. J’aimais bien Honorine, sa franchise et son bon sens terrien. Je la trouvai seule dans sa cuisine, assise devant une tasse de café.
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