Les confidences d'honorine

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Je pénétrai dans la cuisine. Massive, les mains comme des battoirs et faites pour tordre le cou aux poulets, les volatiles, bien sûr, Honorine semblait pourtant bonne comme le pain. Son regard franc, sa bouille ronde souvent fendue d'un large sourire en témoignait.

A soixante dix ans passés, elle était encore alerte.

— Tiens, Monsieur l'inspecteur ! Vous prendrez bien une tasse de café avec moi ? Cela me tiendra un peu compagnie !

— Mais très volontiers ! Je vous remercie. J’ai d’ailleurs quelques questions à vous poser.

— Je suis sûre que vous allez me tirer les vers du nez ! affirma-t-elle en saisissant sa cafetière. Sérieusement, que voulez-vous savoir ? Ce que j'ai fait pendant ces deux maudites journées ? Je les ai passées dans cette cuisine, comme d'habitude !

Elle remplit une deuxième tasse de café qu’elle posa devant moi et je m’attablai en face d’elle.

— Et vous n'avez, bien entendu, rien remarqué d'anormal ?

— Eh bien si ! Le matin du 10 septembre, Madame est arrivée ici avec une drôle de tête. Elle était pâle comme la mort. Elle a dû apprendre une bien mauvaise nouvelle. Je lui ai servi un petit coup de rhum, puis elle est repartie sans rien me dire. Et puis…

— Et puis ?

— Eh bien, quand je suis venue servir le repas de midi, on aurait entendu une mouche voler et ils faisaient tous une drôle de tête ! Ils avaient tous le nez dans leur assiette. C'est dommage, Monsieur avait invité toute sa famille, et pour une fois qu'ils étaient réunis… Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre eux.

— Cela lui arrivait souvent, d'inviter ses deux fils en même temps ?

— Non, rarement ! Depuis qu'ils ont pris leur envol, ils viennent de temps en temps, mais séparément, et en coup de vent, surtout pour voir leur mère.

— Et pas leur père ?

-—Monsieur était un brave homme, mais il avait un sacré caractère ! Je l'ai connu tout jeune, puisque Justin et moi étions entrés au service de ses parents il y a quarante ans. Il était courageux, entreprenant, mais très autoritaire.

Elle s’arrêta, cherchant ses mots.

— D'ailleurs, après la guerre, il avait traversé une période difficile, surtout lorsqu’il avait récupéré sa femme et ses enfants, réfugiés en Suisse pendant qu’il était entré dans la résistance. Ses relations avec ses deux fils avaient été difficiles. Vous comprenez, après cinq ans d’absence, leur père leur apparaissait comme un étranger.

— Il était résistant lui aussi ?

Elle prit un air triste.

— Oui, il dirigeait une petite branche locale, dont mon fils faisait partie.

— Votre fils ?

— Oui, Julien, mon fils unique. Il a été pris, torturé, puis fusillé par ces ordures de la Gestapo en décembre 1942. Il venait tout juste d'avoir 20 ans ! Les salauds ! cracha-t-elle.

— Je suis sincèrement désolé !

— Oh, ça ne fait rien ! Cela fait plus de vingt ans maintenant, je vis avec, vous savez ! Mais surtout, si vous interrogez mon bonhomme, ne lui en parlez pas ! Il se refermerait comme une huitre. Déjà qu’il ne parle plus beaucoup depuis ce temps-là…

— Votre bonhomme ?

— Oui, mon mari, Justin, le jardinier !

— C'est promis !

— Et que pense votre mari des travaux que votre maître voulait faire faire ?

— Il était furieux et il lui a dit franchement que d’abattre ces beaux arbres était une folie, mais Monsieur ne voulait pas en démordre. Depuis, Justin ne lui parlait plus. Et puis, Monsieur a dit que si nous n’étions pas contents, il nous ferait mettre à l’hospice ! Mon mari était choqué. Depuis le temps que nous servons cette famille !

Elle poussa un profond soupir.

— Tout de même, c’est quand même terrible, ce qui est arrivé ! Malgré tout, il ne méritait pas cela ! J’espère qu’on va le coincer, le salaud qui a fait ça !

Des larmes se mirent à couler sur ses joues. Alors, je la pris un instant dans mes bras pour la consoler. Puis, elle se calma.

J’étais sur le point de prendre congé lorsque le maître d’hôtel entra dans la cuisine. J’envisageai de sauter sur l’occasion pour l’interroger.

J’en avais appris beaucoup, sans faire trop d’efforts car la cuisinière m’avait tout déballé. Le passé de Malandain, son caractère autoritaire et parfois irascible, cette histoire de résistant, la mort de son fils, l’ambiance glaciale dans la salle à manger… Elle semblait en avoir gros sur le cœur et elle avait vidé son sac.

Je quittai donc Honorine à regret, la laissant triste, assise devant sa table, envahie par tous ses souvenirs et j’entraînai le majordome dans la cour.

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