Le majordome et le jardinier

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Nous nous étions suffisamment éloignés pour pouvoir converser loin de toute oreille indiscrète. Delattre était assez guindé. Quinquagénaire, un peu dégarni, droit comme un « i », le visage impénétrable, il s’exprimait avec distinction, avec une pointe de condescendance.

— Au cours de ces deux journées des 10 et 11 septembre, avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ?

Le majordome réfléchit longuement. Il était du genre à peser ses mots et ne pas parler à la légère.

— J’avais senti que l’ambiance n’était pas au beau fixe. Il y avait de la tension dans l’air ce jeudi-là.

— De la tension ?

— Oui. D’abord, dans la matinée, j’avais vu Madame ressortir toute bouleversée du bureau de Monsieur. Je venais de donner des instructions à la femme de chambre et j’étais dans le couloir. Elle ne m’avait pas vu. Elle avait failli me heurter. Je me demande même si elle ne pleurait pas. Puis, elle avait descendu les escaliers quatre à quatre.

— Et Monsieur Malandain ?

— La porte était restée ouverte. Il était assis à son bureau, l’air préoccupé. Je lui ai demandé si tout allait bien, et il m’avait répondu que oui. Alors, je suis reparti. Mais, plus tard dans la matinée, il s’est certainement produit autre chose.

— Quoi donc ?

— Lorsque je suis allée voir Honorine pour lui donner des directives concernant le déjeuner, je suis passé devant le salon. La porte était fermée. Cependant, j’ai entendu des éclats de voix. J'ai reconnu celle de Monsieur.

— Vous n’avez pas écouté ce qu’il disait ?

Il prit un air indigné.

— Je ne suis pas du genre à écouter aux portes ! Ce que je peux dire, c’est que tout le monde prenait l’apéritif à ce moment-là et que Monsieur avait l’air plutôt euh... remonté.

— C’est tout ?

— C’est tout !

— Savez-vous où je pourrais trouver la femme de chambre ?

— Elle est absente. C’est son jour de congé. Elle reviendra ce soir.

Je le remerciai. Revenant vers le manoir, je tombai sur le jardinier qui coupait des roses fanées.

C'était un homme âgé d'environ soixante quinze ans, à l'abondante chevelure blanche. Malgré cela, il semblait encore vigoureux. Son corps était trapu, sculpté par les durs travaux qu'il avait effectués tout au long de sa vie. Son visage buriné et hâlé aux larges pommettes faisait penser à celui d'un marin breton. On aurait pu facilement l'imaginer sur un bateau, revêtu d'un ciré, remontant des filets de pêche par gros temps.

Pendant que je le questionnais, il continuait à couper les fleurs abîmées, qu’il jetait dans une poubelle tout près de lui.

— Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel pendant les journées des 10 et 11 septembre ?

— Non, rien de spécial, a part la disparition de Monsieur, répondit-il, continuant son travail, sans me regarder.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— Dans le parc, pendant que j’étais en train de couper une branche morte qui menaçait de tomber. Il était venu me parler.

Il se mit à soupirer.

— Monsieur était venu s’excuser pour les propos qu’il m’avait tenus.

— Quels propos ?

— Honorine a sûrement dû vous en parler. Lorsque je lui avais dit que je n’étais pas d’accord avec l’abattage des arbres, il m'avait menacé de nous envoyer à l’hospice me femme et moi. Et puis après, il avait dû avoir du remords. Il voulait faire la paix .

— Moi, je crois plutôt que vous l’avez assommé avec la branche coupée parce que vous étiez en colère contre lui. On l’a retrouvée dans un bosquet avec des traces de sang.

Il se retourna, me fixa du regard, l’air profondément indigné.

— Assommer Monsieur ? Pourquoi l’aurai-je fait ? On avait fait la paix tous les deux ! Et puis jamais je ne lui aurais fait de mal !

— Il avait une plaie à la tête.

— Evidemment, j’étais sur mon escabeau en train de scier cette branche. Je lui ai dit de s’écarter, mais c’était trop tard. Le rameau lui est tombé dessus. Je suis descendu tout de suite le voir. Il était un peu groggy, il saignait un peu du cuir chevelu. Je l’ai aidé à s’asseoir et j’ai épongé le sang avec un mouchoir propre, qu’il a maintenu sur sa plaie. Je lui ai dit de ne pas bouger et que j’allais revenir avec des pansements.

— Vous n’en avez parlé à personne ?

— Si, à la femme de chambre que j’avais croisée en rentrant. Nous sommes revenus avec la trousse à pharmacie, mais nous ne l’avons pas trouvé. Nous avons cru qu’il s’était relevé et revenu tout seul au châteaus se faire soigner.

— Et vous n’avez rien dit à votre femme ?

— J’avais un peu honte. J’aurais dû faire plus attention ! Je n’ai pas su retenir la branche quand elle s’est détachée.

Je le remerciai. Je ne croyais à la thèse de l’accident qu’à demi. Il avait bien des raisons d’en vouloir à son patron. Et puis, il y avait l’histoire de Julien, son fils. Lui en voulait-il aussi, vingt-deux ans après, de l’avoir entraîné avec lui vers un destin funeste ? Les arbres abattus et cette menace seraient-ils la goutte d’eau ayant fait déborder le vase d’une rancœur accumulée depuis des années ?

J’envisageai d’interroger la femme de chambre lorsqu’elle reviendrait.

Je rejoignis Bertier et le commissaire. Je leur fis signe de me suivre et les entrainai dehors, à l'écart des oreilles indiscrètes et leur racontai tout.

— Pas mal ! s’exclama Renouf ! Vous avez plus de renseignements à vous tout seul que nous deux. Vous voyez, les domestiques voient tout et entendent tout, et surtout, ils ne font pas de cachotteries, comme certains ! Quant au jardinier, vous avez raison, il faudra interroger la femme de chambre dès son retour et si elle donne une autre version des faits, on convoquera Justin au commissariat.

— Mais, comment as-tu fait, s’étonna Bertier, s’adressant à moi, pour soutirer toutes ces informations à Honorine ? Parfois tu m'épates.

— Eh bien, c'est notre petit secret, entre elle et moi !

— En tout cas, concernant les fils Malandain, ils nous ont caché cette discussion houleuse du salon. Je te collerai bien tout ça en garde à vue pour les faire parler, moi !

— Doucement, Jacques ! Pas de vagues ! s’exclama le commissaire. N’oublions pas que ce sont des amis du préfet. Maintenant, allons convoquer Mme Malandain. On réinterrogera ses deux fils et sa belle-fille plus tard.

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