Louise

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La maîtresse de maison était la prochaine sur la liste.

Louise Malandain fut alors appelée dans le salon. Elle s’assit face à nous, l’air attentif, semblant prête à coopérer. Les réponses quant à ses faits et gestes concernant ces deux journées semblaient en tout point se conformer à celles des autres, sans toutefois fournir d’alibi précis. Elle aussi s’était retrouvée seule à plusieurs reprises.

A cinquante-huit ans, elle apparaissait à première vue dix ans de moins. Elle avait encore beaucoup de charme. Son corps svelte, son visage doux, avec de grands yeux noisette, qui parfois se voilaient d'une certaine tristesse, donnaient une idée de la jolie jeune femme quelle avait dû être. Quelques petites rides au coin des yeux et des cheveux bruns légèrement grisonnants sur les tempes trahissaient son âge. Parée de bijoux discrets, elle portait un tailleur à la fois chic et sobre.

Renouf l’interrogea sur son emploi du temps tandis que je continuais inlassablement à remplir mon carnet noir de mes gribouillis.

— Madame Malandain, observa-t-il. Vos déclarations concordent avec celles des autres membres de la famille. Pourtant, vous vous êtes retrouvée seule à plusieurs reprises. Mais, le 10 septembre, en fin de matinée, on vous a aperçue en train de quitter le bureau de votre mari précipitamment.

Elle pâlit.

— Honorine vous en a parlé… Oui, c’est vrai, j’avais eu un malaise, je suis allée la voir et elle m’avait servi un peu de rhum pour me remettre.

Je repris doucement le relais :

— Ce n’était pas qu’un simple malaise, n’est-ce pas ?

Elle se recroquevilla légèrement sur son siège. Ses yeux se remplirent de larmes. Puis, dans un souffle :

— Bernard m’avait montré ses analyses. Il avait un cancer du pancréas inopérable. Le médecin ne lui donnait peut-être pas plus de deux ans à vivre.

Soudain, elle éclata en sanglots. Je lui tendis un mouchoir et elle s’essuya les yeux.

— Qui est au courant ?

— Personne ! Il m’avait demandé de garder le secret pour l’instant.

— Sinon, au cours de cette dispute dans le salon, pendant l’apéritif, que s’était-il dit ?

— Mon mari avait reproché aux garçons leur façon de vivre. Il s’est montré dur, blessant, et Marie n’avait pas été épargnée, elle non plus.

— Vous l’aimez bien, votre belle-fille ?

Elle hocha la tête d’un air indécis.

— Pas trop, en vérité. Je ne la cerne pas bien. Elle semble superficielle, mais je la crois intelligente et intéressée. Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi Pierre s’est entichée d’elle. Cependant, je me suis toujours montrée polie à son égard. Je ne veux pas me fâcher avec mon fils.

— Vous et votre mari étiez mariés sous quel régime ?

— La séparation de biens ! Autrefois, j’étais sa secrétaire et il m’avait épousée. Il voulait que j’élève ses enfants et m'avait demandé de ne pas retravailler. J’avais accepté. Parce que je l’aimais. Et puis après… j’ai regretté.

— Pourquoi ?

— J’étais cantonnée dans mon rôle de femme au foyer alors qu’avant, j’avais un métier. J’aurais voulu continuer à travailler avec lui. Mais il ne le voulait pas. Bon, je n'étais pas malheureuse, mais... je m'ennuyais. Ses dîners d'affaires au manoir, ses relations... J'avais l'impression de faire partie du décor.

Elle hésita.

— Et puis, finalement. rien n'est à moi ici ! Je ne sais pas ce que je vais devenir. Je vais peut-être devoir quitter Beaumanoir.

— Il n'y a pas eu de donation entre époux ?

— Non, et je ne sais même pas s'il a rédigé un testament. Il ne nous disait jamais rien.

Elle se remit à pleurer. La voir ainsi me serrait le cœur.

— Bon, je crois qu'on va arrêter là pour aujourd'hui, suggéra le commissaire.

Elle se leva, en larmes. Puis elle se retourna vers le Renouf.

— S'il vous plait, retrouvez celui qui a tué mon mari !

Puis elle sortit.

Renouf s'adressa à Bertier :

— Nous allons convoquer de nouveau ses deux fils et aussi la belle-fille au commissariat. Il ne nous ont pas tout dit de cette dispute. On pourrait apprendre encore bien d’autres choses les concernant.

— Vous la croyez coupable ?

— Non. Bien qu’on puisse sentir un peu de rébellion en elle, ce n'est pas une raison suffisante.

— Si elle savait que son mari était condamné, pourquoi l’aurait-elle tué ? remarquai-je. Si elle souhaitait vraiment sa mort, elle n'aurait eu qu'à attendre.

Renouf se tourna vers moi et sourit.

— Gilbert, votre raisonnement tient la route.

On entendit soudain toquer à la porte discrètement. Je me levai pour ouvrir. C’était le majordome, toujours aussi obséquieux, accompagné d’une jeune femme rousse, vêtue d’une robe noire et d’ un tablier blanc.

— Je m'excuse de vous importuner, Messieurs, mais la femme de chambre est revenue. Si vous souhaitez l’interroger…

* Les faits se déroulent en septembre 1964. Heureusement, la loi du 13/07/1965 permit enfin aux femmes mariées, jusque-là considérées comme des mineures, de travailler et d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur époux.

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