Petits règlements de compte en famille

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Les deux frères et la belle-sœur, ayant omis volontairement de parler de la dispute qui avait eu lieu la veille de la disparition, furent convoqués au commissariat pour un nouvel interrogatoire.

Cette fois-ci, le commissaire avait décidé de tenter une expérience : les confronter tous les trois ensemble, afin d’observer leurs réactions les uns vis à vis des autres. Renouf ayant demandé au préalable à Bertier et à moi-même d'assister à l'entretien, nous nous installâmes dans une salle d’interrogatoire, sombre et sinistre à souhait, aussi laide qu'un cachot et chichement éclairée par un soupirail.

— Alors ! attaqua le commissaire, on nous fait des cachotteries ?

— Quelles cachotteries ? s’étonna Pierre, plus ours que jamais, mais sur la défensive et toutes griffes dehors. Que voulez-vous dire ?

— Vous avez volontairement omis, tous autant que vous êtes, de nous parler du déroulement de votre gentille petite réunion familiale ? Notamment au cours de ce fameux apéritif !

Les deux frères se regardèrent, étonnés, tandis que Marie esquissait un sourire dédaigneux.

— Les critiques de votre père quant à votre mode de vie, il y a de quoi gâcher l’ambiance d’un beau week-end en famille, n'est-ce pas ?

— C'est vrai ! s’exclama André. Il nous avait convoqués pour nous parler des travaux qu’il envisageait de faire dans la propriété, puis, cela a dégénéré.

— Dégénéré ? Comment ? Expliquez-vous !

— Comme nous continuions à nous opposer aux travaux de la cour, il s’est énervé, et, de fil en aiguille, il nous a fait des reproches…

— Et quels étaient -ils ?

André afficha un air embarrassé. Pierre répondit à sa place, d’un ton énervé, le désignant du menton.

— Mon père reprochait à mon chère frère de vouloir continuer à mener sa vie de bohême d’artiste fauché !

Celui-ci se redressa, piqué au vif.

— Et alors ? Ça me regarde. Et toi, tu peux parler ! Il a dit, en ce qui te concerne, que ta femme te mène par le bout du nez, que ton entreprise périclite, que tes comptes sont dans le rouge qu’il avait arrêté de remplir un puits sans fond.

— Mais ce sont des informations très importantes que vous nous aviez cachées ! Alors, votre petite entreprise serait donc en difficulté ?

Pierre, mal à l’aise, s’épongea le front avec son mouchoir.

— Je rencontre quelques problèmes passagers de trésorerie, répondit-il d’un ton mal assuré. C’est tout. Je ne pense pas que cela ait un rapport avec le meurtre.

— Cela se pourrait bien !

Un silence glacial s’installa pendant quelques secondes. On aurait pu entendre une mouche voler.

Puis, le commissaire s'adressa à la blonde :

— Et vous, vous n'avez rien d'autre à nous dire ? Lors de cette fameuse discussion, il ne vous a rien reproché à vous aussi ?

— Non, rien d'autre que ses remarques habituelles sur le fait que je ne veux pas d'enfants ! lâcha-t-elle d'un ton sec, la bouche pincée.

— Et aussi peut-être de trop dépenser l'argent de votre mari, alors que ses finances ne sont, apparemment, pas très florissantes.

— Vous me l'avez déjà demandé et je persiste à dire non ! s’écria-t-elle, se redressant brusquement sur son siège, comme si un insecte l’avait soudainement piquée.

— Pourtant, comme vous semblez avoir un train de vie, nous dirons, assez luxueux, l'héritage qu'aurait reçu votre mari serait tombé à pic pour le maintenir, n’est-ce pas ?

— Je ne vois pas de quoi vous parlez !

— Bien sûr, cela l'aurait arrangée, ma chère belle-sœur, s'esclaffa André.

Marie, sursautant, lui lança un regard furieux.

— Je ne t'accuse pas, mais avoue qu'il y a quand même de quoi se poser des questions, continua-t-il d’un air sarcastique. Tu as une belle voiture de sport, une garde-robe digne d'une princesse et j'en passe et des meilleures. Je me demande bien où Pierre trouve tout cet argent pour faire de toi une petite bourgeoise si bien habillée, sachant que son entreprise marche plutôt sur trois pattes ! Et quand je dis « trois pattes », c'est un doux euphémisme !

— Qu'est-tu donc en train d'insinuer ? demanda Pierre en se levant tout à coup.

— Je n'insinue rien du tout, je constate et je m'étonne, c’est tout !

— Retire ce que tu viens de dire ! éructa-t-il en se levant brusquement de sa chaise.

— Je ne retire rien de ce que j'ai dit, je persiste et je signe ! Pendant cet apéritif mémorable, papa avait déjà reproché à ta femme de passer son temps à se pomponner et à acheter des vêtements. Et puis là, la belle et coûteuse décapotable italienne avec laquelle vous êtes arrivés, c’était la cerise sur le gâteau !

Soudain, rouge de colère et sortant de sa réserve habituelle, Pierre se leva.

— Mais, c'est ignoble ce que tu dis ! Jaloux ! espèce d’artiste raté !

— Je suis peut-être un artiste raté, c'est que je vends peu de tableaux, que je tire le diable par la queue, mais le peu d'argent que je perçois est honnêtement gagné !

— Honnêtement gagné ? Heureusement que Maman est derrière pour te renflouer, sinon tu te retrouverais à la rue, cracha-t-il.

— Il vient de mes œuvres et de rien d’autre. Et en aucun cas je ne suis jaloux de toi, ni de ta vie insignifiante et sans intérêt !

Entretemps, André s'était levé. Ils étaient maintenant tous les deux dressés face à face, comme deux coqs montés sur leurs ergots, prêts à en découdre.

— Bon ! Ça suffit ! cria Bertier. Il s'interposa entre eux et les força à se rasseoir.

— Eh bien bravo ! Voilà ce qu'on appelle une famille unie ! ironisa Renouf. En tout cas, vous semblez, tous autant que vous êtes, avoir un mobile en béton armé. En attendant, je vous demande de rester encore dans les environs, à notre disposition.

Tous les trois quittèrent la salle. Mais Marie affichait un petit sourire en coin qui ne présageait rien de bon.

Le commissaire craqua une allumette et alluma sa gitane dont il tira goulûment une bouffée. Il semblait satisfait

— Alors, qu'en pensez-vous ? Réunir ces trois-là pour créer un cocktail explosif n'était pas une si mauvaise idée ! Quelle intéressante confrontation n'est-ce pas ? C’est un bon révélateur du caractère de chacun ! Et puis, l'argent avec lequel Pierre Malandain achèterait toutes ces babioles, si toutefois c’était vrai, ça demanderait à être creusé. On va donc demander à jeter un œil sur ses comptes !

— André semble être le plus sincère, et j'ai l'impression qu'il a percé sa belle-sœur à jour, répondit Bertier. Cette Marie, elle a l'air d'une dure à cuire ! Vous avez vu son petit sourire narquois ? Elle est bien loin de l'image de la blonde idiote quelle veut se donner.

— En effet, j'ai bien vu comme une lueur de défi dans son regard. Je crois qu'il faut la surveiller particulièrement. J'ai l'intuition qu'elle nous cache quelque chose.

Puis, il continua, soupirant.

— Et puis cette affaire est particulièrement ardue. On n’avance pas, on patauge ! Et pas question de les mettre en garde à vue pour l’instant. Il faut les ménager, paraît-il. J’ai reçu des recommandations… du préfet !

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