Révélation

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Le lendemain, je voulus d’en avoir le cœur net. Je n’en pouvais plus. Les rêves récurrents, ma connexion avec la victime aperçue à la morgue m’avaient décidé.

En fin d'après-midi, j'allai dans le pensionnat où on m'avait envoyé jadis, à Rouen. Par ce biais, j'espérai découvrir la véritable identité de la personne qui avait payé mes frais de scolarité à l'époque.

Lorsque j’y pénétrai, je retrouvai son austère façade du XVIIème siècle et sa cour entourée de vieux arbres puis, la porte d'entrée passée, je reconnus l'odeur des couloirs, ce subtil mélange de renfermé et de désinfectant, ainsi que les murs aux soubassements recouverts d'une affreuse peinture grise écaillée par endroits.

Gamin grandi trop vite, perturbé par la mort de ma mère, sèchant l'école et trainant sans but dans les rues du Havre avec d'autres gamins désœuvrés j'étais sur le point de sombrer dans la délinquance. Mes grands-parents avaient décidé de m'éloigner du Havre et envoyé là-bas.

J'avais découvert la lecture ainsi que la joie d'apprendre et je dévorais les livres, une fois mes devoirs finis. Mais je devais aussi affronter la bêtise et la malveillance. J'étais un enfant sans père, celui de personne. Parmi les élèves, des fils de famille arrogants à l'esprit étriqué s'en prenaient à moi en me traitant de bâtard. Cela avait commencé par des insultes, puis des coups. Le nez en sang, j'avais fini plusieurs fois à l'infirmerie, jusqu'à ce que je me rebelle. Alors, bien que je détestasse la violence, j'avais appris à esquiver, puis à rendre coup pour coup et on avait fini par me ficher la paix.

Je frappai à la porte vitrée du bureau du proviseur. Je me souvins de sa bienveillance envers l’adolescent perturbé que j’étais. J’espérais vivement qu'il serait toujours en poste.

Une voix d'homme me répondit d'entrer. Je pénétrai dans la pièce.  C'était bien lui, mais il avait vieilli.

— Ça, par exemple, Gilbert Lenormand ! s'exclama-t-il. Que me vaut l'honneur de votre visite ?

— Vous m'avez donc reconnu ?

Il me regarda en souriant.

— On ne peut pas oublier un élève tel que vous, et physiquement, vous n'avez pas trop changé. Seulement un peu car vous vous êtes légèrement remplumé.

— J'ai une requête à vous faire. J’aimerais si possible savoir qui réglait mes frais de scolarité.

— Comment ? Après tant d’années, vous ne connaissez toujours pas son identité ? s’étonna-t-il.

— Non, malheureusement !

— Devrais-je vous donner ces renseignements ?

Devant mon air désespéré, Il hésita.

— Et puis, après tout, vous êtes majeur, cela vous concerne, je ne vois pas pourquoi je ne le pourrais pas. Par chance, nous n’avons pas encore archivé tous les dossiers. Je dois avoir toujours le vôtre quelque part. Attendez ! Je reviens tout de suite.

Il entra dans une petite pièce du fond, que j'entrevoyais par la porte restée entrouverte. Elle était tapissée d'étagères qui croulaient sous des boîtes en carton plus ou moins défoncées, jouxtant des piles de dossiers branlantes. De grands chiffres, écrits au feutre noir, indiquaient les dates. Elles allaient de 1950 à 1963. Cet empilement hétéroclite me rappela la salle des enquêtes terminées, aux dossiers parfois mal classés, de la PJ.

Je l’entendais farfouiller et grommeler. Au bout de quelques minutes, il revint, avec une chemise en carton sous le bras. Il l’ouvrit et le feuilleta rapidement.

— J'ai bien votre dossier d'inscription signé par, voyons… Ah ! Monsieur... Bernard… Malandain !

Il releva la tête et me regarda par-dessus ses lunettes. Je fis un effort surhumain pour cacher mon émotion, bien que mon cœur battait fort et ma respiration s’accélérait.

— Mais, questionna-t-il sans s'apercevoir de mon trouble, ce M. Malandain… n'aurait-il pas été assassiné ? J’en ai entendu parler, il me semble… Je sais que vous êtes maintenant entré dans la police…

Ne répondant pas, je le remerciai. Je grommelai un "au revoir" inintelligible et je battis en retraite à reculons, me cognant au chambranle de la porte.

Je l’entendis m’appeler, mais j’étais déjà loin, m’enfuyant à toutes jambes au long du couloir, le cœur hors de ma poitrine. Une fois revenu dans ma 2CV, appuyant mon front sur le volant pendant quelques minutes, je finis par calmer peu à peu mon rythme cardiaque. Puis, mes larmes se mirent à couler, et ma gorge se dénoua.

Bertier et le commissaire connaissaient peut-être mon lien avec la victime. Les conciliabules qui cessaient dès que je m’approchais d’eux depuis quelques temps prenaient un sens.

Mais alors, pourrai-je continuer à enquêter ? Je me sentais en porte à faux. Il faudra me résoudre, la mort dans l'âme, à abandonner cette affaire s'il le fallait car nous étions en présence d’un sacré conflit d’intérêts !

---

Le lendemain matin, après une nuit encore agitée entrecoupée de réveils, je me rendis dans le bureau de Renouf. Le cœur battant, j'étais bien déterminé à ne pas me laisser intimider. J'entrai sans frapper et je fermai la porte derrière moi. Assis à son bureau, il sursauta et me regarda alors d'un air surpris.

— Commissaire, lui annonçai-je, j'ai quelque chose à vous apprendre au sujet de notre victime.

— On ne vous a jamais dit qu'il fallait frapper avant d'entrer ? Bon, maintenant que vous êtes là, qu'avez-vous donc de si urgent à me dire ? Et puis, vous faites une tête…

— Mon parrain s'appelait Bernard Malandain.

— Comment l'avez-vous su ?

— Je suis simplement retourné au pensionnat où on m'avait envoyé faire mes études, et j'ai demandé à consulter mon dossier. C'est là que j'ai vu les documents officiels qui prouvaient que c’était Bernard Malandain qui avait payé mes frais d'inscription. Par conséquent, Michel Aurilly, mon parrain et Bernard Malandain ne faisaient qu'un.

— Vous avez oublié d'être bête, fit-il, admiratif, maintenant, vous savez ! Moi qui voulais vous ménager !

— Parce que vous le saviez ? Vous craigniez que l'on me retire de l'enquête à cause de mon lien familial supposé avec la victime, et vous m'avez quand même laissé me débrouiller tout seul pour les recherches ! Vous vous êtes bien servi de moi !

— Attendez ! Calmez-vous un peu ! Oui, c'est vrai, je le reconnais, mais vous étiez tellement efficace ! Maintenant, qu'allez-vous faire ? Abandonner ?

Etonné, je restai muet de surprise. Puis, ce moment de stupeur passé, je repris la parole.

— Pas du tout, au contraire ! Je veux connaître la vérité en ce qui concerne Michel Aurilly, qui n'est pas mon parrain d'ailleurs, car je ne suis pas baptisé.

— Quoi ? Alors vous nous avez rebattu les oreilles avec votre histoire de parrain et vous nous dites maintenant que vous n'êtes pas baptisé ?

— D'après ma mère, le curé, qui était assez borné, avait refusé que je le sois car je suis né de père inconnu. Ma mère étant célibataire, cela la fichait mal ! Mais Michel était un lointain cousin ! Et je l’appelais « parrain » car il agissait comme tel. Par contre, je voudrais bien savoir pourquoi vous aviez sursauté lorsque j’ai prononcé le nom de Michel Aurilly.

Il soupira.

— Figurez-vous qu’à cause de cela, j’ai mené ma petite enquête de mon côté. Ce nom ne m'était pas inconnu. Alors, si vous voulez vraiment le savoir, reprit-il, passez donc chez moi vers dix-neuf heures.

— D'accord, dis-je, j'y serai !

Renouf s’était résolu à reprendre contact avec un résistant qu'il connaissait. Maintenant, je savais bien trop de choses pour qu’il me tienne à l’écart.

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