Dans les caves de l'Abbaye

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En ce matin brumeux de novembre, un petit groupe se tenait dans la cour jouxtant l’Eglise Saint Pierre dans l’Abbaye de Jumièges, attendant impatiemment l’arrivée du gardien du musée. Le conservateur, contacté par Daniel O’Reilly, avait été prévenu de la visite de la Police.

Bertier et moi-même faisions partie de l’expédition. Daniel O’Reilly se tenait à nos côtés, impatient de revoir cet endroit exploré avec son cousin plus de vingt ans auparavant. Nous avions également fait appel à l’expertise d’Henri Levasseur, qui s’était joint de bonne grâce à l'expédition, mais non sans émotion. Le visage pâle, il redoutait avec anxiété le rappel de ces heures sombres.

Le gardien du musée de l’Abbaye nous ouvrit la porte des caves, situées sous les terrasses à proximité de l’Eglise Saint Pierre. Elle n’était fermée que d’une simple grille cadenassée. Je frissonnai lorsque celle-ci grinça. L’aventure commençait.

Nous descendîmes un escalier, notre chemin éclairé par une torche électrique tenue par ce dernier. Bertier et moi avions pris nos propres lampes.

Les murs étaient constitués de grosses pierres taillées. Au fond, une arche voûtée en ogive menait vers un couloir obscur. Continuant notre chemin, nous gagnâmes les grandes caves creusées au XIVème siècle, selon le guide et soutenues par des voûtes gothiques et des piliers, comme dans une crypte.

De grosses pierres éboulées jonchaient le sol, nous rappelant le danger de cette expédition. Le froid intense qui y régnait nous fit frissonner. Notre guide précisa que de la nourriture y était entreposée jadis et nous désigna d'un geste un dôme pierreux, sous lequel on enfournait des aliments, bâti à l’endroit le plus frais.

Un battement d’ailes se fit entendre. Le guide leva sa lampe torche et éclaira des groupes de chauves-souris suspendues tête en bas et agglutinées sous les voûtes. Nous étions tombés sur une nurserie. Ces animaux ne donnaient aucun signe d’hostilité à notre égard, se contentant de pousser de petits cris aigus de mécontentement d’avoir été dérangés.

Continuant notre chemin, nous prîmes un long couloir voûté dont les murs se rejoignaient au sommet par un angle aigu, lui donnant une forme presque triangulaire et nous obligeant à marcher au milieu en file indienne. Ceci nous mena à d’autres caves aux voûtes arrondies, soutenues par d’épais piliers et aux murs de pierres lisses. Le guide précisa qu’elles datait du XVIIème siècle. De nombreux chiroptères étaient là aussi, accrochés au plafond.

Contrairement à ce qu’on pourrait craindre, peu d’odeurs émanaient de leurs déjections. Un tunnel aéré par un soupirail apportait continuellement un air frais.

Le guide nous précisa qu’elles habitaient la grotte depuis plus de cent ans. Henri se souvint qu’ils n'avaient jamais été dérangés par leur présence discrète.

— Mais, le souterrain où nous nous cachions pendant la guerre ? questionna-t-il, où est-il ?

— Un souterrain ? Je n’ai pas connaissance d’autres caves que celles-ci.

— Cela me revient ! Il se situait derrière la glacière. Je me souviens que nous pénétrions par une mince ouverture nous menant dans une cavité creusée à même la roche.

Daniel acquiesça, il se rappelait également cet accès.

Piqué par la curiosité, le guide fit demi-tour et retourna vers les caves du XIVème siècle. Lorsque le dôme de la glacière fut en vue, Henri lui prit la lampe des mains, se faufila sur le côté et s’enfonça dans l’obscurité.

— Venez, s’écria-t-il. C’est par ici !

Nous le suivîmes, nous courbant pour entrer dans l’étroit passage. Une sorte de vaste grotte creusée dans la pierre se dévoila.

Et là, surprise ! Une vingtaine de fusils nous attendaient, soigneusement adossés aux parois, ainsi que quelques caisses ouvertes et remplies de munitions et de grenades que les résistants avaient laissées. Tout cet arsenal patientait ici depuis la guerre. La poussière et les toiles d’araignées recouvraient l'ensemble, à l’exception de quelques fusils, tombés à terre.

— Bon sang ! s’écria Henri. Tout est resté en l'état !

— L’arme du crime proviendrait peut-être de là, elle aussi, observai-je. Certains fusils semblent avoir été nettoyés.

— Mais, il y a de quoi faire sauter toutes les caves et l’Abbaye aussi, s’affola le guide. Des grenades, des bâtons de dynamite… Et cela dormait ici, depuis la guerre !

Henri se précipita vers d'autres caisses entassées contre la paroi.

— Tenez ! continua-t-il, les pains de plastiques, les câbles, les détonateurs, et aussi quelques mèches, que nous utilisions. Tout est là ! Avec cela, nous faisions exploser des ponts !

Henri braqua sa lampe au fond.

— Mon Dieu ! s’écria-t-il soudain. Jean !

Un squelette gisait, recouvert de vêtements en lambeaux. Je m’approchai. A travers sa cage thoracique, on distinguait quelques balles tombées à terre. Celles tirées par les Allemands lors de leur attaque. Sa montre était toujours fixée à son poignet, le bracelet en cuir rongé et prêt à se rompre. Un pan de son blouson montrait un gonflement. Je le soulevai délicatement. A l’intérieur, se trouvait une poche, dans laquelle il y avait un portefeuille en cuir encore intact.

Je le retirai avec précaution et l’ouvris. C’étaient des papiers d’identité jaunis, accompagnés de photos pâlies représentant une femme, deux garçonnets et une fillette âgée d’environ un an, assise sur les genoux de sa mère. La petite Marie.

Henri se tourna vers nous, le visage inondé de larmes.

— C’est Jean Berton ! s'exclama-t-il d'une voix étranglée. Notre camarade ! Le souterrain est devenu sa tombe ! Personne n’y est venu le rechercher. Nous sommes tous coupables de l’y avoir abandonné, Surtout Bernard !

Il se mit à sangloter. Daniel, ému lui aussi, posa sur son épaule une main compatissante.

Je me retournai vers le guide.

— Des individus auraient-ils pu s’introduire ici ?

— La grille a été fracturée à plusieurs reprises. Chaque fois, le cadenas a été remplacé. On pensait qu’il d'agissait simplement de curieux… Mon Dieu, si seulement on avait su ce qu’il y avait là-dedans…

— La dernière fois, c’était quand ? interrogea Bertier.

— Je ne sais plus. L'année dernière, je crois. Il faudrait retrouver la facture du cadenas.

Il ne nous restait plus qu’à revenir au musée prévenir les démineurs et la police scientifique.

De nombreux fantômes hantaient l’Abbaye depuis mille trois cents ans. Parmi eux, celui d’un résistant de la deuxième guerre mondiale, tombé sous les balles ennemies.

Cet endroit était devenu sa sépulture, bien cachée, à l’insu des touristes.

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