Branle-bas le combat !
La lumière du jour nous cueillit lors de notre sortie des catacombes. Bien que le ciel fut gris et bas, cette clarté subite nous fit cligner des yeux. Nous demandâmes à être conduits immédiatement auprès du conservateur du musée de l’Abbaye. Une fois arrivés, Bertier appela aussitôt le commissaire et lui fit part de nos découvertes. Cela corroborait parfaitement le récit d’Henri Levasseur relatant l’attaque du groupe de résistants par les Allemands en septembre 1943.
Renouf fit le nécessaire afin de nous faire envoyer une équipe de démineurs ainsi que la police scientifique.
Dans l’attente de l’arrivée de la cavalerie, j’évoquai avec le directeur les tentatives d’intrusion dans les caves. Celui-ci me conduisit dans le bureau du comptable, absent ce jour-là. Compulsant tous les classeurs, nous finîmes par retrouver les factures. Par trois fois, les cadenas, forcés à coups de marteau, durent être remplacés. La dernière effraction remontait à six mois.
— Nous pensions qu’il n’y avait rien à voler dans ces caves, déclara-t-il. Nous les avions fermées par sécurité. Des pierres tombant régulièrement du plafond, cela devenait dangereux. Et aussi afin d’éviter la dégradation des lieux et le dérangement des chauves-souris. Elles sont protégées et Dieu sait ce qui pourrait passer par la tête de certaines personnes. Nous avons eu de la chance jusqu’à présent. Pas d’incident à déplorer ! Quand je pense que des armes, des munitions et des explosifs s’y trouvaient depuis vingt ans, sans parler de ce cadavre… Et ce site ne peut être clôturé !
Il était dans tous ses états et s’épongeait le front, rien qu’à l’idée du danger auquel l’Abbaye avait échappé.
— Rassurez-vous ! répondis-je. Les démineurs vont tout de suite enlever ces armes et le corps sera évacué également. Et vous pourrez dormir tranquille !
— Oui, mais tout de même ! Je me demande si un jour la Normandie sera débarrassée de ces satanés stigmates de la deuxième guerre mondiale !
Cette guerre, étions-nous sûrs que ce serait la dernière ? Je soupirai. Des bombes non explosées étaient sans cesse retrouvées au Havre, à Rouen… dès lors qu’on creusait des fondations afin de bâtir de nouveaux immeubles. Alors, il fallait évacuer tout un quartier. Les flics débarquaient, dressaient des barrages, détournant la circulation à grands coups de sifflets hargneux. Les habitants étaient invités à aller se faire pendre ailleurs, pour quelques heures…
La terre normande, comme d'autres régions, marquée à jamais, continuerait probablement à recracher ces engins de mort. Des bombes anglaises, des américaines… Cela pouvait durer encore des décennies…
Une pensée fugace me traversant l’esprit, je sortis brusquement de mes pensées.
— Certains fusils étaient débarrassés des toiles d’araignées, remarquai-je. Comme si on y avait touché. Peut-être en a-t-on prélevés quelques-uns.
— Cela ne m’étonnerait pas ! Il y a bien des gens qui utilisent de vieux fusils de guerre pour chasser ! Sans compter tous les obsédés de la gâchette qui traînent dans le coin !
— Il les prendraient pour chasser… ou régler de vieux comptes… Mais, vous en voyez beaucoup, vous, des énergumènes de ce genre ?
— Pas vraiment. Par contre, je connais des chasseurs qui pourraient vous renseigner ! Je pourrais vous aiguiller.
Serait-ce l’embryon d’une piste ? pensai-je. Retirer une balle de fusil d’un animal abattu ne doit pas être chose aisée. Si on tire sur un malheureux lapin avec, on risque d’en faire de la charpie… Ou alors sur du gros gibier, du type sanglier, par exemple… ou un humain.
Le meurtre me revenait comme une obsession. La piste d’un chasseur, détenteur potentiel d’un fusil de guerre, bien qu’extravagante, me paraissait un tout petit peu plausible. Peut-être faudrait-il creuser par là.
Les démineurs arrivèrent enfin, à grand renfort de sirènes et de gyrophares, accompagnés par la Police. On ne pouvait pas faire plus spectaculaire. Intrigués, les habitants d’en face sortirent de chez eux. Des agents en uniforme firent refluer tous ces badauds à grands coups de sifflet, les repoussant dans les rues adjacentes ou dans des endroits éloignés. Circulez, y a rien à voir !
Casqués et recouverts de leurs treillis, les héros du jour furent menés par Bertier dans les caves. Une fois la grotte repérée, ils prièrent leur guide de se retirer. Celui-ci ne demanda pas son reste. Les fusils furent aussitôt extraits de leur cachette et mis en caisse, les munitions évacuées également. Quant aux grenades et aux bâtons de dynamite, inutile de dire qu’ils furent manipulés avec un maximum de précautions.
Mais tout se passa bien. Cette dangereuse cargaison évacuée, ce fut au tour de la police scientifique d’opérer. Les restes supposés de Jean Berton, disposés sur une civière, ainsi que les balles qui l’avaient traversé, furent recouverts d'un drap et évacués. Ils seront confiés aux bons soins du légiste, le Docteur Vergne. J’avais conservé son portefeuille, emballé dans une des pochettes kraft qui trainaient toujours dans mes poches. Il fera partie des pièces à conviction du dossier. Celui de l’affaire Malandain.
Je ne sais pas pourquoi, mais mon petit doigt me disait que des faits datant de plus de vingt ans avaient un lien avec ce crime…

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