Dans le ventre de la PJ
Pendant que nous retournions au commissariat, je fis part à Bertier de la réflexion du conservateur du musée concernant des chasseurs utilisant des armes de guerre.
— C’est une idée comme une autre ! répondit-il. Pourquoi pas ? Mais, ce qui m’intrigue, c’est que les voleurs n’aient pas pris plus d’armes et pioché dans les explosifs. La couche de poussière et les toiles d’araignées prouvent qu’on n’y a pas touché depuis longtemps.
— C’est encore heureux ! Imagine qu’une bande de malfrats ou de terroristes mette à feu et à sang toute la Normandie…
— C’est certain ! D’ailleurs, cela me donne une idée. Tu vas consulter la liste des délits commis avec des fusils de guerre depuis six mois jusqu’à nos jours autour de Rouen. Cela peut nous conduire vers des pistes intéressantes !
— Mais c’est un véritable travail de romain ! J’en ai pour plusieurs jours ! Que dois-je chercher ? Des homicides ? Un paysan qui a abattu sa femme ou qui aurait menacé son voisin avec le Lebel de son grand-père ?
— Dans ce genre-là ! Ça peut nous mener sur une piste. Et puis, fais-toi donc aider !
Il interpella l’inspecteur Martineau qui rôdait dans le couloir, apparemment oisif.
— Tiens, Ernest, viens donc un peu par ici ! Tu ne me sembles pas trop occupé en ce moment !
Celui-ci fit la moue et s’approcha avec une mauvaise grâce apparente.
Ce petit brun quadragénaire, typé, aux cheveux gominés plaqués en arrière, me faisait penser à un danseur de Tango. Je l’aurais bien vu pendant la décennie précédente, faire valser les rombières, dans le genre gigolo ou taxi-boy, dans les dancings du bord de Seine à Rouen. Sa réputation de coureur de jupons invétéré était renforcée par sa propension à reluquer d’un œil concupiscent toutes les personnes de sexe féminin qui franchissaient le seuil du commissariat. Les manches relevées, le chapeau en arrière, la cigarette au bec et son holster vissé sur ses épaules. il se donnait l'air d'un policier à l'ancienne, ou un détective privé des films des années 1950.
— Plutôt que de trainer à droite et à gauche, tu vas venir nous aider !
Il nous regarda d'abord d'un air circonspect, puis nous fit un sourire en coin qui se voulait charmeur.
— Inspecteur Bertier ! Qu’allez-vous imaginer ? Je ne passe pas mon temps à bavasser ! J’étais sur le point de partir en mission de renseignement…
— Au café du coin, certainement ! Pour vérifier les Licences IV, par exemple ? Ou sinon, le renseignement, c'est au sujet d'une brune, d'une blonde, ou d'une rousse ?
— De quoi parlez-vous ? De la bière ?
Martineau, prenant l’air innocent, se mit à rire. Pour une fois que Bertier faisait preuve d’un peu d’humour à froid… Son sourire disparut aussitôt lorsque l’inspecteur, resté imperturbable comme à son habitude, lui expliqua l’enjeu de sa nouvelle mission : se plonger dans les archives de la PJ. C’était moins réjouissant.
Nous nous rendîmes donc tous les deux au Service de la Documentation Criminelle. Nous expliquâmes l’objet de nos recherches à l’archiviste. Celui-ci nous aida et nous avons fini par trouver une dizaine de dossiers concernant des délits commis avec des fusils de guerre, de janvier 1964 jusqu’à hier.
Nous partageant la tâche, nous commençâmes à les consulter. Des drames, des affaires traitées par la PJ de Rouen ou par la gendarmerie. Parmi les faits relatés, des jeux interdits. Des adolescents avaient trouvé cet été un vieux fusil au fond d’une grange, sous des tas de bottes de paille. Pas très original et malheureusement assez courant. Ils s’étaient amusés avec l'arme encore chargée et l’un de leurs camarades avait été mortellement blessé. Un dommage collatéral de plus, provenant de la guerre, vingt ans après. Le propriétaire de la ferme, rendu responsable avait été mis en cause.
Un autre dossier racontait un grand classique : le meurtre perpétué par un mari qui avait surpris sa femme au lit en compagnie de son amant. Il avait eu un coup de sang et les avait abattus avec un vieux Lebel modèle 1886 dont il avait hérité de son père. Aussitôt, il était allé se rendre à la gendarmerie.
Et bien d’autres encore, jusqu’à ce que je trouve…une étrange histoire de chasseur. Elle datait d’il y a quinze jours à peine.
— Viens voir, dis-je à Martineau. Ça vaut le coup !
Il se pencha pour lire par-dessus mon épaule. Un braconnier qui vivait dans la forêt avait été surpris par le garde forestier début octobre en train de tirer sur un sanglier en dehors des jours de chasse autorisée. Interpellé, le marginal, connu sous le nom de Julien Graindorge, avait lâché son arme et s’était enfui dans la forêt. Le fusil, un Lee Enfield, ramassé par le garde, fut confié à la gendarmerie la plus proche.
C’était le seul dossier récent faisant référence à ce fameux fusil. Nous désespérions de retrouver un jour l’arme du crime. Pourquoi ne pas la faire examiner ?
Nous retournâmes au bureau et j’en fis part à Bertier et au Commissaire.
Quelques jours plus tard, les résultats nous furent communiqués. La balle retrouvée dans le corps de Bernard Malandain ne pouvait avoir été tirée par les armes trouvées dans le souterrain de Jumièges. Mais peut-être avec celle du braconnier ? Le fusil, récupéré, était aux mains de la police scientifique.
En attendant, Pierre Malandain faisait encore l’objet de filatures...

Annotations
Versions