Perquisition
Bertier rendit compte au procureur de l'avancement de l'enquête, et, au vu du lien probable entre Pierre Malandain et les faux monnayeurs, Renouf décida de frapper un grand coup : à la fois perquisitionner le fameux hangar près du bac de Jumièges où nous avions repéré notre suspect et son domicile.
Le commissaire s’y rendit avec des inspecteurs de police et des renforts, pensant les prendre en flagrant délit. En vain ! Tout semblait avoir été nettoyé. Seules d’infimes traces colorées subsistaient à terre. La police scientifique les examina. De l’encre ! Tout pouvait laisser penser qu’il s’agissait d’une imprimerie clandestine, mais les machines et le papier avaient disparu.
Parallèlement, dès huit heures du matin, Bertier et moi avions débarqué chez notre suspect, renforts à l'appui.
Après avoir sonné avec insistance à la grille, nous aperçûmes un homme âgé sortir d'une grande chaumière rénovée de façon moderne et s’aventurer prudemment sur les dalles entourant la maison, mouillées par la pluie nocturne.
Puis, ses pas crissant sur l'allée de graviers blancs, il arriva jusqu’à la grille.
— Monsieur Malandain est-il là ? demanda Bertier.
— Il est souffrant, il ne veut voir personne.
— Il faudra bien qu’il nous voie. Police ! répliqua Bertier, montrant sa carte.
Notre interlocuteur, surpris, ouvrit la grille. Nous le suivîmes. L'inspecteur se retourna et fit signe aux renforts de police de rester à l’extérieur, prêts à intervenir.
Nous pénétrâmes dans la pièce principale qui servait aussi d'entrée, aux murs blancs et au sol carrelé, entourée d'une vaste mezzanine qui desservait l'étage supérieur. La modernité de l'intérieur contrastait avec l'ancienneté du bâtiment. Les poutres avaient été recouvertes de peinture blanche. La salle était meublée de canapés et fauteuils de couleur grise, entourant une table basse en aluminium, le tout éclairé par la lumière tamisée d'un lampadaire. Elle était pauvre en mobilier, hormis un buffet moderne et une table et des chaises de métal chromé au fond de la pièce. Des tableaux abstraits ressemblant aux barbouillis colorés d'un enfant y étaient accrochés. Le style était bien loin de ceux que peignaient son frère. D’ailleurs je n'en ai vu aucun de lui. Une cheminée en métal que je trouvai affreuse occupait le centre de la pièce. La salle était fonctionnelle et froide et nos voix y résonnaient. Les fenêtres dépourvues de rideaux laissaient apercevoir les silhouettes des arbres dénudés du parc. Elles se détachaient du ciel rose de l'aurore qui teintait la pièce d'une lueur inquiétante.
Cela changeait radicalement de l’atmosphère du manoir et je crus voir la patte de Marie Malandain dans le choix du mobilier et des tableaux. Ce n’était sûrement pas une sentimentale. Elle ne s’encombrait pas de souvenirs ou de meubles inutiles. Elle devait aimer le clinquant, le moderne, quitte à faire abattre tous les murs et supprimer tout ce qu'il y avait de rustique et de chaleureux dans cette maison.
— Y a-t-il d’autres personnes ici, à part M. Malandain et vous ? demanda Bertier.
— Non. La cuisinière n’est pas encore arrivée. Elle n’habite pas ici, et la bonne est absente. C’est son jour de congé. Et Madame est en voyage.
Il hésita.
— Je vais aller chercher Monsieur.
Pierre Malandain apparut en haut et descendit l'escalier, en peignoir, pas rasé, le visage pâle et défait, comme après une longue nuit de veille, ou une gueule de bois.
— Désolé de vous recevoir ainsi, dit-il d’une voix lasse. Je ne suis pas vraiment en forme.
Il s’affala sur un canapé et nous invita à nous asseoir, désignant les fauteuils.
— Monsieur Malandain, avez-vous une idée de ce que nous sommes venus chercher ici ?
— Non, répondit-il.
— Nous avons tout lieu de croire que vous avez un lien avec une bande de faux monnayeurs et nous devons procéder à la perquisition de votre domicile.
— Des faux monnayeurs ?
Il semblait comme frappé de stupeur. Etait-il sincère ? Bertier ne répondit pas, sortit et fit signe aux policiers d'entrer et de procéder à la fouille.
Tandis qu’ils visitaient les pièces du bas, Bertier et moi montâmes à l’étage. Les salles de bain, les chambres furent visitées, y compris celles des domestiques. Devant le maître des lieux ahuri, les tiroirs des commodes furent renversés sur les lits, le contenu des placards examiné soigneusement. Je pus constater la grande variété de la garde-robe de Marie, dont des vêtements de haute couture.
Nous n'avions rien trouvé de notable et nous redescendîmes dans la pièce principale.
Un agent vint aussitôt nous informer qu'on avait trouvé, dans le tas de bûches destinées à alimenter la cheminée situé dans la dépendance près du garage, des plaques gravées. Celles-ci furent immédiatement mises sous scellés.
— Veuillez nous suivre à la PJ, dit Bertier à Malandain qui s'effondrait, se tassant sur lui-même.
— Permettez-moi au moins de m'habiller.
L'inspecteur acquiesça et me fit signe de le surveiller. Je montai derrière lui et patientai derrière la porte. Il ressortit, revêtu d'un simple pantalon, d'une chemise et d'une veste.
— Ne me menottez pas, je ne vais pas me sauver. Je souhaite partir dignement.
Encadré par deux agents, il franchit le seuil de sa maison sous le regard affligé de son domestique.
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Malandain, interrogé à la PJ, nia totalement connaître l'existence de ces plaques. Mais, à la suite d'interrogatoires un peu musclés de Bertier, il finit par avouer qu'il avait détourné des fonds de sa société pour combler le déficit chronique de son compte personnel, ce que nous soupçonnions depuis le début. La pelote commençait à se défaire, il n’y avait plus qu’à en tirer le fil.
Après quarante-huit heures de garde à vue, il finit par craquer. Les tenues coûteuses et les bijoux, la voiture de sport, les week-end à Deauville où il perdait de l'argent en pagaille au casino, faisaient partie des exigences de son épouse. D’ailleurs, c’était là qu’il avait rencontré un drôle de type qui lui avait proposé un marché : transporter des colis, contre rétribution, à la condition qu’il ne les ouvre pas et qu’il ne demande pas ce qu'ils contenaient.
Il se doutait bien que ce trafic n'était pas net et il avait posé des questions. Alors, cet individu lui avait fait comprendre qu’il valait mieux ne pas chercher à savoir… Acculé financièrement, il avait accepté et scrupuleusement respecté les directives, utilisant ses camions pour emmener ces paquets aux destinations indiquées. Et il en savait trop pour pouvoir revenir en arrière.
Nous comprimes que, depuis quelques temps, Marie avait exercé sur lui un chantage continuel, menaçant de le quitter. Littéralement envoûté et prêt à tout pour répondre au moindre de ses désirs, il avait été pris dans la toile d’araignée qu’elle avait patiemment tissée autour de lui.
Une véritable mante religieuse ! Elle l'avait ruiné, poussé à l'illégalité, puis, sentant le vent venir, elle s'était enfuie, laissant tout derrière elle.
— La salope ! avait crié Pierre. Elle est sûrement partie avec ce fumier de Serge ! C'est certainement son amant. Elle et lui m'ont embobiné.
— Qui est Serge ?
— Le type qui m’a demandé de transporter ces paquets. Je ne connais que lui !
— Et lorsque vous êtes allé au hangar, l’autre jour, Que s'est-il passé?
— Serge m’avait donné une sacoche remplie de billets, pointé un révolver sur moi et il m’avait dit "voilà ta paye et tire-toi!". Vous comprendrez bien que je n’ai pas insisté. Je ne voulais plus rien avoir à faire avec ce type.
— Aviez-vous aperçu quelque chose là-bas ?
— Rien, rien d'autre que du vide.
— Et l’argent, où est-il ?
— A mon bureau, dans le coffre.
On lui montra les photos des malfrats que nous connaissions. Il n’en reconnut aucun, jusqu’à ce qu’il tombe sur l’un d’entre eux.
— C’est lui !
Le beau Serge était en réalité un dénommé Robert Cacheux, braqueur de banques, bien connu des services de police. Très dangereux, prêt à tout. On n'avait jamais pu le pincer. Et il avait disparu depuis quelques temps de la circulation.
Pierre Malandain fut emmené à son entreprise, accompagné de policiers. Il ouvrit son coffre devant eux. Des liasses de billet apparurent. Ceux-ci furent mis sous scellés également. Un examen attentif par des experts confirma par la suite qu'ils étaient faux.
Pierre avait été berné. Il n'était qu'un lampiste, payé en monnaie de singe et des preuves éclatantes contre lui. Autrefois pris dans les pièges de Marie, il était maintenant coincé dans les rouages de la justice.
Un avis de recherche fut émis à l’encontre de Cacheux et de Marie Malandain, sa complice présumée. Pierre fut déferré en prison, en attente d’être entendu par le procureur.

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