Macabre découverte

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Je fis un compte rendu de mes visites au commissaire et à Bertier. Les alibis de Paul Lemarchand pour ce jour fatidique étaient loin d’être confirmés, à l’exception de son rendez-vous avec le notaire. Lemarchand avait le même que la victime, qui n’avait, d’ailleurs, pas rédigé de testament.

Nous n'avancions pas beaucoup.

Cependant, un événement inattendu se produisit. Quarante-huit heures plus tard, le procureur appela le commissaire. Deux chasseurs avaient trouvé un cadavre dans la Forêt de Roumare, dans un campement de fortune situé, bien à l’écart de la route et au cœur de la forêt, dans un secteur situé entre la Ferme des Templiers et le carrefour du chêne Saint Martin. Ils avaient immédiatement alerté le commissariat le plus proche.

Envoyé rejoindre l’équipe déjà sur place et aucune voiture n’étant disponible, je m’y rendis à bord de ma fidèle compagne à quatre roues.

Je connaissais bien ce secteur, et tout particulièrement les alentours de la Ferme des Templiers. Celle-ci se situait à proximité de Saint-Martin de Boscherville, à l'ouest de la forêt. Elle avait été aménagée dans un très beau manoir gothique du XIIIe siècle occupé par les Bénédictins. A la révolution, des particuliers qui avaient hérité du domaine, en avaient maintenu le fermage. Son puits très profond, de trois cents pieds selon la légende, sa chapelle de Saint Gorgon du XVème siècle, l'avaient fait connaître des amateurs de vieilles pierres. J’avais eu l’occasion de la visiter et d’y admirer de remarquables peintures de la Renaissance décrivant des scènes de la Bible. Les bâtiments avaient conservé, à travers les siècles, leur architecture d’origine : les belles pierres blanches du manoir, ses élégantes fenêtres à meneaux, sa tour en forme de poivrière avec sa toiture, ses dépendances, presque intactes, miraculeusement épargnées malgré les guerres.

Je l’avais visitée cet été avec Sophie et je ne pensais pas revenir dans ce secteur dans de telles circonstances. J’aimais passionément les vieilles pierres chargées de l’histoire tumultueuse de la Normandie. Avant de s’appeler ainsi, elle était incluse dans un large territoire nommée la Neustrie, ce royaume franc qui couvrait une partie de la Bretagne, la Normandie actuelle et le nord des pays de Loire. Réduit progressivement au fil des invasions pour ne couvrir au IXème siècle qu’un territoire entre Seine et Loire, il fut envahi à son tour par les Vikings, ces terribles hommes du Nord ayant donné leur nom à cette région… et au mien.

Pourquoi ressentais-je tant d’amour pour le passé, et d’émotion devant les vestiges ? Je me le suis souvent demandé. Etait-ce parce que j’avais vu Le Havre entièrement détruit et toutes les traces de ce qui était beau, effacées, annihilées par la folie des hommes ? L’émouvante vision des fragiles colonnes de ses églises se dressant dans le ciel ainsi que les fenêtres des façades donnant sur le vide étaient imprégnées dans mon cerveau depuis mon enfance. Il me suffisait d’y repenser pour revoir tout cela avec une terrible acuité. Comme si c’était hier.

Le passé m’obsédait et l’avenir m’inquiétait, chargé de menaces nucléaires, dans l’ombre de la guerre froide. Tout le monde partageait un peu cette crainte, mais continuait de vivre comme si de rien n’était. En quête de bonheur et du confort promis de la société de consommation, tout juste sortis des "événements d’Algérie", il nous fallait vivre au présent. Je m’efforçais de ne penser qu’à mon avenir proche et à la tâche qui m’attendait : devenir père.

J’arrivai dans cette belle forêt que je connaissais bien, allant souvent y marcher. Nichée dans un méandre de la Seine à l’ouest de Rouen, ses quatre mille hectares boisés essentiellement de chênes, de hêtres et de pins sylvestres de haute futaie dominaient la ville et ses satellites.

Prenant la route forestière vers l’est, j’atteignis rapidement le carrefour du Chêne Saint Martin. Des voitures de police y stationnaient déjà, ainsi qu’une ambulance. Un agent qui m'attendait me fit signe. Je descendis du véhicule et m'engageai à pied dans un chemin rempli de cailloux. "Pas bon pour mes petites chaussures", pensai-je.

L’air frais pinçait un peu. Des rayons de lumière rasante filtraient avec peine au travers des branches encore couvertes de rares feuilles dorées. En cette matinée de novembre, le soleil, timide, trainant encore sur l'horizon, avait du mal à percer la pâleur de la brume diffuse et réchauffer l’atmosphère. A part quelques corbeaux criards, la plupart des oiseaux avaient disparu, réfugiés dans leurs nids ou dans les haies des jardins. Leurs chants mélodieux n'enchanteraient plus les bois. Seul le tac-tac frénétique des piverts, comme de sporadiques salves de minuscules marteaux piqueurs, rompait, pour un temps, le silence.

Ce calme relatif fut soudain troublé par des voix m’indiquant que je m’approchais du lieu du crime et de son agitation policière.

Lorsque j’y parvins, la Scientifique était déjà à l’œuvre, le mort posé sur une civière devant une tente de fortune. Je m’en approchai. La victime paraissait sans âge, édentée. Ses cheveux n'avaient pas vu de peigne depuis longtemps. Le masque de la douleur sur son visage bleui était resté figé sur son visage, et ses yeux révulsés.

— Etranglé avec une corde, m’annonça Vergne. Regardez les marques sur le cou, et les taches rouges dans ses yeux. Etant donné son aspect et le parfum qu’il dégage, il doit être mort depuis plusieurs jours. Et jetez aussi un coup d’œil sur ses doigts abîmés. Il a essayé de desserrer la corde qui l’étranglait, sans y parvenir. Il a dû bouger ses jambes pendant son agonie car ses talons ont creusé le sol.

Imaginant la scène, je commençais à me sentir un peu mal à l’aise.

— Pauvre gars ! A-t-on retrouvé des papiers sur lui ? Et… Pouvez-vous lui fermer les yeux ?

Vergne, voyant ma tête, le fit et sourit.

— Non. Un mort anonyme !

Voilà qui ne faisait pas notre affaire. Je fouillai les poches de sa vieille parka élimée. Pas de papiers, mais quelques billets de cent francs. Il n’était pas si pauvre que cela.

J’entrai dans sa minuscule tente et examinai l’intérieur. Ce n’était pas très reluisant. Dans un coin, il y avait un vieux sac de couchage sale et usé, sur un lit de branches de pins. Sur une étagère bricolée, des boîtes de conserve, quelques pommes de terre germées, une bouteille de vin rouge, un verre ébréché, un vieux paquet de café moulu périmé depuis belle lurette, refermé avec une ficelle, de vieilles assiettes sales, des casseroles cabossées et un paquet de gauloises bleues à moitié vide. Il semblait vivre dans le même dénuement qu’un trappeur du siècle dernier au fin fond des Rocheuses.

Je ressortis. Les alentours étaient parsemés de carcasses de lapins et autres volatiles, vraisemblablement des reliefs de ses repas de braconnier. Devant l’entrée, un foyer constitué de pierres noircies disposées en cercle avec un tas de cendres au milieu et, par-dessus, posée sur une sorte de trépied, une vieille cafetière émaillée au cul noirci et à l’intérieur culotté où il restait un peu de café. Une tasse était renversée. Peut-être avait-il été attaqué alors qu’il buvait son breuvage. En revanche, pas de trace de la corde. Le meurtrier avait dû l’emporter.

L’un des nombreux policiers qui ratissaient les environs m’interpella soudain.

— Inspecteur Lenormand, venez voir !

A cinquante mètres du campement, le coin d’un objet émergeait sous un tapis de feuilles mouillées. Je m’accroupis pour le sortir de sa cachette et l’examiner. C’était un luxueux étui à cigarettes en cuir noir, de marque Dunhill, probablement tombé d’une poche. Il était couvert de boue. Je le ramassai à l’aide d’un mouchoir propre et je l’ouvris délicatement. Il y avait encore quelques cigarettes à l’intérieur.

En me relevant, j’aperçus un morceau de satin gris accroché à une branche. Cela pouvait être un morceau de doublure d’un manteau. Des branchages cassés laissaient penser que quelqu’un avait peut-être fui par-là précipitamment, sans prendre de précautions et s’était accroché. Le meurtrier peut-être ?

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