Hors des sentiers battus 2/

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Elle occupait tout l'encadrement de la porte. Bras croisés, sa belle Bathilde le scrutait avec attention. Adelin prit le temps de savourer la sensation, avant de s'avancer jusqu'à l'embrasser, sans la prendre dans ses bras, à regrets. Mais elle n'aimait pas cela. Même s'il en rêvait, il prenait sur lui.

  • Salut Bathilde.
  • Qu'est-ce tu veux ?
  • J'avais du temps libre, je sais que toi aussi alors...

Elle s'écarta pour le laisser entrer, il ne se fit pas prier. Ils montèrent jusqu'à la chambre de Bathilde, où il prit place dans son fauteuil attitré. Elle-même se voûta sur son lit, à deux mètres de distance.

Adelin releva que, pour la première fois depuis les deux semaines qu'elle s'était déclarée et qu'ils formaient un couple, elle portait quelque chose qu'il lui avait acheté. Des chaussettes hautes, vert kaki, jaune safran et noires en décalage avec sa tenue grise délavée et ses sabots. Il releva également un bracelet d'argent pur dont il ignorait l'existence jusque-là, mais il savait déjà que cela n'appartenait pas au patrimoine de la famille Fresnes et affiliés. Quoique, peut-être un cadeau Cippus pour service rendu des Fresnes... À vérifier, songea-t-il. Mais ceci lui allait bien. C'était la seule chose d'ailleurs... il se reprit. Bathilde détenait nombre de qualités.

Cette dernière jouait avec une mèche, l'espace d'un instant il voulut la couronner d'une crinière de flammes... et battit des cils pour chasser l'idée. Cela la fit sourire.

  • À quoi tu penses, pour jouer des cils comme une fille ?
  • Au fait que tu portes enfin deux nouvelles choses.
  • Tu remarques tout, toi.
  • Ton bracelet te va bien. Et j'espère que les chaussettes sont à ta taille.

Elle le toisa un moment, et son regard s'adoucit au fil des secondes. Le cœur emballé, Adelin se sentit fondre. Chute et Porte n'avaient pas tort, en affirmant qu'elle faisait se sentir élu divin. Il éprouvait beaucoup de fierté et de bonheur à avoir attiré l'attention de cette femme, juste en étant lui-même. Sans sérénades où le talent lui manquait, sans compter fleurette... juste un coup de foudre. Pourtant, il n'oubliait pas la raison qui l'avait amené en cette chambre sentant le renfermé et la mort, outre le plaisir de voir sa douce.

  • Dis, je sais que tu voulais que nous gardions notre histoire secrète...
  • Comment as-tu pu...
  • Laisse-moi finir. Etait-ce parce que tu craignais que l'ire de tes exs ne m'éloigne de toi ?
  • La quoi ?
  • L'ire... leur colère, leur rancœur.
  • Ah...

Adelin lui sourit et se pencha vers elle.

  • Bathilde, me fais-tu confiance ?
  • Comment tu veux connard, t'as pas été foutu d'respecter l'fait que j'voulais qu'on soit discrets !
  • Bathilde, je suis un noble, aucun secret ne fait jamais long feu. Du moins, aucun de cette nature. Si nous cachons la chose, c'est que nous en avons honte et cela devient une arme contre ma famille. Alors que si cela devient public, je serais juste encore un Digitfractor qui épouse une personne du peuple. Notre histoire est sérieuse, donc tu seras anoblie au moment de nous marier. Avant cela, tu dois impérativement savoir comment survivre à ce milieu. Car la noblesse ne pardonne rien.
  • Tu m'menaces ?
  • Je te préviens Bathilde. Parce que je t'aime et que je tiens à toi. Si tu ne te sens pas...

Sa gorge se serra. Mais il lui devait la transparence.

  • En mesure d'évoluer parmi les nobles, alors il vaut mieux...

Par la Lumière, que c'était dur.

  • Que nous arrêtions maintenant.
  • Tu veux m'quitter ? s'étrangla Bathilde.
  • Rhamée m'en soit témoin, pour rien au monde ! Mais nous faisons désormais partie des familles nobles dont on entend parler dans toute la province, à cause de notre ascension et du déclin des Cippus. Cela attise les jalousies, attire les assassins et les manipulateurs désireux de nous anéantir. Si tu veux rester avec moi, c'est inévitable, tu devras apprendre bon nombre de choses sur l'étiquette, la religion...

Bathilde balaya tout d'un revers de la main.

  • Adelin, on s'aime, pas vrai ?
  • Oui.
  • Et ça suffit. Aux yeux d'Rhamée, et y'a qu'ça qui compte avec ton avis, y'a qu'ça qui compte. Le reste du monde, tous des cons et des trous d'uc.
  • Bathilde, c'est parce que le reste du monde sont des trous d'uc, des cons, des bâtards, des salopards, des fils de gnolls, des ce que tu veux, que nous devons faire attention à tout. À l'image que nous renvoyons, nos manières, nos failles et nos forces.
  • Espère même pô m'faire changer quoi qu'ce soit mon p'tit père ! Soit tu m'aimes comme j'suis, soit va t'faire foutre sale bourge.

Adelin accusa le coup. Elle l'avait mal pris. Pourtant, sa sécurité et celle des Digitfractor entraient en jeu, elle devait en prendre conscience et prendre des mesures.

  • Je t'aime comme tu es Bathilde, là n'est pas la question...
  • 'lors fait pas chier avec tes niaiseries d'nobliau, là !
  • Il n'y a pas que nous deux dans la balance.
  • Un peu qu'si, toi et moi on s'aime, point.

Un long moment, il tenta de se faire entendre, pour finalement comprendre que pour cette journée, c'était peine perdue. Quand il lâcha l'affaire et changea de sujet, elle se leva, l'envoûta d'un regard et ils s'embrassèrent. L'après-midi passa à une vitesse folle, c'est sur un petit nuage qu'il se dirigea vers son domaine.

Peu désireux de rencontrer du monde, il dirigea ses pas vers la forêt, où il rencontra Brise-Mains occupé à préparer du bois pour l'hiver. Le précédent avait été rude, les réserves demandaient à être refaites.

  • S-s-sa-sa-sa... lut...
  • Bonjour Thomas.
  • T... tu... tu-tu-tu... es le... le.. n-n-nouveau cop... ain d-d-de Ba... thilde.
  • En effet.

Brise-Mains coupa d'un geste sa bûche en deux, planta la hache dans la souche qui ne supporterait plus tant de violence bien longtemps et détailla le prétendant en silence. Au terme de son analyse, il haussa les épaules.

  • Je te paraîs acceptable dans ta famille ?

Thomas lui répondit par une moue sceptique, avant d'acquiescer.

  • Et... p-p-p-pouuuur... la tienne ?
  • Je serais loin d'être le premier à conduire la personne que j'aime à l'annoblissement.

Thomas le soumit en silence à une nouvelle analyse. De nouveau, il acquiesça. Adelin s'assura alors qu'ils étaient bien seuls, avant de se pencher vers lui et de demander d'un ton incertain :

  • Dis... elle a eu... enfin, elle a connu...

Avec ses doigts, Brise-mains signa dix-neuf. Adelin se décomposa. Ceci, auprès des siens passerait difficilement et risquait fort de le discréditer hors du domaine. Il maudit son appartenance à la noblesse. Tout aurait été bien plus simple s'il avait fait partie du peuple, ou de la basse noblesse d'où venaient les siens. Leur ascension... cela devenait de plus en plus évident que tôt ou tard, il causerait leur chute. Sa mise à l'écart de la vie mondaine les protégeait plutôt bien pour le moment, et ils n'organisaient rien sur leurs terres, mais... Son amour pour Bathilde ne risquait pas d'améliorer les choses. S'ils voulaient rester ensemble, elle allait devoir changer, pas pour lui, mais pour respecter des siècles de travail familial. À moins qu'il ne renonce à son nom ? La prochaine fois qu'il la verrait, il lui en parlerait.

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