Hors des sentiers battus 5/

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L'Allumé s'éclipsa, consulta sa montre et soupira. Il n'aurait jamais le temps de réaliser la moindre pièce de verre, pas s'il voulait produire quelque chose de qualité. Alors il jeta son dévolu par un sentier louvoyant entre les vignes Cippus, futures propriétés des siens, et la forêt environnante.

Sur sa promenade, il croisa un milicien accompagné d'un chien de garde. L'homme d'armes lui lâcha la bête, qui d'une manière ou d'une autre le reconnut, puisqu'elle ne lui sauta pas à la gorge et se contenta de gronder en lui montrant les crocs. Son maître accourut, et peina à reconnaître en crachant...

  • 'tain c'est vous, sieur Adelin !
  • Si fait. Auriez-vous l'obligeance de rappeler votre chien ?

En bougonnant, son interlocuteur obéit et rattacha la laisse de son compagnon canin. Adelin se sentit à peine moins menacé, il appréciait peu les animaux, et ces derniers le lui rendaient bien. Il prit sur lui de ne pas loucher sur les plus de trente kilos de muscles, de poils et de crocs qui le fixaient avec insistance.

  • Il y a tant de rôdeurs que cela, pour que vous fassiez une ronde ici à cette heure ?
  • Y'a du passage suspect, ouais. Au moins deux personnes qui reviennent régulièrement par là, et changent de planque quand on en découvre une.
  • Mmmh... quel genre de passage suspect ?
  • On sait pas vraiment. À priori, ça concerne pas les Cippus, vu qu'y a pas d'intrusion chez eux, juste ça se passe aux frontières de leurs terres....
  • Vous voulez que je transmette des informations à sieur Albin ?
  • Pas d'refus, m'sieur, si vous me dites ce que vous faites là.
  • Oh, je me promenais juste... s'implanter et se faire connaître comme notaire dans ma situation est assez peu aisé et demande une planification à laquelle je ne m'attendais pas.

Le milicien le scruta longuement, avant de hausser les épaules.

  • On a eu une réunion c'matin. Possible qu'y s'agisse de trafic, p'têt de drogue qui s'fume pas, vu qu'personne n'a relevé d'odeur suspecte. Ou du trafic d'objets magiques, et là ce s'rait grave. On manque de mages ici... ça nous contraindrait à app'ler les paladins.

Adelin grimaça de concert avec l'homme. Cette élite avait tendance à se montrer un peu trop zélée. On ne demandait jamais leur assistance impunément.

  • 'Fin voilà. Vôt' frère connaît les procédures, on l'attend à l'heure et au lieu habituels, juste s'il pouvait réfléchir à tout ça... Et vous si vous pouviez éviter l'coin.
  • J'en prends note.

Ils se saluèrent, et chacun passa son chemin. La fin de l'après-midi approchait, les températures douces et l'isolement convainquirent le jeune noble de tomber la chemise. En général, il n'aimait pas l'été, dont les températures le contraignaient à montrer sa pâleur et ses calcinations, ainsi que ses os sous la peau. Sans compter quelques cicatrices dues à ses expérimentations avec Souffreux, dont certes le souvenir lui était doux, mais le visuel en dégoûtaient plus d'un.

Dès qu'il approcha de la fin du long sentier qui lui avait fait contourner la moitié du village, il remit sa veste trop chaude pour la saison. De là, ne lui restait plus qu'à rentrer, peut-être préparer son dernier rendez-vous de la semaine, informer Albin, rejoindre les Fêlés... et à moins d'un miracle, outre son rendez-vous, sa semaine de travail s'achèverait. Lui laissant alors bien trop de temps libre. Du temps pour penser au feu sans espoir de distraction. Cette perspective le voûta, il venait à peine de constater qu'aucune pulsion ne l'avait pris durant sa balade, qu'il s'imaginait déjà caresser les vignes puis les admirer s'embraser.

Malgré les efforts des vignerons, les pieds étaient secs. Les vendanges risquaient d'être maigres cette année encore, la sécheresse empirait d'année en année. Certaines personnes allaient jusqu'à enterrer de la neige en hiver dans des cruches d'argile pour espérer conserver des réserves d'eau l'été.

Rejoignant son foyer, il se changea, puis prit son temps pour préparer sa fin de semaine éhontément courte, poussa le vice jusqu'à éplucher des textes de lois vieux de plusieurs décennies pour tenter d'avantager plus encore sa cliente.

À l'heure du dîner, il quémanda comme de coutume des tâches supplémentaires, avant d'intercépter Albin. Ce dernier enfilait sa tenue de milicien en avançant d'un pas soutenu, difficilement poursuivi par un serviteur encombré de ses différentes pièces d'équipement. Adelin prit le relais et fut salué d'un grognement nerveux.

  • Mal dormi ?

Acquiescement.

  • J'ai croisé la route de Justin cette après-midi, un peu avant dix-sept heures, sur le sentier de la bordure... deux rôdeurs se donnent des rendez-vous dans les environs, sans empiéter sur le domaine Cippus.
  • Les théories du capitaine Dita ?
  • Elle hésite entre du trafic de drogue et du trafic d'objets magiques.
  • Je rejoins ses craintes. Nous faudrait plus de maîtres-chiens. Tu saurais détecter de la magie ?
  • Euh... je ne saurais dire.
  • Entraîne-toi. Un nombre possible d'incriminés ?
  • Au moins deux, et guère plus. D'après Justin, les paladins sont un recours possible.

Grognement réflectif. Albin était fin prêt, son frère trottinant pour rester à sa hauteur.

  • Tends l'oreille, ce soir, petit frère. Je me demande si le fournisseur de ton ami ne chercherait pas à étendre sa clientèle. Ou à se trouver un intermédiaire ici.
  • Et s'il s'agit de Bernard ?

Sans ralentir ni accorder un regard, Albin mima une corde de pendu. Puis il accéléra encore le pas, tandis qu'Adelin ralentissait pour réprimer des frissons.

Bien sûr qu'il regrettait de ne pas avoir dénoncé le Dépeceur à temps pour sauver la famille de ce dernier, et nombre de criminels envoyés à la mort depuis. Mais il peinait toujours à se résoudre à mener une nouvelle personne à l'échafaud. Même si certains jours, cela lui semblait souhaitable, la plupart du temps une odeur de formol l'étouffait, tandis qu'il entendait la voix du vieil apothicaire lui détailler l'anatomie d'une morte.

Les deux frères se séparèrent ainsi. Adelin partit profiter de deux heures de sommeil, avant de rejoindre sa bande.

Ils étaient plus nombreux cette nuit-là, et sa première action après les saluts rituels fut de leur demander des contrats. Même de simples relectures avant signature agrémentées d'une réponse fermée et gratuite, il prenait.

Grand bien lui prit, la plupart des Fêlés entamaient leurs premiers pas dans le monde du travail officiel, et pour certains les prémices d'une vie maritale. Avec soulagement, il convint de douze rendez-vous pour les jours à venir, et la possibilité d'en obtenir plus encore.

Il en profita également pour se renseigner sur les consommations de ses comparses, sans rien relever de notable. Ce chou blanc constaté, il rejoignit Souffreux oublier sa frustration. Ce dernier s'était roulé un joint, méditant sur un projet lui tenant à cœur depuis bientôt un an. Il réagit à peine à l'arrivée de l'Allumé, lui tendant juste un autre join dont Adelin s'empara volontiers.

Après s'être assuré que personne aux alentours ne pouvait le surprendre, il l'alluma à la main. Depuis sa perte de foi, son feu prenait des teintes plus normales. Bien que toujours bien pâles, ses flammes tiraient vers le jaune. Il échoua à souffler des ronds de fumée.

  • Toujours à réfléchir à comment produire du froid chimiquement ?
  • Toujours... si la chaleur est une production d'énergie...
  • Du moins, selon la théorie en vogue du moment !
  • Ça s'est vérifié et confirmé... si je veux créer mon produit refroidissant...
  • Réfrigérant.
  • Réfrigérant... il me faut quelque chose qui prendrait de l'énergie...
  • Bien trop théorique pour nous, ça.
  • Pour l'instant.

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