Hors des sentiers battus 6/

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Ils savourèrent les effets du cannabis. François ne prit pas la peine de contenir de brefs gloussements, tandis qu'Adelin mesurait l'étendue de la pression qui le crispait en s'en sentant peu à peu libéré.

Après une bonne taf, il se permit de laisser son feu danser sur ses gants. Un bon join, la présence de Souffreux de son côté malvoyant, et du feu sur les mains. Que demander de mieux, alors que son esprit s'allégeait ?

Plusieurs minutes s'égrénèrent dans le silence, parfois ponctué de réflexions bancales sur la réfrigération. Quand le sujet s'avéra épuisé, et surtout les esprits guère en mesure d'échaffauder le moindre passage de la théorie à la pratique concret, Adelin tenta de tirer les vers du nez à son ami au sujet de son mystérieux fournisseur. Sa réponse partit d'un bâillement.

  • Pourquoi tu veux savoir, au fond ?
  • Savoir ce qu'on fume... paraît qu'à Vert-Pont, c'était coupé au souffre et à la poudre noire... pour planer et faire des étincelles...
  • Ben ça viens pas d'là-bas.
  • D'où alors ?
  • ... J'sais pas. M'en fous... pas envie de... parler d'ça...
  • Quand alors ?
  • Pose pas des questions compliquées l'Allumé...

Le silence revint.

  • Quand alors ?
  • Quand quoi ?
  • Quand est-ce que sera le bon moment pour savoir ce qu'on fume ?
  • ... j'sais pas.
  • Pfff... tu as de la chance que j'en aie besoin, sinon tu fumerais seul.

François mit un terme aux râleries en fournissant la dose mensuelle à son ami. Ce dernier attendit encore, adossé à leur table d'expérimentation. Pendant un temps, il se laissa bercer par le son du ruisseau voisin. Quand il sentit Souffreux relâché, il revint à la charge avec un nouveau sujet.

  • Ça t'arrive de te promener près du domaine Cippus ?
  • Comme tout le monde... quand on va... aider aux vendanges ou... j'sais p'u...
  • Faudrait peut-être alléger ta dose Souffreux, tu commences à perdre le langage.
  • Encore un dernier, maugréa François en s'en allumant une nouvelle.

Adelin s'amusa à allumer le join avec la flamme dansant sur son pouce. C'était plus fort que lui, surtout avec la fumette.

  • C'est ton vrai dernier cette nuit, je te surveille !
  • Alors c'est... ton dernier aussi... 'pas de... raison.
  • À force on verra ton cerveau te couler des oreilles.
  • Tu... crois ?
  • Qu'est-ce qui t'amène en terres Cippus ?
  • La Dame Cippus... m'prends en apothicaire bas prix...
  • Oh, bravo.
  • M'en veux pas ?
  • Non, je suis content que tu gagnes ta vie. Tu pourrais me montrer quelques contrats ?

Souffreux acquiesça, le regard vitreux. Mécaniquement, il éteignit son join dans l'herbe pendant qu'Adelin doutait qu'il se souvienne de son engagement. La drogue prenait peut-être un peu de place dans leur existence.

  • Evite de t'aventurer près des vignes.
  • Qu'est-ce tu... veux que... j'foute là... bas...
  • Des choses pas très légales.
  • On traite... près d'la clairière... des ails aux ours...

Se sentant l'esprit léger, Adelin griffona l'information en un éclair. Le lieu se trouvait à l'opposé des terres Cippus, mais à tout juste un kilomètre de la caverne d'intronisation des Fêlés, où Bernard entreposait les lambeaux de chair de la bande. Soulagé que son ami ne risque rien pour le moment, il se relâcha pour de bon, et perturba plusieurs fois l'allumage de nouvelles cigarettes améliorées.

La nuit était bien avancée et l'aurore proche, quand il porta plus qu'il ne guida son ami chez lui avant d'intégrer sa propre chambre. Le calciné ne tarda pas à transmettre son peu d'informations glanées à son aîné, qui de toute évidence avait passé une nuit difficile.

  • Il serait bon que ton ami tende l'oreille...

Adelin l'interrompit d'un clin d'œil entendu.

  • Je lui demanderais en temps et en heure. Mais il semblerait que Dame Cippus sente sa fin venir...
  • Elle en terre, les achever ne sera qu'une formalité. Elle doit en être consciente...
  • Ça expliquerait que son bâtardé tourne autour de nos sœurs...
  • Rhamée soit louée, aucune n'est intéressée. Pourras-tu m'accompagner à la clairière puis à la caverne de Bernard ?
  • La quasi-totalité de mes après-midis sont libres.

Albin étouffa un baîllement.

  • Dans deux jours alors... rendez-vous directement là-bas... à seize heures.
  • Tu vas te lever tôt pour l'occasion !
  • Fais pas le malin... après, nous reprendrons ton entraînement. Et je compte sur toi pour en savoir plus sur les trafics en cours.
  • Bien, aspirant commandant.

L'aspirant le foudroya du regard, ce qui donna une folle envie de rire à l'Allumé. Il se sentait si loin de tous ces soucis, pour le moment ! Sur ces bonnes paroles, tous deux partirent dormir.

Le lendemain aux aurores, le fêlé s'éveilla avec une faim de loup, et goba un solide petit-déjeuner qui lui laissa pourtant plus de temps qu'à l'accoutumée pour rêver de campagne de feu. Un miracle s'accomplit, sa famille, les Fêlés et ses propres démarches conjointes lui donnèrent sa deuxième journée complète de sa carrière, ce qui le plongea dans une extase inédite. Il se sentit presque aussi ému que le jour où il avait signé son premier contrat, savoura cet accomplissement, ce pas de plus vers la normalité. Il y arriverait. Il contribuerait à la grandeur et à la pérennité de son nom, des Digitfractor.

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