Hors des sentiers battus 44/
Incertain, il porta les mains aux boutons de sa veste, avant de se pétrifier de nouveau. Sa propre laideur, ses brûlures, ses cicatrices le poignardèrent en plein cœur. Bien sûr qu'il voulait suivre Iris sur cette pente ! Mais à quel point allait-il lui faire peur, avec ses ongles en moins ? Elle était normale, elle. Et... intéressée. Volontaire... Et lui ignorant, en plus d'être répugnant.
Battant des cils, il s'efforça de se reprendre, renonça à se dévêtir.
- Ben viens.
- T'es vraiment pas obligée, puis l'tapis ou l'mat'las, ça r'vient au même...
- Ma façon d'te r'mercier, viens. J'vais bien m'occuper d'toi dans c'lit...
- Mais tu n'as pas...
- Aller, viens !
Elle lui saisit la manche et le tira vers elle. Perdu, Adelin suivit le mouvement. Il s'assit sur le lit, se sentant con, gauche, confus. En sueur. Un peu nauséeux, aussi. Les mains prêtes à crépiter. Rien n'allait.
Bon. Iris insistait du regard, lui-même était sur le bord du lit, et il n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait bien dire ou faire. Enfin, il sentait bien où elle voulait en venir, sauf qu'il ne savait vraiment pas comment y aboutir ou s'il le voulait. Un coup d'un soir... il avait le droit ? Payer la moitié de la chambre pour qu'elle ne dorme pas dehors lui permettait cel...
Elle se redressait ! Décolleté ! Rien dess...
La femme est une création divine.
Hypnotisé, il eut une absence similaire à quand il se passionnait pour le feu. Enfin pas tout à fait. Ce n'était ni la même chaleur, ni les mêmes sensations qui l'habitaient. Est-ce que des flammes embelliraient plus encore la perfection devant lui ? Des flammes gris-argentées seraient parfaites, maintenant qu'il y pensait. Cela contrasterait bien avec la chair vivante devant lui, qui appelait sa main. Quelle serait la meilleure sensation ? Presser, caresser , fondre ? Là, il ne savait pas...
Une belle main surgit dans son champ de vision, rompant le charme. Dommage. Il aurait bien poursuivi les rêveries...
- Bah alors, t'as jamais vu d'poitrine ? À t'voir, t'agi en puceau...
Merde. Adelin se sentit honteux. Oui, il était on ne pouvait plus puceau. Il connaissait la théorie, avait entendu bien des histoires et détails graveleux, surpris quelques couples dans les bois... Mais lui-même n'était jamais passé à la pratique. Sa nausée lui broya les tripes, tandis qu'il se contraignait à répondre du bout des dents :
- Ben... oui. J'suis on n'peux plus puceau.
À la voir le dévisager, il comprit qu'elle peinait à le croire. Brisé, il avoua :
- T'as vu ma gueule ?
- J'sais pas, même avec l'alcool ?
- J'bois pas.
- Ça empêche pas...
Au moins, cette dernière réplique dérida l'Allumé, qui osa un pâle sourire.
- J'tiens à mes os.
- J'vois... pas l'rapport...
- Té, tu connais pas les familles de Guarrèr ! T'sautes une gonzesse bourrée, t'as les hommes d'sa famille chez toi l'lend'main ! Même moi, j'ai commencé c'genre de descente dès mes dix piges !
- Ah... Ben t'auras pas d'descente, là. Et donc...
Elle ôta avec naturel son haut, dévoilant pour de bon sa perfection. Adelin aurait bien voulu, par respect pour sa pudeur, suivre l'envolée du vêtement de son pinacle à sa chute, mais... Il était tout bonnement incapable de détourner le regard de la sublimité devant lui. Oui, son feu, de l'époque où il avait la foi envers Rhamée aurait parfaitement correspondu à Iris.
Il n'osa pas toucher. S'il rêvait, si c'était un mirage, une hallucination de plus, il briserait l'enchantement. Et... il y avait une manière de faire ? Quelque chose à dire ? Un... compliment, qui conviendrait à la situation ? Quelque chose ? Tout était bien plus simple, avec le feu...
La voix d'Iris l'arracha à sa perturbation, il sursauta, n'entendit que la fin de la phrase.
- ... même niveau, t'crois pas ?
- Gue... que... pa-pa-pardon...
- Té, tais-toi et désappe-toi. Laisse-toi faire, je gère.
Possédé, Adelin obéit, avec des gestes mécaniques. Bon sang, quelle honte, il agissait comme un golem rouillé.
Iris s'allongea sur le ventre, l'observant du coin de l'œil. Elle haussa un sourcil quand elle constata les quatre couches de vêtements dont il se sépara, ne put contenir une grimace de dégoût devant les côtes saillantes.
Voilà, il le savait. Trop laid ! Avec dépit, il jeta un coup d'œil à ses os saillants, sa peau blême quand le feu ne l'avait pas rougie et boursouflée. Sans compter les brûlures d'acides. La surveillant du coin de l'œil, il ôta aussi ses gants. Les parties de son corps les plus atteintes et ravagées. Elle s'avéra incapable d'y accorder plus d'un coup d'œil, contint comme elle put un haut-le-cœur. Puis lui accorda un sourire forcé, qui se voulait encourageant.
- J'veux vraiment pas qu'tu'forces.
- Cause pas tant et allonge-toi, va.
Même sa voix perdait en assurance. Il la fixa de son bon œil, surprit plusieurs spasmes, des pincements de lèvres. Il était repoussant à ce point ? La confirmation s'avérait particulièrement douloureuse.
Il visualisa un instant la scène actuelle. Lui, maigre, ravagé, moite. Elle, belle, normale et dégoûtée, chose qu'il ne pouvait décemment pas lui reprocher. Cela devenait ridicule. De toute façon, la fatigue du voyage ne pourrait que le rendre inopérant au pire moment, autant renoncer. Il avait cru comprendre que ces choses-là arrivaient toujours au pire moment. Donc autant qu'ils gagnent du temps et s'épargnent la situation.
- Aller, ça suffit...
Il allait se lever, quand Iris le saisit contre elle, le renversa sur le lit...
Cet océan de douceur qu'il ne quitterait pour rien au monde ! Vaincu, conquis, il ne se rendit même pas compte qu'elle lui baissait le pantalon, ni même que son corps y réagissait en se cambrant, pour lui faciliter la tâche.
Non, il avait seulement conscience que son corps, son torse, avait été enlacé ! Pour la première fois de sa vie ! Un câlin ! Par une femme ! Belle, en plus ! Confortable ! Réelle ! Bonté divine... Les mains admirables, magiques, achevèrent de le mettre à nu.
Soudain, un flottement. Ah... même là, il... différait ? À croire que rien de normal ne pouvait l'attendre, dans cette existence de merde. Au bord du désespoir, il chercha le regard d'Iris, pour savoir ce qui se passait. Parce que... lui, était perdu comme jamais. Jamais il ne s'était présenté à quiconque le pantalon et le slip baissés, il rencontrait ce contexte pour la première fois... tout dépendait de la jeune femme prenant une grande inspiration, penchée sur lui.
Il eut envie de lui demander "Et maintenant ?" mais...
Elle se pencha sans prévenir. Et...
Oh...
Ô Déesse...
Ô Lumière Divine...
Ô Déesse, Ô Déesse !
Par la Lumière Sacrée !
Adelin ne put s'empêcher de loucher sur la jeune femme qui lui procurait toutes ces sensations. Ce qu'elle lui faisait vivre... c'était vraiment humain ? Elle-même était vraiment humaine, pour lui offrir cela ?
De ce qu'il en percevait... oui ? Il ne rêvait pas. N'hallucinait pas. Quoique... dans le doute, il se pinça. Oui, ça faisait mal. Il songea qu'il devait avoir l'air parfaitement ahuri.
Ô il voulait bien croire en la bonté divine, retrouver la foi, vu que les Dieux permettaient cela !
Tant pis ! Trop de plaisir... Il n'osa pas la toucher. Par crainte d'interrompre l'instant, de la contrarier, de se montrer ingrat. Alors il resta les bras ballants, à la fixer, éberlué de ce qui lui arrivait. Ainsi donc, même sans feu il pouvait être comblé... au moins, il comprenait mieux les passions que cet élément de la vie pouvait déclencher. Ainsi que l'insistance des Fêlés, leur incompréhension quand il certifiait que cela ne l'impatientait pas plus que cela, que Bathilde l'en prive.
Comment pouvait-on volontairement se montrer incorrect envers quelqu'un qui vous faisait tant de bien ? Adelin était sûr d'une chose. Plusieurs, même. Il ne voulait pas que cela s'arrête, pour rien au monde. Il souhaitait tout le bonheur et le plaisir possibles à Iris. Mieux encore, voulait en être l'origine, après ce qu'elle lui offrait, c'était la moindre des choses, elle lui mettait la barre très haute. Et il donnerait beaucoup pour vivre de nouveaux instants similaires avec cette jeune femme si merveilleuse. Surtout cela. Oh oui !
Par contre, mécaniquement, il sentait que son corps allait mettre un terme au charme... Malgré qu'elle joue avec lui, aie les pleins pouvoirs, une autorité totale, Adelin sentait qu'ils arrivaient sur ses limites. Et... enfin... c'était plus correct de prévenir ? Dépassé, il bredouilla :
- Euh...
Iris lui coupa toute possibilité d'émettre quelque chose plus réfléchi et développé. Assurément, elle le tenait sous sa coupe. Elle lui aurait demandé de sauter par la fenêtre qu'il l'aurait fait. Sûrement au courant de tout cela, elle lui sourit, victorieuse et lui intima dans un souffle doux et enjôleur :
- Laisse-toi aller... fais rien, pense à rien et laisse-moi faire... Je gère.
Il ne se fit pas prier.
À terme, comme dans un rêve éveillé, il se trouva sous la couette, heureux comme jamais avec une femme à demi nue installée sur son bras en proie à une armée de fourmis. Des flammes vertes ou bleues sublimeraient bien cet instant hors du temps, où il mesurait tout juste l'étendue de son bonheur et de sa chance.
Dans un effort surhumain, il se retint d'embrasser le front de la merveille qui lui paralysait le bras. Il préféra lui bafouiller une demande d'autorisation. Elle bâilla bruyamment, ouvrant grand la bouche. Adelin en eut le souffle coupé. Maintenant qu'il savait de quoi elle était capable...
- Dors, j'suis crevée.
- Tu... voudrais pas... que... j'm'occupe de toi ? Je-je... sais pas comment m'y prendre, mais apprends-moi... s't-eu-plaît ?
- Mmh, ta gueule et laisse-moi dormir.
- ... D'accord ?
Oui, la fatigue du voyage le terrassait. Toutes ses émotions nouvelles n'aidaient pas. Mais une obsession le taraudait et allait lui pourrir la nuit. Comment rendre la politesse à Iris ? Vraiment, il voulait être à la hauteur de cette femme, ne pas la décevoir, qu'ils recommencent cette soirée. Le dîner ensemble, la suite.
À tout hasard, il se pencha pour lui embrasser le front, mais elle l'en dissuada d'un grognement peu amène. D'accord, d'accord. Adelin reprit sa position initiale, sagement étendu sur le dos, le bras sur lequel reposait la merveille en souffrance.
Au fil du temps, son esprit lui permit de repenser à ce qu'il venait de traverser. Des crépitements en tête en plus. Divers effets flamboyants en plus. Voilà qui améliorait encore la chose.
Le sommeil l'emporta sans crier gare.
Quand il ouvrit les yeux, Adelin éprouva un vide atroce. Angoissé, il chercha Iris dans le lit pour ne trouver qu'un froid et un vide désespérants. Il pinça les lèvres, au bord des larmes. Son cœur était lacéré. L'espace d'un instant, il s'en voulut d'éprouver ces sensations pour un coup d'un soir et non pour Bathilde. En termes de temps et d'investissements... Il avait vraiment espéré se réveiller accompagné. Il voulait... continuer ses découvertes, rendre la pareille à la jeune femme, pourquoi pas mieux la connaître dans la perspective de partager sa vie !
Tout à son mal-être, il ne se rendit compte qu'à cet instant que le soleil était haut. Un coup d'œil à sa montre lui confirma qu'il était huit heures. À quand remontait sa dernière grasse matinée ? Des années... Adelin soupira. Quelques agréables secondes, l'air ondula autour de lui, avant qu'il ne se secoue. Cette étape accomplie, une nouvelle journée de chevauchée l'attendait. Il prenait déjà du retard sur ses estimations...
Ses pensées s'attardèrent avec autant de délices que de vacuité sur sa nuit en charmante compagnie. Puis il soupira. Il avait bien besoin de nouvelles distractions, en plus du feu...
Il chercha son sac sans le trouver dans la table de chevet. Destabilisé, il fouilla la chambre. Ses vêtements, du moins ceux qu'il avait préparés la veille l'attendaient, de même que ses bottes et les pièces cachées... mais nulle trace de son sac qui contenait tout le reste.
Passé quelques secondes abasourdi, tout se mit en place dans son esprit. Les mots lui manquèrent. Sa gorge se noua.
Non... elle n'avait... elle ne lui avait pas fait ça !
- Salope...
Mais...
- Quelle salope !
Plus de doute possible. Furieux, il s'habilla, se rendit présentable en fulminant, entreprit de se calmer dans les escaliers. Quel con, mais quel con ! Et quelle pute ! Il allait la cramer, retrouver ses affaires, son sceau bordel, et il allait la cramer.
Jamais il n'avait éprouvé une haine aussi violente pour quelqu'un. Le contraste entre la nuit passée et ce réveil... Elle paierait. Elle l'ignorait sûrement, mais il avait le pouvoir de la faire incarcérer, la faire mettre aux travaux forcés pour cela. Elle et toute sa famille, ses amis si les liens du sang s'avéraient inexistants.
Son sceau de magistrat. De notaire. Son unique lien physique avec sa famille ! Peu lui importait l'argent, mais qu'elle lui rende sa bague. De toute façon, si elle refusait, la loi considérerait cela comme une tentative d'usurpation d'identité, avec en circonstance agravante atteinte à magistrat.
Adelin frappa sèchement le comptoir. Seul client présent. Parfait. Il prit une grande inspiration, prit son ton le plus tranchant quand l'aubergiste lui accorda son attention.
- Où est-elle ?
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