Hors des sentiers battus 45/
L'homme haussa un sourcil et lui rétorqua avec autorité :
- Bonjour.
- Bonjour, s'agaça Adelin, où est-elle ?
L'aubergiste allait répondre, l'Allumé sentit d'instinct qu'il s'agirait d'un mensonge déjà préparé. Bordel. Un coup pour détrousser les étrangers. Son interlocuteur était trop calme devant sa fulminance, répondait trop vite.
Il le saisit d'une main par le col, sentit la confirmation que la folie conférait une force surhumaine en le maintenant ainsi la tête au ras du comptoir. Il lui siffla :
- Je travaille pour les Digitfractor, pour une affaire urgente et cette petite salope est en train de faire obstacle à leurs affaires, en m'ayant volé. Alors on peut encore se trouver une solution à l'amiable, ou je peux contacter des renforts et laisser leur milice prendre le relais. Vu ?
La mention de la milice de Guarrèr s'avéra payante. Albin et ses hommes avaient leur réputation. L'aubergiste blémit, leva les mains en signe de rédition. Dans un grognement digne du Roc, Adelin relâcha son emprise. Son regard figea le collaborateur, qui prit le temps de déglutir avant d'oser répondre d'une voix malassurée :
- On-on pensait pas à mal, Monsieur... Sim-simplement, avec la p'tite... on... On profite de quelques suppléments d'temps en temps... On s'partage le butin après...
- Cela je n'en ai cure, où est-elle ?
Reconnaissant la posture, l'intonation des nobles, l'aubergiste se décomposa plus encore. Il s'épongea le front.
- Sûrement chez elle, m'sire...
Terrassé par l'ampleur du regard borgne pesant sur lui, il donna les indications nécessaires. Cette fois, Adelin ne perçut plus de trace de mensonge, ni même d'omission. D'un pas rageur, il récupéra son cheval déjà prêt, puis partit au grand trot, maudissant cette conspiration. Les autorités allaient être enchantées de mettre à mal cette organisation.
Bon sang, comment avait-il pu se faire berner si facilement ? Encore par une femme, en plus ! S'agirait-il d'une constante, d'un trait féminin ? Autant faire mentir l'adage du "jamais deux sans trois". Les sensations découvertes la veille ne valaient pas la perte de de son sceau. D'autant plus qu'il s'agissait de sa preuve la plus solide de son appartenance à la noblesse, si un jour il devait s'en revendiquer. Connaissait-elle seulement la valeur de l'objet ?
Au moins, l'aubergiste lui avait donné les bonnes indications pour trouver le hameau où résidait Iris. Reprenant le pas, Adelin interpela le premier habitant venu pour lui demander où trouver la profiteuse. De nouveau, la mention de la milice de Guarrèr délia la langue, de nouvelles indications lui furent délivrées.
De toute évidence, les rapines d'Iris permettaient aux habitants d'améliorer leur quotidien. Adelin grinça des dents. Rien n'excusait ces gens. Laisser une jeune femme se prostituer ne constituait pas un délit, bénéficier de ses dons par la suite non plus. Cependant, accepter des biens volés allait leur coûter une bonne amende, dont il doutait qu'ils puissent s'acquitter. Cela sentait fort les travaux forcés. Dès l'instant où la Justice ferait excécuter les peines, autant considérer ces habitations perdues dans les bois comme un refuge de malfrats. Ils y laisseraient donc leurs maisons. Tant pis pour eux. Ils auraient quelques semaines, quelques mois pour en remercier Iris !
Sa présence à cheval au sein du hameau attira l'attention générale, sans que quiconque n'ose aller vers lui ou même l'interpeller. Dans le doute, Adelin sonda brièvement l'emplacement des différents métaux autour de lui. Pour le moment, aucune arme de jet ne se dirigeait dans sa direction. L'aura de la milice de sa famille, assurément. Néanmoins, il surprit quelques cris très similaires à des codes. Ils défendaient l'une des leurs.
Ne lui resta qu'à guetter une réponse. Cette dernière ne tarda pas, il localisa sans peine un chant de coucou. Ils le prenaient vraiment pour un citadin inculte. Un coucou en début d'automne... De nouveaux cris, quelques sifflements prévinrent sa voleuse, sans qu'il ne s'en soucie. Il essuya l'écume qui se formait aux comissures de ses lèvres.
Aux bruissements habituels des bois s'ajoutèrent de doux crépitements. Son premier réflexe fut de résister, avant, timidement, de s'autoriser à se bercer à ce son. Ce relâchement s'avéra agréable... jusqu'à ce qu'une odeur de formol ne vienne le glacer.
Interrompu dans son exploration de nouveaux horizons, Adelin arrêta sa monture.
- Oui... oui... pardon... apex... ici donc... oui...
L'apothicaire risquait bien de le hanter toute son existence. Dans de violents frissons, Adelin parvint à repousser la reviviscence. Brûler.
Il pouvait brûler quelqu'un.
Cette personne ne lui échapperait pas.
Iris...
Fleur...
Non. Salope. Oui.
L'Allumé sentit que ses sens s'aiguisaient. Plus concentré, alerte, il reprit sa chasse, toujours
dans la diretion d'où était venu le chant du coucou. Bientôt supplanté par les grésillements
de la chair. Le racornissement autour des doigts. Le velouté de la peau,
avant de se craqueler. La magnificence des os mis à nu.
Oh, que de sublimités !
Quand les viscères colleraient langoureusement aux doigts.
Sans compter les senteurs enivrantes, de la chair consummée, des vêtements embrasés.
La danse du feu, son chant.
L'Allumé releva sur la sente une trace de pas. D'une taille crédible pour sa partenaire
de sarabande embrasée.
Nul métal dans les environs.
Le monde ondulait, grésillait. Le feu s'en emparait, le magnifiait.
À force d'errances, comme dans un rêve, l'Allumé détecta toute une série de clous rouillés.
Une cabane, grossièrement construite, sur laquelle courait du lierre.
Oh, pas juste une cabane. Un sous-sol, quelques babioles.
Le combustible.
Toujours dans un état de grâce, l'Allumé mit pied à terre.
D'instinct, l'équidé délaissé s'éloigna.
Ecumant, il contourna la construction. Une seule entrée possible, le combustible sous terre.
Soit. Elle n'en connaîtrait pas moins la sublimation.
D'un bon coup de pied, il abattit la porte. Déjà, ses mains s'embrasèrent.
D'un geste sûr, il éloigna la loque dissimulant une trape. Cette dernière, il l'arracha.
L'échelle ignorée, le fêlé atterrit juste devant le combustible.
Cette dernière, blême, s'applatit contre la terre creusée.
- Eh... qu'est-ce tu fous là ? ... Eh... tout doux... on a passé une bonne nuit, hein ? ... T'veux... ah, t'veux ta bague moche ? ... M'approche pas ! M'approche pas ou... j'bouffe ta bague ! Re-recule !
L'Allumé arma son poing, ne prêta aucune attention au comburant recroquevillé.
Le premier coup emporta une partie du visage. L'os se dévoila, encore empêtré de filaments roses.
Plus pour longtemps.
En transe, il poursuivit son œuvre, frappa.
Encore.
Encore !
Oui, encore !
Les doigts plongés dans les orbites, gémissant de plaisir à l'écoute du fabuleux grésillement.
Sublimité, magnificence qu'un corps embrasé !
Les viscères dévoilèrent les merveilles qu'elles dissimulaient.
Le Feu est la clef du bonheur.
Sifflement.
Essoufflement.
Froid.
Son sceau, où se trouvait son sceau ? Adelin eut beau griffer les cendres grasses, il ne trouva rien à hauteur d'estomac. L'angoisse lui coupa la respiration. Non, autant perdre tout le reste lui importait peu, mais pas son sceau.
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