Hors des sentiers battus 49/

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Il atteignit une file composée de marchands, de gens de la terre, d'artisans et s'avéra être le seul voyageur du moment. L'aspect neuf de ses vêtements, leur qualité, tout ceci contribuait à le faire sortir du lot. Plus son œil borgne et sa face en partie ravagée... l'Allumé soupira intérieurement. Restait à espérer que les gardes de faction ne s'attardent pas trop sur son cas.

De toute évidence, ils connaissaient au moins de vue tous les passants, aussi, fatalement, ils étudièrent son arrivée avec circonspection. Ils l'entraînèrent au minuscule poste de garde, d'où n'importe qui pouvait les entendre. Il y avait tout juste la place pour que trois personnes s'asseyent sur des tabourets. L'un des gardes se saisit d'une plaquette de bois pour écrire, tandis que son collègue menait l'interrogatoire.

  • T'es qui ?
  • Bertrand Ad'lin Sésa.
  • T'viens d'où ?
  • Le hameau d'Vagué, sur les terres d'Guarrèr.

Les deux collègues s'échangèrent un regard, s'adressèrent un acquiescement.

  • V'vendez d'la pomme et d'l'oie par là, hein ?

En bon homme de la terre, soudé à son terroir, Adelin se redressa, outré.

  • Çô c'les terr' des Huipont et l'trôvail des Oidor ! J'suis un Sésa, moi ! On est un peu au-d'sus d'ces pécores !
  • De toute évidence, railla le secrétaire désigné.
  • Qu'est-ce qui t'amène ici ? Sais-tu de quel village il s'agit ?
  • J'viens à Vert Pont r'faire ma vie... j'apprends vite, j'dérangerais rien ni personne.
  • Devons-nous nous attendre à écoper aussi d'éventuels poursuivants ?
  • Çô m'étonn'rait. J'trempe dans rien.
  • Ça, c'est ce que tu affirmes, grogna le secrétaire.

Il détaillèrent un moment les raisons de sa venue en ces terres, les gardes le prévinrent qu'à la moindre incartade de sa part, ils ne le manqueraient pas. Adelin ne pouvait pas leur en vouloir. Avec sa tête de criminel... Ainsi que son deuxième prénom pour le moins unique, dont il dut détailler les origines, en lien avec un lointain cousin noble qu'il n'avait jamais vu, mais des oncles à lui oui, des années plus tôt.

Vingt minutes plus tard, après des tombereaux de questions d'usage, ainsi qu'un portrait détaillé dessiné et conservé au poste, il fut autorisé à pénétrer l'enceinte. Pour la première fois depuis plus de six ans, il respira l'air lourd d'un autre village que Guarrèr.

Pour la première fois de sa vie, il se sentit aussi seul qu'étranger en un lieu pourtant peuplé et animé. Au bout de trente mètres, Adelin avait déjà chassé deux mains inquisitrices de ses poches, pris la décision de garder un mur du côté de son mauvais œil, de quitter ce quartier au plus tôt et de savoir comment changer de rive.

Il ne s'agissait pas de son premier bain de foule, loin de là. Cependant, il ne connaissait personne. Aucun membre de sa famille, aucun de ses amis ne se trouvait dans les parages. Pas même un associé des Oidor. Cet isolement le préoccupa, le prit de court. En ces lieux, même s'il s'était attendu à ne maîtriser que peu de choses au début, il sentit le poids de son ignorance, éprouva des sensations glacées dans son dos, des nœuds au creux de son estomac.

Il s'orienta tout de même sans peine. Un autre poste de garde l'attendait au pied du pont, qu'il put traverser dès que les gardes récupérèrent une copie de son interrogatoire. On lui demanda tout de même de prouver qu'il aurait de quoi payer une fois dans les hauts quartiers. Une mesure compréhensible contre la mendicité.

Son arrivée sur cette nouvelle rive lui confirma ses impressions avant d'y parvenir : là se trouvaient les beaux quartiers. Les rues y étaient bien plus propres, pavées de façon régulière, tout était plus large. Deux carrioles pouvaient avancer de front, les piétons pouvaient ne pas raser les murs sans déranger quiconque. Les habitants y portaient des tenues plus coûteuses.

Le jeune chômeur commença par avancer en quadrillant le premier quartier, en quête de panneaux indiquant une recherche d'employé. Au bout de deux heures infructueuses, il changea d'approche. Ses pieds le faisaient trop souffrir pour qu'il aie la patience de poursuivre ses recherches de la sorte.

Il tenta d'abord sa chance dans une blanchisserie. À l'air terrifié de l'employé qui lui bégaya de partir s'il n'avait pas besoin de ses services, Adelin comprit que ses craintes se confirmaient. Il se montra poli, presque obséquieux et partit se faire voir ailleurs.

Après les blanchisseries, les teintureries, il mit du temps à trouver une auberge acceptable pour sa bourse, non sans tenter de se faire employer dans celles trop dispendieuses. Que personne ne souhaite même lui confier de la vaisselle sale le vexait. Quand il mangea, le personnel le surveilla plus que de raison. À croire que la défiance envers les étrangers n'était pas aussi typique de Guarrèr que ce qu'il pensait. Et encore, il était humain ! Ni un elfe, ni un nain de fer, ni une autre sous-race...

Le serveur à qui il demanda s'il y avait de l'embauche crut qu'il posait la question faute de paiement, Adelin dut s'expliquer avec des gardes. Au moins, cela lui permit de rester assis une bonne demi-heure de plus. Du repos de pris pour ses jambes en souffrance...

Son après-midi demeura tout aussi infructueuse. Vers sept heures du soir, des horloges sonnèrent, le signal qu'il lui restait deux heures pour se trouver une chambre. Avec lassitude, il retraversa le pont sous les quolibets des gardes en faction.

  • Bah alors, même pas installé qu'tu menaces d'jà d'pas payer ?
  • Vos collègues en sont témoins, il s'agissait d'un simple quiproquo. Dite, ça recrute parmi la garde ?

Ceci acheva de le discréditer. Le groupe s'en étrangla de rire. Eux au moins, passaient une bonne soirée. Le premier à se reprendre cracha :

  • J'préfère m'couper une couille que d'voir un sang d'elfe dans ton genre avec l'uniforme !
  • Moi un sang d'elfe ? se hérissa Adelin. Lumière divine, comment osez-vous ?
  • N'en appelle pas à Rhamée, sang d'elfe !
  • Cherche aussi loin qu'tu veux parmi mes ancêtres, on est tous humains ! Sang d'elfe, on m'l'avait famais faite, celle-là ! J'ai la gueule cramée, pas faisandée !
  • Ouais, ouais, casse-toi clochard... si j'vois ta face d'hérétique cette nuit, j'vais t'later assez pour t'faire sortir les couilles par le nez... 'fin, si t'en as.

Adelin partit enfin, fulminant. Sang d'elfe... et il ne pouvait même pas invoquer son vrai nom.

Pour ne rien arranger, il lui fallut tourner en rond trois bons quart-d'heure avant de trouver une auberge aux tarifs raisonnables. Il en comprit mieux la raison quand il s'intéressa à la clientèle.

De toute évidence, il venait d'échouer parmi les malfrats locaux. Tant qu'il se mêlait de ses affaires, il imaginait mal ce qui pourrait mal tourner...

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