Hors des sentiers battus 57/

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Flottement.

Abandon…

Adelin se sentait étrangement bien. La sensation de flotter dans le vide. Seul.

Serein. Il ne pensait à rien… Seulement à l’apaisement qu’il éprouvait.

Tout autour de lui était noir. Il en perdait la notion de son propre corps, aurait juré ne pas en avoir. Qu’il ouvre ou ferme les yeux revenait au même. Sa peau n’éprouvait aucune sensation, de même que son corps, à l’exception de cette légèreté de l’être.

Dans tout ce noir, une Lumière. Lointaine, douce et sereine. Argentée.

Adelin se sentait partir dans cette direction. Il ne lui vint pas à l’idée de lutter, tant il se sentait détaché de tout.

Plus il approchait, plus il sentait une fraîcheur l’envahir.

Quelque chose attira son attention. À l’opposé de cette Lumière d’argent, se distinguait un point de Lumière carmine. Peu à peu, cela traça une ligne, qui approchait avec délicatesse.

Tandis que la fraîcheur devenait un véritable froid, un point de chaleur approcha. Spontanément, Adelin se sentit plus attiré par cette nouvelle émanation. Engourdi, il voulut tendre la main dans cette direction… pour se rendre compte qu’il n’en avait pas. Toujours pris par une torpeur dont il ne se rendait compte qu’en cet instant, sans pouvoir éprouver la moindre peur, l’Allumé tenta de se tourner vers cette chaleur bienfaisante.

En vain.

Il ne contrôlait rien. Les deux lueurs l’absorbaient sans se mélanger. Néanmoins, la Lumière de métal en fusion l’engloba la première.

Un râle.

Froid.

Mal.

Fatigue.

Epuisement.

Nouveau râle, encombré.

Pom… Pom…

Adelin tenta de soulever ses paupières scellées. Grand mal lui prit, deux douleurs manquèrent de le faire retourner à l’inconscience. Au crâne, d’abord. Accompagnée d’une seconde, diffuse, difficile à localiser tant elle s’avérait intense. Intense, et terrifiante.

Au ventre. Cela irradiait. Pulsait.

Des paroles. Un humain lui parlait. Homme. Âgé. Enroué. Adelin frémit. On lui touchait la zone douloureuse, anormalement froide. Mais la zone de contact était chaude, son esprit l’associa aussitôt à la Vie. À la Lumière rouge.

On maugréait en s’occupant de lui. Le livreur réussit enfin à ouvrir les yeux, après une longue lutte contre l’épuisement, le froid et la douleur. Tout cela s’amenuisait peu à peu, grâce à l’imposition des mains du Taiseux. Une agréable lueur, similaire à celle d’un feu de forge, les baignait tous deux.

Leurs regards se croisèrent. Le jeune homme voulut parler, son sauveur l’en dissuada d’un infime mouvement de tête. Alors, le blessé se laissa faire, somnola encore. En confiance.

Finalement, l’Allumé émergea de nouveau. D’après la faible luminosité de la pièce, les sons dans la rue, il devait être huit heures passées. Le Soleil se levait tout juste. Mais il était en retard pour son apprentissage… et en vie !

Ce dernier constat le fit sursauter. Cette fois bien conscient et réveillé, il détailla son environnement, sa situation.

On l’avait assis sur un fauteuil et couvert d’une vieille couverture blanc passé. Il se trouvait chez le Taiseux, ce dernier l’observait depuis le fauteuil d’en face. Il n’avait l’air ni fatigué, ni inquiet. Juste… dubitatif.

— Revenu ?

— … Oui… Merci.

Adelin ferma les yeux quelques instants. Puis sursauta. Aucune douleur ne lui fit regretter ce geste, à sa grande surprise.

— Vous… Vous parlez ?

Le Taiseux acquiesça. Après un mouvement de balancier, il se leva, pour revenir avec deux tasses de thé fumantes en mains. Sans un mot, il en tendit une à son hôte, le plus naturellement du monde. Sans un mot, il lui imposa de finir tranquilement sa tasse. Ensuite, il lui imposa de rester encore assis, avant de chercher quelque chose dans sa bibliothèque. Après son thé, Adelin reçut un opuscule dans les mains, sans titre. Quand il feuilleta en silence la quarantaine de pages de la hauteur de sa paume, il comprit qu’il s’agissait d’un petit traité d’Histoire. Perdu, il interrogea son sauveur du regard. Ce dernier haussa les épaules, puis lui présenta la porte du menton.

— Un… instant… Taiseux…

Ce dernier le dévisagea d’un air neutre.

— … Merci de m’avoir sauvé.

Pendant un instant, il crut que sa seule réponse se résumerait à un haussement d’épaules. Mais après quelques temps, le mage âgé lui répondit, de sa voix grave et enrouée :

— Tu m’as sauvé en intervenant à temps. Je t’ai sauvé. Nous sommes quittes. Et ce livre, tu me le rendras quand tu l’auras lu. Je te donne un mois.

Adelin détailla tour à tour le prêt et l’ancien, sans comprendre le rapport. Son instinct lui souffla qu’il n’obtiendrait aucune réponse à ce sujet… Pourtant, après pas loin d’une minute, le vénérable reprit :

— En venant te chercher aux portes de la Mort, j’ai senti ta soif de connaissances. Ceci devrait la satisfaire. À tes prochaines livraisons, je pourrais te proposer un nouveau thé. Ainsi que l’accès à de nouveaux livres.

Après un nouveau silence, il désigna sa porte d’un mouvement impérieux du menton. Perplexe, Adelin se leva. Il replia la couverture, geste apprécié en silence par son hôte, puis balaya une dernière fois la pièce du regard.

Comme bien des petites gens, le Taiseux ne possédait que quatre murs, un toit et un plancher. Trois de ces murs étaient couverts de livres, répartis harmonieusement, le dernier ménageait un infime coin cuisine, uniquement composé d’un plan de travail et d’un réchaud. Adelin embrassait la pièce du regard pour la première fois, malgré ses nombreuses visites. De coutume, sa lampe à huile n’éclairait que l’entrée. En plus des deux fauteuils, il remarqua un matelas plutôt bien rembourré dans le fond, ainsi que les contours d’une trape sous le tapis décoloré par le temps sur lequel ils marchaient. Adelin s’inclina une dernière fois pour remercier son étrange hôte, avant de partir.

Une fois dehors, il songea qu’il n’avait ni vu, ni senti de sang. Pourtant, vu tout ce qu’il avait perdu… Le Taiseux avait même pris la peine de racommoder ses vêtements. Du bel ouvrage, au demeurant…

L’esprit plein d’interrogations, il s’empressa de rejoindre son maître. Qui étaient les assaillants de la veille ? Combien de mages résidaient dans ce village ? Pour quelle raison pouvait-on vouloir nuire à un ancien comme le Taiseux ? Pourquoi dissimulait-il son identité avec tant de soins ? Et ses commandes régulières, qui demandaient tant de discrétion ? Pourquoi et comment l’avait-il sauvé ?

Les portes de la Mort, avait-il dit…

Adelin consumma ses interrogations en arrivant devant la porte du forgeron. Il entra, entendit avec un certain soulagement les ronflements familiers. Alors, comme de coutume, il réveilla son maître. Ce dernier ne dissimula pas sa surprise en voyant le soleil levé avant eux.

— Qu’est-ce s’est passé ?

— J’ai eu une panne d’oreiller, ce matin.

Robert baîlla en le dévisageant, sceptique. Un haussement d’épaules plus tard, ils reprirent leur quotidien. Lors de leur pause de midi, son maître lui avoua :

— Qu’t’ai pioncé plus que d’habitude, ça m’rassure. T’es donc b’en humain, pas une ‘spèce de golem…

— Mmmmh… Tu me fais penser que mon père se fait surnommer Le Golem.

— J’dis pô, êt’ organisé et régulier, c’est bien. Mais… trop… c’bizarre.

Ils finirent leur repas en silence, avant de reprendre. Adelin apprenait les bases de la dorure, et devait reconnaître qu’il dépréciait l’exercice. Manier les feuilles d’or l’agaçait, ce métal mou s’avérait capricieux. Néanmoins, il s'agissait d'un impératif à maîtriser, pour les armures d'apparat. De plus, sa température de fusion était assez proche de celles d’autres métaux qu’il utilisait régulièrement, ce qui menaçait chacun de ses ouvrages sur lesquels il devait apposer la fine couche permettant de gonfler allègrement les prix.

Adelin profita de l’après-midi pour tenter d’en savoir plus sur les habitants de Vert Pont. En vain. Robert se contenta de lui répondre qu’ils étaient tous des cons doublés de faux-culs. Le nom de Taflor le rendit mutique. Quand il reprit la parole, ce fut pour poursuivre la formation de son apprenti, le regard lointain. Puis au soir, il disparut boire.

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