Hors des sentiers battus 59/
Quelques nuits plus tard, Adelin découvrit que des gardes le suivaient lors de ses livraisons. Sa découverte tenait de l'accident. Laisser son feu enjoliver sa morne route l'avait démangé, aussi avait-il tenté une concession avec lui-même : user de sa magie certes, mais de manière bien plus discrète, en pistant les métaux.
De ce qu'il en percevait, deux gardes le suivaient, d'assez près pour ne pas le perdre, silhouette grise poussant un diable à roues crantées dans la boue, de trop loin pour qu'il puisse les détecter, surtout dans son état actuel.
Leurs arbalètes ne lui inspiraient pas confiance. Néanmoins, de ce qu'il en percevait ses suiveurs ne se montraient pas hostiles à son encontre. Aussi se contenta-t-il, passée la surprise, de les ignorer.
Le Taiseux de son côté, lui offrait désormais le thé avant de le laisser rentrer chez lui. Lors de ces pauses, ils ne parlaient pas. Adelin prit l'habitude de lire en sirotant cette chaleur bienvenue, ressortant pris d'une douce torpeur. Son esprit s'emballait durant le trajet. Puis, une fois devant le lit ne lui restait plus qu'un endormissement immédiat et béat.
Ces nouvelles habitudes durèrent une bonne partie de l'hiver. La forge en journée, du (le) conseil notarial et des (les) livraisons le soir, (. Au cours de cette dernière activité, il était toujours suivi) cette dernière activité toujours suivi de deux à quatre gardes. Jusqu'au jour où Robert estima détenir assez de marchandises pour rouvrir sa boutique.
Adelin lui découvrit une méticulosité inespérée. Il ne put dissimuler sa perplexité. Vue l'aisance, l'efficacité avec laquelle Robert avait préparé ses vitrines, lustré le parquet, récuré les vitres... Cet homme, par le passé, avait sur tenir et entretenir lui-même une entreprise prospère. Plus son talent pour la forge... Deux jours de préparatifs intensifs avaient suffi, pour passer d'une pièce légèrement poussiéreuse à un endroit donnant une impression de neuf.
Quand ils ouvrirent, Feufert le bombarda d'informations et de conseils comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Adelin découvrit assez peu de choses, quasi exclusivement des spécificités liées à la forge.
Le voisinage défila les premières heures, surpris de revoir le volet ouvert. Ainsi, l'apprenti apprit que cela faisait six ans que Feufert périclitait. Et malgré ses efforts, son oreille tendue, avide de savoir, nul ne trahit la raison de cette chute.
Parmi ces curieux, quelques-uns en profitèrent pour acheter des armes blanches ne nécessitant aucune autorisation particulière, ou pour faire retravailler quelques outils du quotidien ou reliques de leurs familles. Ce dernier aspect du métier plut beaucoup à l'Allumé. Cela coïncidait avec une partie de ce qu'il aimait dans le métier de notaire. Découvrir des pans d'histoires, par petites touches, voir la déférence dans le regard des clients quand ils concédaient une miette de leur passé. Qu'il aimait cela ! D'autant plus que désormais, il ne maniait plus des traces écrites, mais les objets eux-mêmes !
Néanmoins, les deux hommes convinrent bien vite d'une chose : l'apparence de l'apprenti nuisait aux affaires déjà peu reluisantes. Aussi, Robert consentit à tenir la boutique, pendant qu'Adelin affinait son savoir-faire.
Ce dernier entendait plutôt bien les échanges dans la pièce derrière, tant qu'il ne martelait rien. Cela lui confirma que Feufert avait été un artisan réputé, presqu'apprécié par les habitants. Du moins, par ceux à qui il ne devait rien.
En dix jours d'ouverture, un véritable ballet de requérants s'opéra. La plupart crut profiter de l'isolement de Robert pour le menacer, avant de déchanter devant son apprenti et ses connaissances des lois.
Cela faisait cinq mois déjà, qu'Adelin avait changé de vie. Qu'il avait quitté les siens, le notariat, son statut de noble, pour se trouver une place comme apprenti forgeron, livreur et conseiller contractuel. L'hiver, comme beaucoup s'y attendaient, s'avérait particulièrement rude, long, sombre et glacial. Les prix des vivres montaient insidieusement, les ressources les plus basiques et nécessaires se raréfiaient. Des tensions s'installaient.
Un matin, vers onze heures, s'invitèrent deux clients. Du moins, c'est ce que crut l'apprenti dans un premier temps. Il entendit des messes basses échangées avec Feufert, se désintéressa bien vite de ces paroles inintelligibles pour se concentrer sur la tête de faux qu'il s'échinait à fabriquer. À son grand désarrois, les manches coûtaient bien trop cher pour qu'ils se permettent d'en acquérir avant le printemps.
Tandis qu'il cherchait à savoir s'il avait correctement estimé l'attache sur le futur manche, le changement de ton de l'autre côté du mur l'interpela. La voix d'un des gardes de nuit grondait :
- Nous savons que vous cachez un hérétique ! Prenez garde, déjà que votre propre impiété n'est pas loin de vous conduire en prison...
- Bordel mais vous êtes d'un con ! J'vous dis qu'il est pô hérétique pour un sou ! L'aurait jamais t'nu si longtemps ici l'petiot, sinon !
- Faites-le venir immédiatement, somma une troisième voix, féminine.
- Té, s'y m'entend, y forge.
Adelin posa son ouvrage inachevé à regret. Certes, le matériau de base n'était pas d'une qualité exceptionnelle, cela n'en restait pas moins quatre heures de travaux qui nécessiteraient une reprise intégrale par la suite. Puis il se rendit à la boutique.
Feufert de son mauvais côté, il fit face à ses deux accusateurs. Le premier garde appartenait bel et bien aux repentis nocturnes, ses cernes témoignaient de son manque de sommeil. La seconde lui demeurait inconnue, et il préféra ne pas trahir son statut de mage en analysant dans l'immédiat son équipement. Elle semblait plus fraîche et dispose que son collègue.
- Bonjour Monsieur, Madame, salua l'Allumé avec courtoisie.
- Bertrand Adelin Césa, c'est bien ça ?
- En personne.
- Vous avez bien une gueule d'hérétique... souligna le garde.
- Veuillez nous suivre au poste, abrégea sa collègue.
- Puis-je connaître la raison de mon arrestation ?
- Soupçons d'hérésie, de participation à du commerce illégal, de trafic de drogue, de documents interdits et d'espionnage au profit d'ennemis du Sanctum. Veuillez nous suivre au poste.
- Il s'agit là de graves accusations, concéda Adelin. Gloria Sancto, Lux Rhameae viam tuam illuminet. Amor Matriarchae tibi robur det. Et fides tua existentiam tuam regat. Benedicamus iostos et virtuosos. Heareticos et infideles evertamus. Fiat voluntas divina sicut in caelo et in terra. Amen.
Sûr de son effet, Adelin croisa les bras et surveilla son auditoire. Les trois, sidérés, le dévisageaient. Il venait de réciter un verset réputé imprononçable par les ennemis du Sanctum. Le garde se reprit le premier s'inclina respectueusement, avant de balbutier :
- Veu... Veuillez nous pardonner, Monsieur... Vou... Désirez-vous... Poursuivre votre accusateur ?
Cela me convient. Merci messieurs.
Il les congédia d'un geste du menton, puis s'intéressa à Robert. Ce dernier ne s'en remettait pas, demeurait bouche bée.
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